Les nouveaux voisins

Date 22-06-2017 15:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


La campagne, le calme, les petits oiseaux, l'herbe verte ! Depuis quelques temps, je n'entends plus que le vent dans les arbres, le bruit de la pluie sur les feuilles des hortensias. Le chant des rouges-gorges, des rossignols et des merles rythme mes journées, l'odeur de l'herbe fraîchement coupée, du sol chaud qui reçoit la pluie tant attendue, le parfum du seringat, les soirs de printemps. J'ai enfin trouvé mon paradis sur Terre.


Un jour, un bruit incongru vient troubler mon sommeil. Cela ressemble à des coups de marteau énergiques, à quelques mètres de mon refuge. Un coup d’œil rapide à mon portable, il est 8 heures du matin !

J'enfile un short et un tee-shirt, j'attache mes cheveux et je vais aux nouvelles. Le bruit vient du bout du jardin, derrière les arbres qui délimitent mon terrain. J'écarte les branches et je vois un type et une fille enceinte en train de clouer des planches. Ils semblent tous deux sortis d’un film des années 70, il est barbu, porte un short en jean déchiré, elle a les cheveux très longs, tenus par une grande tresse.

- Salut, me dit le gars. Tu es notre nouvelle voisine ?

« Nouvelle voisine », il en a de bonnes celui-là, j'habite ici depuis quinze ans !

- On voulait venir se présenter.

Il s'avance vers moi, et me tend la main :

- Timothée, et voici ma femme Mandarine. Puis très fier il ajoute, nous construisons notre maison.

Je regarde les quelques planches déjà en place, et un plan posé sur une pierre quelques mètres plus loin.

- Vous êtes très courageux, je serais bien incapable de faire une chose pareille.

Je regarde la jeune Mandarine dont le ventre est déjà bien arrondi,

- C'est un sacré travail !

Timothée me montre une photo de son projet, il s'agit d'une maison en bois toute ronde.

- Nous l'avons achetée en kit, avec le plan on devrait s'en sortir. C’est une maison solaire qui tourne pour profiter un maximum de la luminosité. Elle sera prête dans un mois ou deux, en attendant nous allons dormir sous la tente.

Il me montre deux minuscules tentes, rondes aussi, montées à l'autre bout du terrain.

- Nous en avions assez de vivre à Paris, me dit la blonde Mandarine en se caressant le ventre. Avec l'arrivée du bébé, nous avons eu envie de faire un retour à la nature, et ça commence avec la construction de notre foyer.

- C'est un beau projet dis-je, mais nous sommes déjà fin Septembre, jusqu'à présent le temps a été clément mais il risque de faire froid dans quelques semaines, et les pluies vont se faire plus fréquentes.

- Nous ne sommes pas inquiets, répond Timothée, on avance vite et on est motivés. Les aléas climatiques font partie du jeu.

Ah c'est un jeu ? Je suis assez sceptique sur la réussite de leur entreprise, mais pourquoi pas après tout.

Quelques jours plus tard, j'entends un meuglement. C’est marrant, je ne savais pas que le fermier avait repris l’élevage des laitières, il trouvait que c’était trop contraignant. En fait je découvre que la vache est dans le jardin de Timothée et Mandarine. Leur terrain est trop petit pour une bête aussi grosse!

- Mandarine trouve que c'est plus pratique d'avoir une vache à demeure, comme ça on aura du lait frais pour le petit.

La jeune maman le regarde pleine d’admiration.

- Timothée parle aux animaux, il a un don, Antoinette fait partie de la famille. Nous avons découvert qu’elle était la réincarnation de Marie-Antoinette, c’est fou non?

- Sans veau, je doute que vous ayez beaucoup de lait.

Cette remarque m’a échappé et je vois tout de suite dans le regard des deux jeunes, que je commence à les saouler avec mon humeur rabat-joie. L’image de Timothée en train de traire la reine de France me fait sourire, ils sont marrants ces jeunes.

- Nous voulons être auto-suffisants, m'explique mon voisin. Nous allons cultiver nos légumes, faire du fromage et élever des poules.

Marie-Antoinette doit être contente d'être tombée dans cette famille. Bien, bien mes chéris, commencez par finir votre maison et on verra après. Je garde cette pensée de vieille bique raisonnable pour moi bien entendu.

Les jours passent, de temps en temps j’aperçois mes bâtisseurs qui tournent et retournent les plans dans tous les sens, la construction de la maison prend du retard et pour l’instant, ils vivent toujours sous la tente. Celle réservée pour leurs vêtements et la vaisselle est toujours là elle aussi. Je visite régulièrement le chantier, “l’igloo” est monté à moitié, les rayons du soleil s’infiltrent à travers les planches. Un tas de lattes de bois est stocké en tas grossier dans un coin.

- Certaines planches ont “travaillé” et ne s'insèrent plus dans l’édifice, m’explique le jeune homme. Je vais les raboter.

Je regarde les planches tortillées et je me dis que l’optimisme de ce garçon est sans limite.

Les plans se sont avérés difficile à suivre, et, pour l’instant, leur “foyer” ne peut ni les accueillir, ni même abriter du matériel. Plusieurs fois, j’ai proposé à mes deux idéalistes de les héberger, ils ont toujours refusé.

- Le vent souffle fort, on prévoit plus de 100 kilomètres heure, ne restez pas sous la tente, ça n'est pas prudent!

Ou alors :

- Il pleut des cordes et ça risque de continuer ainsi toute la semaine, venez au sec.

La réponse est toujours la même :

- Nous voulons être en communion avec les éléments Clarisse, la pluie et le vent sont des expressions de la nature, il ne faut pas en avoir peur.

Un soir d’orage j’entends des cris:

- Elle est devenue folle, j’ai peur!

- Antoinette, arrête, calme toi! Putain de merde, elle est abrutie cette vache, elle me charge! Au secours!

- Timothée, ne me laisse pas!

Décidément Timothée sait parler aux animaux. La vache a piétiné la tente, affolée qu'elle est par l’expression de la nature. Dès le lendemain, Marie-Antoinette est revendue à un maquignon qui s’empresse de la céder à l’abattoir le plus proche. C’est le destin! Elle a probablement eu la tête tranchée à nouveau, mais après avoir été électrocutée, c’est quand même plus moderne. Que lui arrivera-t-il dans sa prochaine vie? Injection létale aux États-Unis? Lapidation chez les islamistes?

Maintenant quand je fais la sieste dans le jardin, je suis de plus en plus souvent réveillée par les cris de mes voisins qui couvrent le babillage des petits oiseaux.

- Timothée, je crois qu’on a oublié un truc.

- Ah bon? Quoi ma chérie d’amour?

- Le mécanisme qui fera tourner la maison, on l’installe à quel moment?

Pas de réponse de Timothée.

- Parce que je viens de trouver une annexe au mode d’emploi qui dit qu’il faut monter le moteur puis fixer la partie B’’ à la F’’ en conservant une place pour l’interrupteur G qui doit être mis en place à la fin.

C’est marrant mais l’atmosphère devient lourde comme le jour où l’orage a éclaté. J’entends un gros soupir et des bruits de papiers qu’on feuillette rageusement. Puis le tonnerre éclate.

- Pauvre conne, tu ne pouvais pas me le dire avant? Mais qu’est-ce que tu as dans la tête? Il faut tout recommencer! Mais c’est pas possible d’être aussi conne?

Mandarine se met à sangloter.

- Mais je n’avais pas vu, c’était dans l’annexe 3 du petit bouquin. Tu as dit que tu t’occupais de la technique.

- Forcément tu t’en fous. Tu ne t’intéresses pas à ce que je fais. Tu m’as toujours pris pour un imbécile. Madame est ingénieur et je ne suis qu’un petit ouvrier, mais j’y arriverai tout seul, crois-moi. Mandarine, pfff, avec un prénom à la con comme ça, il ne faut pas s’attendre à grand-chose. Papa et maman t’ont payé des études, tant mieux pour toi!

J’attends un peu et j’envoie un texto à Mandarine sous prétexte de lui donner quelques oignons de tulipes. Elle ne me dit rien de la dispute. Je lui dis de prendre soin d’elle et je lui conseille d’aller dans sa famille pour se reposer un peu. En attendant, elle peut compter sur moi si elle a besoin de quoi que ce soit.

Leurs ambitions concernant la maison écologique ont ainsi été revues à la baisse, elle ne tournera plus telle un tournesol en quête des rayons lumineux, le système s'étant révélé impossible à installer et de toute façon extrêmement bruyant.

Le potager a pris forme depuis que la vache ne se promène plus dessus. Il faudra attendre les premières récoltes, mais ils peuvent espérer voir enfin le fruit de leur travail.

Ils sont touchants, mais tellement inexpérimentés! Un jour, Mandarine a décidé d'acheter des poussins pour avoir des œufs! Je me suis enquise de savoir pourquoi pas des poules directement, la réponse a été assez inattendue :

- Je voulais des bébés pour m’habituer à m’occuper du mien.

Les oisillons dorment sous la tente avec eux pour ne pas avoir froid. Il est amusant de les voir essayer de s’envoler. Je leur demande où ils comptent installer le poulailler.

- Un poulailler? Pour quoi faire? Les oiseaux sont des êtres libres!

Le jour suivant, trois êtres libres manquent à l’appel, les poussins étant trop bruyants, Mandarine les a laissés dans la tente de stockage. Un renard affamé est probablement passé par là. Une cage est achetée sur le champ en attendant de construire un lieu plus grand et sécurisé. Une autre acquisition a été faite, je l’entends, ou plutôt je la vois arriver dans mon jardin et se repaître de mon rhododendron. Une chèvre! Je l’attrape par les cornes et je la ramène chez ses propriétaires.

- Ah vous avez trouvé Mata Hari! Viens là ma belle.

- Elle était en train de bouffer mes rhodos! Attachez-la ou je vais me fâcher!

Timothée sursaute et n’a pas le temps d’ouvrir la bouche.

- Et Timothée, ne t’avise pas de me parler comme tu parles à ta femme ou tu auras affaire à moi! C’est bien beau de faire le malin, mais c’est une sacrée pagaille ici, tu vas être père et ta femme couche sous une tente. Où vas-tu mettre ton enfant? Dans ta moitié de cabane qui prend l’eau? Pour commencer, tu attaches ta chèvre! Mata Hari! Et puis quoi encore!

Au fil du temps, la maison s’est montée, Mandarine a donné naissance à une belle petite fille toute noire, ce qui a un peu fait tiquer Timothée. Prénommée Cléo, elle a semblé très autoritaire mai aussi très charmeuse, dès le début. Son petit nez mutin fait craquer tout le monde. La famille s'est aussi agrandie avec Napoléon, l’âne qui devait aider pour faire les courses, n’a jamais voulu obéir aux ordres qu’on lui donnait. Il a fini par se sauver avec Mata Hari qui au passage a mangé une partie des plans de la maison. Les poussins devenus des coqs se sont entretués.

L’histoire aurait pu en rester là et notre famille vivre paisiblement si un feu de cheminée n’avait pas détruit l’œuvre de Timothée et Mandarine. La petite famille a dû repartir à la ville où Mandarine a trouvé un job chez Total, Timothée a été embauché par le fabricant des maisons en bois, et il est un des meilleurs vendeurs.


L’autre matin, j’ai été réveillée par des coups de marteau, en allant aux nouvelles, j’ai vu qu’une roulotte était installée au milieu du terrain. Tiens des nouveaux voisins!




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