Le repas

Date 03-08-2016 14:47:18 | Catégorie : Nouvelles confirmées




Encore quelques pas et je serai arrivée. Aujourd'hui, ce sont les grands préparatifs d’anniversaire. Dans quelques heures la maison va résonner d'un grand :

- Joyeux 80 ème anniversaire Tante Olga!

Toute la famille est invitée au sacro-saint repas de l’année. Ses Neveux lui font la “surprise”, chaque année à cette date, de convier tout le monde autour de la grande table. Olga est à son cours d’aquarelle, et pendant ce temps on se démène dans sa cuisine. Cela dure depuis aussi longtemps qu'on puisse m’en souvenir. Avant, c était Tonton Helmut qui s’y collait, mais depuis son décès il y a dix ans, ce sont les enfants de sa soeur décédée très jeune, Tobias, Hansy et Gertrude qui ont repris le flambeau.


J ai décidé de ne pas prendre ma voiture, le repas sera trop riche, comme d’habitude, et à la fin je serai énervée, comme tous les ans. Il règne trop d hypocrisie dans cette famille. Un peu d’exercice me permettra de décompresser. Je marche tranquillement dans les rues de la ville.


Le repas se déroulera comme d’habitude, c’est d’un ennui mortel. Et si Olga ne venait pas? Voilà qui serait drôle!


J’imagine la scène, la table serait mise, l’habituelle banderole “Joyeux Anniversaire” planquée derrière la tenture de velours rouge. Des petits marque places auraient été confectionnés au crochet par tante Elsie, on les ressort du tiroir pour les grandes occasions, il y en a toute une collection, cette année ils seraient caca d’oie ou peut-être jaune pisseux, la pauvre n’a jamais eu aucun goût, elle trouvait le jaune distingué ! Rien à faire pour qu’elle change d’avis. Les enfants porteraient du bleu marine et blanc, les petites filles des rubans dans les cheveux et les garçons une belle raie sur le côté. Ils auraient répété une belle chanson pour leur vieille grand tante qu’ils n’aiment pas vraiment, Josuah m’a dit un jour sur le ton de la confidence, en sachant très bien que ce n’était pas gentil du tout, que les grands tantes lui faisait peur et qu’elles étaient laides et méchantes, je n’ai pas pu m’empêcher de rire. Une odeur de rôti et de pommes de terre flotterait jusque dans la rue. Chacun aurait cotisé pour acheter Le “présent inoubliable”, un bijou ou un tableau ou encore un beau foulard, rien de véritablement personnel, un cadeau consensuel, classique, bien comme il faut.

Je vais passer par le bord de la rivière, ça va me rallonger un peu, ainsi je passerai moins de temps au milieu de cette famille qui passe sa vie à se disputer et à se jalouser. Gertrude dira qu’elle a passé son temps dans la cuisine pour rien, et que c est toujours elle qui fait tout. Hansy protestera que sans son argent rien ne serait possible, c est lui qui paye pour les courses chaque année et qui donne le plus pour l’achat du cadeau. Tobias lui rétorquera que ce sont oncle Helmut et tante Olga qui se sont saignés aux quatre veines pour lui payer des études et qu’il est bien normal qu’il participe financièrement plus que les autres. Là-dessus Hansy traitera son frère de fainéant qui n’a jamais rien fait de ses dix doigts.

J’ai l impression de les entendre, tous les ans c est la même rengaine, pourquoi s’entêtent-ils à faire semblant? Pour leur tante qu’ils ne viennent jamais voir tout au long de l’année? Ils veulent probablement se racheter. Faire comme s’ils étaient des neveux aimants et attentionnés, perpétuer la tradition familiale. La tradition ! Voilà le mot clef de cette famille :

On a toujours fait comme ça.

C est une fête familiale, il faut montrer qu'on est une famille unie.

Mais les anniversaires se fêtent toujours de cette façon!


La rivière est jolie à cette époque de l’année, les saules pleurent jusque dans l’eau et les fleurs sont une explosion de couleurs, des verts émeraude, des terres de Sienne, des jaunes de cadmium clairs et foncés. Les oiseaux chantent et parfois on entend le bruit d’un poisson qui vient happer un moustique. Je m’assois sur un rocher, une libellule aux ailes toutes fines, d un bleu de cobalt se pose près de moi. Je pourrais la regarder pendant des heures. Chez elle, il n' y a aucune vulgarité, elle n’est que beauté, grâce et douceur. Dans la maison, les enfants doivent s’énerver. Les pauvres chéris ont faim, soif et préféreraient être devant la télévision plutôt que chez cette vieille grand-tante qui fait peur.

Maria et Angela crient, Peter leur a tiré les cheveux. Alexander est tombé pour la énième fois et il a tiré sur la nappe pour se rattraper, deux verres en cristal n’ont pas résisté. Gertrude a eu juste le temps de mettre le fraisier à l’abri, il allait finir par terre.

Tobias, je t’avais dit de le mettre au frigo, pourquoi est-ce que tu ne fais jamais rien ?

Hansy hurle après Alexander,

Je n’en peux plus de cet enfant ! Pourquoi est-ce que tu ne peux pas rester tranquille ?

Très vite les fessées pleuvent et les enfants hurlent à qui mieux mieux.


Décidément je préfère le chant des oiseaux à tout ce brouhaha. Quelques rochers forment une petite cascade, l’eau s’écoule plus rapidement à cet endroit. J’irais bien me tremper les pieds, je ne regarde plus l’heure, je suis déjà tellement en retard, un peu plus ou un peu moins, ça n’a plus vraiment d’importance. Le soleil, brille entre les feuilles et crée de jolies ombres sur l’eau et sur les berges.

Que se passe-t-il maintenant chez Olga? Ils s inquiètent peut-être? Mais non, ils sont trop égocentriques, ils ont tout préparé, ça leur a coûté du temps et de l’argent, et cette égoïste d’Olga n’est même pas là ! C est certainement cela qu’ils se disent.

On lui a acheté un joli foulard et à nos anniversaires elle nous offre ses croûtes immondes.

Tu as raison, pauvre oncle Helmut, il en est mort de chagrin ma Gertrude, il ne supportait plus ses caprices.

Toi Hansy elle t’a mis en pension, et moi, elle a refusé de me payer un studio d’enregistrement, c était ma vocation, et ils avaient les moyens, elle m'a coupé les ailes. Helmut aurait cédé, mais elle ne nous a jamais aimés, elle ne pensait qu’à elle, son bien-être, sa peinture, nous étions des boulets qu'elle devait traîner derrière elle, d’ailleurs elle n’a jamais eu d’enfants.

Gertrude se met à pleurer, Tobias la console et Hansy est dans une colère noire.

C’est la dernière année qu’on se fait avoir, croyez-moi.

Évidemment Gertrude se ressaisit la première.

Ne va pas si vite Hansy, n’oublie pas que mon mari est au chômage et qu’Olga m’a proposé de m’aider. Je ne peux pas me fâcher avec elle maintenant.

Même chose pour moi, avec les play lists, et les portables, j ai moins d’engagements pour mettre en musique les mariages.

Je regarde le ciel où les nuages moutonnent dans un bleu de plus en plus clair. On dirait un tableau de Turner. J’aimerais m’endormir là, au bord de la rivière et ne plus jamais avoir à rentrer. Je ferme les yeux sur la beauté qui m’entoure. Il faudra que je revienne avec mon chevalet, je suis tellement fatiguée aujourd'hui.

En fin de journée, on frappe à la porte de Tante Olga, Hansy va ouvrir. Un policier se tient sur le pas de la porte.

Je suis bien chez Madame Olga Müller?

Oui mais elle n’est pas là. Je suis son neveu, nous sommes venus lui souhaiter son anniversaire.

Monsieur Müller est-il ici?

Mon oncle est décédé depuis une dizaine d’années.

Nous venons de découvrir le corps de votre tante près d’une rivière non loin de la maison. Il semblerait qu'elle se soit endormie près de l eau sur un rocher. Elle a dû vouloir faire une sieste. Elle est morte pendant son sommeil. Elle n’a pas souffert, elle souriait, elle avait l air heureuse.




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