Ma France à moi – Partie 4 – Paris (Suite de la suite)

Date 14-03-2016 20:50:00 | Catégorie : Nouvelles


Ma France à moi – Partie 4 – Paris (Suite de la suite)

J'avais pour la première fois en France réussi à avoir un sommeil digne de ce nom, soit au moins huit heures. Malheureusement, ce n'était qu'un repos d'ivrogne. Pour ceux qui ont une connaissance générale en biologie, le sommeil d'ivrogne ne repose pas vraiment. Il ne sert qu'à faire passer l'alcool dans le sang. De plus, j'avais bu de la Guinness pratiquement toute la soirée. Je me sentais mourant. Mais il fallait se lever, car il était proche de midi. On avait raté le succulent déjeuner continental de l'auberge. Dommage. On se tapa donc un diner. C'était encore des sandwiches. J'aimais bien les sandwichs français jusque-là, mais je commençais à en avoir assez. Mais bon, la Guinness étant lourde pour l'estomac, c'était probablement ce qu'il y avait de mieux à manger pour moi. Je m'étais pris aussi un café. Je n'aime pas trop le café. J'en bois rarement. De plus, le café me fait un effet bizarre. Peut-être parce que j'étais tombé dedans quand j'étais petit et que j'étais déjà un nerveux naturel. Quand j'en bois, je deviens hypernerveux pendant un moment. Quand l'effet passe je deviens encore plus fatigué avant que je l'aille bu. Je suis pas normal. Mais je sentais que j'aurais eu besoin d'un petit « boost » pour toffer*1 la journée.

On avait planifié une jolie promenade. Cela commençait par les Champs Élysées. Je connaissais surtout les Champs Élysées par la chanson de NOFX. Ne me dites pas que c'est Joe Dassin qui l'a chanté en premier. Pour moi, dans mon univers, c'est NOFX. Mes amis et moi chantions à la façon du groupe punk, la fameuse chanson. C'était certainement cliché, mais dans nos esprits c'était obligatoire. Comme un hymne national avant un match sportif. Les Français devaient sûrement nous voir comme des demeurés. Après les honneurs donnés, on sortit du métro et on vit la rue immense qui se présentait devant nous. En me dirigeant vers l'Arc de triomphe, j'ai compris pourquoi on m'avait déconseillé de louer une voiture. Le trafic était d'un bordel pas possible. Cinq-six avenues s'unifiant vers le même rond-point de six voies. On pouvait y voir un grand rassemblement d'autos essayer de s'y démêler. J'avais mal à la tête juste à regarder cela, et c'était pas dû au lendemain de veille! Et puis il y avait une autre complication. Il fallait traverser tout cela pour se rendre à l'Arc de Triomphe qui était au beau milieu. On se regardait et on se disait : « No way qu'on traverse! » Jusqu'à ce qu'on voit une pancarte nous donnant la direction d'un tunnel pour piéton. On se sentait ben nono*2. Je nous aurais vus tenter d'enjamber le trafic. Ça aurait été de jouer à Frogger. Pour ceux qui sont trop jeunes, Frogger était un vieux jeu vidéo où l'on jouait le rôle d'une grenouille qui devait passer l'autre côté d'une route sans se faire écraser. Quand on sait que les Anglais nous appellent « Frog », ça aurait été très à propos.

On passe dans le tunnel avec de nombreux autres touristes. Rendu de l'autre côté, on regardait avec défiance le trafic qu'on avait vaincu sans trop d'effort. Il fallait attaquer l'arche elle-même. Tout un monument! L'histoire nous transperçait de partout. On pouvait lire les noms de différents héros de guerre de la France. Étant de descendance française du côté de ma mère (Bilodeau) et du côté de ma grand-mère paternelle (Picard), je me suis dit que mes ancêtres s'y trouvaient peut-être. Évidemment, je n'ai rien vu de ce côté. Aucune idée pourquoi on a besoin de se dire que nos ancêtres ont fait quelques choses d'important. Comme si ça nous exemptait d'avoir à faire de même. Il y a eu ensuite la flamme éternelle. Connaissant Éric, j'ai craint un instant qu'il veuille faire comme dans « National Lampoon's senior trip », c'est-à-dire faire une flatulence devant celle-ci créant une gigantesque boule de feu. Mais il ne fit rien. Peut-être dû au fait qu'il était lui-même ancien militaire. Après avoir fait le tour vinrent le soir et l'heure du souper. On chercha un bon restaurant, dans notre cas cela voulait dire pas trop cher. On avait beau chercher des restaurants pour des paniers percés comme nous, cela n'existait pas. Il fallut retraiter des Champs Élysées pour s'en retourner à l'auberge. Après tout, on voulait se payer la traite dans une grande discothèque cette soirée-là, autant mieux garder notre argent. Les priorités c'est important.

Après avoir sorti du métro « Mairie de Clichy », en chemin vers notre auberge, on vit un petit resto italien très sympa. On entra et on fut surpris qu'il n'y ait personne à table malgré qu'il fût 17 h. Cela nous prendra quelques jours pour comprendre pourquoi. Le serveur n'avait que nous comme client et donna un excellent service. J'avais commandé un spaghetti. Ce fût le meilleur repas que j'eusse mangé en France jusque-là, pas que les autres étaient mauvais au contraire. Par contre, on avait toujours pas testé la cuisine française.

Après avoir mangé vint le moment de choisir la discothèque où on échouerait pour la soirée. Ne connaissant pas le nightlife de Paris, il fallut prendre une astuce. J'avais tout de suite trouvé la solution : un taxi! À un certain moment dans ma carrière, je faisais du service technique pour les agences de voyages du centre-ville de Montréal. Je devais donc souvent prendre le taxi. Cela m'avait appris deux choses sur les chauffeurs : 1. ils sont complètement fous, 2. ils connaissent leur ville comme s'ils l'avaient bâti elle-même. On appela donc un taxi, et lui offrit un bon pourboire s'ils nous amenaient dans la place la plus hot en ville. Il nous amena à « La Scala » rue de Rivoli. L'endroit était grandiose. Les discothèques de Montréal avaient l'air de taverne miteuse à côté. On n'avait pas lésiné sur la déco. Des écrans géants, des jeux de lumière à faire rougir les spécialistes d'effet spéciaux de Star Wars et… c'est ce qui m'avait le plus marqué l'escalier à l'entrée. Oui, oui, l'escalier! Un escalier en verre et plein de petites lumières. C'était chic! Je me sentais Jet Set l'instant d'un moment. Par contre, il n'y avait pas beaucoup de monde. C'est là que nous vint l'illumination. C'était peut-être le décalage horaire qui nous avait fait perdre la notion du temps et du calendrier, mais on venait de réaliser pourquoi on ne voyait pas beaucoup de français depuis quelque temps. Nous étions en octobre, un mardi… Incroyable, mais ça travaille un Français. Et quand ça travaille, ça ne sort pas, ça ne va pas visiter des endroits touristiques. Concept révolutionnaire, je suis bien d'accord. On venait de réaliser notre bêtise. Mais qu'à cela ne tienne. Le club nous appartiendra. D'ailleurs, c'est là que je m'étais dit que le chauffeur du nous amener dans le club le plus hot en ville… ouvert un mardi soir! Pour se gâter un peu, on se paya chacun une flute de champagne. On s'était dit qu'est-ce qui fait plus Français que boire du champagne. En donnant le pourboire au barman, un phénomène étrange se produisit. Au Québec, je donnais toujours deux dollars de pourboire quand je m'achetais de l'alcool. Donc, je faisais mon calcul d'économiste du dimanche. Deux fois cinq égale dix. Donc, je donnais dix francs de pourboire à chaque fois. Peu importe, le barman à toutes les fois que je lui donnais son dix francs, qui était une pièce en argent, il cognait plusieurs fois la pièce sur le comptoir et le mettait ensuite dans ses poches. Je ne comprenais pas trop ce rituel. J'en parlais à mes amis, et ils avaient vu le même phénomène, ils n'y comprenaient rien n'ont plus. On n'osait pas trop demander, de peur d'avoir l'air stupide. J'ai eu envie d'aller aux toilettes.

C'est là où j'ai eu une rencontre mythique. Celle que l'on attend toute une vie. On m'en parlait quand j'étais petit lors des journées froides dans nos fabuleux contes sur les Français. J'avais vu Madame pipi! Un Québécois qui rencontre Madame Pipi, c'est comme un Français qui rencontre un vrai bucheron québécois, c'est une rencontre qui éblouit par sa rareté. En effet, ce fut la seule fois que j'ai pu en voir une. Elle était telle que je l'avais toujours conçu. Vieille, laide, blasée. C'était parfait. J'étais tellement satisfait que j'ai du mettre le plus grand pourboire qu'elle n'est jamais eu. Elle continua à m'en donner pour mon argent, car elle n'avait toujours pas changé d'air. Et puis, il y avait même un bidet. Je retrouvais la France de mon enfance. Bon, j'étais pas trop sûr comment l'utiliser. J'ai du improviser. J'espérais que Madame Pipi ne m'en a pas trop voulu. Les monuments, faut les traiter avec respect.

Après avoir descendu de mon nuage, les gens commençaient à arriver. Comme on l'avait cru, c'était surtout des touristes. On le savait parce qu'on comprenait absolument rien de ce qu'ils disaient. Ça serait pour une prochaine fois pour le social. J'étais à sec, il me fallait retourner me chercher une autre « blonde ». J'étais revenu à la bière, car le naturel revient vite au galop. Il y avait une file d'attente au bar. Je fais mon bon citoyen et je me mets au bout de la queue. Et puis, le barman me voyant s'arrêta de prendre la commande à celui qu'il servait et me fit signe de venir le voir. Un peu surpris, j'obtempérai. Je lui dis : « Qu'est-ce qu'il y a? » « Que commandes-tu? » me dit-il tout souriant. « Et les autres avant moi? » que je réponds. « Ils attendront. » qu'il dit stoïquement. J'étais tellement bouche bée que je lui dis ma commande comme un bon soldat. Je lui donnai un pourboire et il reprit le même manège, il cogna la pièce en me faisant un clin d'œil. Je vais voir mes amis, et je leur racontai ce qui venait d'arriver. Martin nous dit : « Je crois qu'en France, il ne tippe*3 pas. On devrait peut-être arrêter. » C'était typique de Martin, il était avare comme cela se pouvait pas. Éric et moi lui répondîmes sans attendre : « Es-tu fou?! On a un super bon service grâce à ça! En plus, on est déjà habitué à donner du tips, pourquoi arrêter? » Martin se pliant à la démocratie, dut se rabattre à suivre le groupe. Je n'étais trop du genre à passer devant les autres, mais je dois être honnête j'en ressentais un certain plaisir coupable. Ça me donnait l'impression d'être quelqu'un d'important. Avec du recul, c'était plutôt répréhensible de ma part d'avoir profité de la situation. Mais bon, c'était l'alcool qui avait agi. Je pense…

La suite s'est passée comme vous pouvez le deviner. Le temps se perdait à travers la danse, le rythme et l'ivresse. Le « Last Call » nous fit réagir avec des visages disant « Déjà! ». On regarda l'heure, et il était près de 4 h du matin. Les métros français fermant à 1 h 15, il fallut penser à une alternative. « Pas de problème » qu'on s'était dit. On aura qu'à prendre un taxi. À notre sortie dans le monde réel, on vit qu'il pleuvait à siaux*4. On espérait voir une parade de taxi sur la rue Rivoli. On a été déçu. Il faut expliquer qu'à Montréal, les taxis sont aussi répandus que des rats dans un égout, en particulier près des bars. Il faut croire que ceux de Paris ont des horaires. On a dû se résigner à se trouver une cabine téléphonique dans la pluie. Un malheur n'arrive jamais seul. Les cabines à Paris ne prenaient pas la monnaie! Ils ne prenaient que les cartes prépayées, que l'on n'avait pas évidemment. C'est là qu'on s'était dit qu'on devait aller vers le centre. Paris étant une toile d'araignée, les rues devaient toutes mener vers le centre qu'on se disait. Les rues étaient désertes. Dans d'autres circonstances, il aurait été cool de se perdre dans Paris. Mais quand on reçoit une douche sous haute pression, ça perd de son charme un tantinet. Cela avait l'avantage de faire cuver notre vin et tout le reste. Nous nous approchions des Champs Élysées. Un mirage apparut. Un taxi! Mes amis et moi sautions dans les airs comme si nous avions remporté la coupe Stanley. Le taxi s'arrêta, et je m'avançai pour ouvrir la porte. En fait, je devrais dire tenter d'ouvrir la porte. J'actionnai la poignée, mais la porte ne s'ouvrit pas. Ne comprenant pas, je réessaie une autre fois, sans succès. Je commençai à devenir nerveux et ma main trempée glissa de la poignée. Le chauffeur de taxi déclara forfait et partit en trombe sous notre nez. Je crois que tous les sacres québécois y ont passé. On était perdus, trempés, fatigués et en plus incapables de prendre un taxi. C'est ce qui s'appelle se faire remettre à sa place. On marchait l'air défait. On vit un abri d'autobus et on décida d'y rester jusqu'à l'ouverture des métros soit 6 h du matin. On était rendu des sans-abris. Et puis, cette fois, un nouveau mirage, un autre taxi s'arrêta devant l'abri. Il nous demanda : « Avez-vous besoin qu'on vous conduise? » La réponse ne se fit pas attendre. Contrairement à l'autre, il comprit que des explications peuvent aider beaucoup. Il nous dit que les poignées ont un loquet de sécurité qu'on doit actionner.

On expliqua à notre sauveur notre mésaventure. Il n'était pas surpris : « Certains chauffeurs sont de véritables sociopathes. » Je lui ai dit que ceux de Montréal n'étaient guère mieux. C'est peut-être à force de voir passer le pire dans son véhicule. Le film « Taxi Driver » me venait à l'esprit. Nous étions enfin dans notre oasis sèche, l'auberge de jeunesse. Mes vêtements avaient maintenant doublé de poids dû à la quantité d'eau reçue. La seule chose que je priais, même si je ne suis pas croyant, c'était de ne pas tomber malade. Je m'étais aussi fait une liste dans ma tête. Acheter des bouchons pour oreilles. Acheter une carte prépayée. Chat échaudé craint l'eau froide. Et de l'eau froide, j'en ai eu en masse!*5

On se déshabilla, et on se lança dans nos lits. On ne prit pas la peine de prendre nos douches.

*1 Toffer : Endurer, survivre. Vient du mot anglais Tough
*2 Nono : Façon mignonne de dire Idiot, presque naïf, candide.
*3 Tipper : Action de donner un pourboire. Dans la même famille de Tips : synonyme pourboire.
*4 Pleuvoir à siau : expression qui signifie une très grosse pluie.
*5 En masse : Interjection pour trop! Assez!



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