La maison en coquillages 16

Date 10-02-2012 19:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées



La maison en coquillages 16

Derrière la porte de la chambre Linette était tout ouïe.
Son cœur tapait fort dans sa poitrine, cette arrivée silencieuse, l'avait surprise et ne lui inspirait pas confiance. Elle n'aurait su dire ce qui l'emportait de la peur ou de la curiosité.
Elle se baissa pour fixer son œil au trou de la serrure tout en en extrayant du bout des doigts le tampon de papier que maman avait glissé dedans pour l'obturer et décourager les petits curieux. 
Elle sentit l'air de l'entrée venir jusqu'à son visage collé à la porte. Elle ne voyait rien d'autre que l'encadrement vide de l'ouverture de la petite cuisine.
Maman et le visiteur se trouvait plus à gauche, et ils semblaient rester sur le pas de la porte. Maman visiblement n'invitait pas la personne à entrer.
Tendue, en écoute Linette entendit une voix de femme poser une question mais l'enfant n'en comprenait pas le sens, derrière la porte elle entendait mal.
Maman levait le ton:
"vous savez bien que mon mari ne veut pas vous voir ici"
La femme répondait mais la réponse restait inintelligible pour Linette qui se concentrait pour tenter de reconnaitre l'importune. Mais au son ténu de sa voix l'enfant en concluait qu'elle devait être restée dehors, dans le haut de l'escalier.
"Vous verrez avec lui, son père est encore à l'hôpital"
Le murmure de la visiteuse se précisa et Linette reconnu soudain la voix de Mademoiselle Rose, l'assistante sociale du dispensaire. 
C'était une dame, pas moche, pas belle, ni jeune, ni vieille qui portait toujours un cartable comme une écolière et qui était déjà venue plusieurs fois à la maison.
Les parents de la fillette ne l'aimait pas du tout, ils en parlaient comme d'un ennemi redoutable.
"Une sale fouineuse de merde, qui se mêlait de ce qui ne la regardait pas, une bourgeoise pourrie, une punaise, une saloperie!" entendait dire souvent Linette.
Papa lui faisait très peur et il l'avait déjà mise à la porte en la poussant très fort dans l'escalier, et en la menaçant de lui "casser la gueule, la prochaine fois".
Linette compris, tout à coup la raison de cette arrivée discrète et cette venue en fin d'après-midi quand papa était justement avec ses copains, au café des postillons au coin de la rue.
Linette l'oreille attentive, compris que les deux femmes parlaient de son grand-père, le père de son papa.
Son pépé, était très vieux et très méchant, il ne parlait pas très bien le Français, il ne parlait qu'avec papa, en patois.
Les parents de Linette avaient hérité de la ferme en Dordogne en échange de la charge du pépé.
Tatie Paulette, la fille de pépé et la sœur du père de Linette, avait préféré renoncer à hériter de la ferme plutôt que de s'occuper de ce père sale et méchant, qui était dés le matin accroché à sa bouteille de gnôle, ramenée de la ferme périgordine. 
Bouteille qu'il cachait dans tous les coins de la maison et tout dernièrement dans la petite cheminée d'angle qui se trouvait tout près de la tête du lit de Linette. 
Il avait depuis toujours, pris sa petite fille en horreur, en premier lieu parce que c'était une fille et surtout en raison de la vilaine habitude de celle-ci, lorsqu'elle était toute petite, de dénicher ses cachettes et de raconter à ses parents qu'elle l'avait vu boire.
Cette enfant parlait trop et avait des yeux partout, il faut dire que dans un si petit espace les secrets étaient exclus.
Maman racontait, qu'il y avait longtemps, quand Pépé était marié avec la grand-mère de Linette, là-bas dans la vieille maison de la ferme familiale près de Sarlat, bien avant qu'ils ne viennent tous vivre à Paris, Pépé tapait si fort cette grand-mère, morte un an avant la naissance de la petite, que la pauvre femme devait se sauvait en pleine nuit dans la campagne pour se réfugier au village voisin, chez des voisins compatissants.
Maman disait aussi que souvent, quand il était en crise de boisson, pépé dormait avec sa faux à côté de lui, et jurait en patois qu'il allait couper la tête de cette pauvre grand-mère.
Que sa grand-mère travaillait comme quatre et que pépé était toujours saoul. 
Elle disait encore que lorsque pépé mangeait, sa grand-mère comme presque toutes les femmes de cette région, restaient debout pour servir "l'homme", et qu'elles mangeaient dans un coin de cuisine, prés du feu.
Elle racontait aussi, que Linette n'avait pas connu sa grand-mère parce que cette pauvre femme était morte jeune, trop usée par la vie qu'elle avait eu.
Linette savait que cette grand-mère dont elle avait vu une vieille photo sépia, toute décolorée, était une jolie femme, grande, avec des yeux en amandes, verts clairs et un visage aux traits réguliers, avec un joli sourire doux.
Dans le petit logement, la voix de maman irritée arrivait de la cuisine :
"Il doit rentrer la semaine prochaine, ben oui on le reprends ici, qu'est-ce que vous voulez qu'on en fasse ? on va pas le tuer, on ne peux pas faire autrement"
Le murmure de l'interlocutrice était toujours aussi inaudible, mais Linette reconnaissais bien le timbre de voix, si elle ne comprenait pas clairement tous les mots.
Maman, elle en revanche, avait le timbre plus haut et très agacé.
" ben vous aurez qu'à le dire à mon mari, vous verrez bien ce qu'il vous dira, faut pas exagérer il n'a encore tué personne, hein !? que je sache !"
"....dangereux,...décision...malsain..." quelques mots faibles passaient la porte
"alors trouvez nous un logement, dites à mon mari qu'on a pas d'hygiène vous allez voir..dites lui pour voir !"
le ton était menaçant.
"... couteau.." murmurait la voix
" Ah oui ? et qui vous a raconté ça ?, comment vous savez ça vous ? mon mari s'en est occupé, ça vous r'garde pas, allez foutez le camp...et tout de suite !"
Le ton était monté et maman avait crié les derniers mots.
Linette savait qu'elles parlaient de ce que pépé avait fait, quand il avait voulu donné un coup de couteau à son oncle parce que celui-ci avait pris la petite sœur dans ses bras. 
Ou bien alors elles parlaient peut-être de ce jour, juste avant que l'on emmène son grand-père à l'hôpital, ce jour où pépé avait giflé maman et avait fait caca par terre puis avait piétiné dedans pour " l'emmerder" , comme il le criait à maman. Après il tapait ses pieds et il les frottait sur le sol pour être sur de bien tout salir, et tout ça en hurlant des tas de vilains gros mots : "mauvais sujet, putain, salope..."
Linette revoyait sa maman toute rouge, lui prendre ses barrettes pour enlever le caca du grand père qui était restait coincé entre les lattes du vieux plancher. 
Linette avait eu beaucoup de peine pour sa maman et elle revoyait son grand-père debout et gesticulant, elle se rappellait de sa honte quand elle avait souhaité de toute son âme qu'il meurt.
Elle avait eu des vilaines pensées qu'elle avait ensuite confessées.
La porte venait de claquer, mademoiselle Rose repartait et Linette remerciait Dieu que son papa ne l'ai pas croisée. 
Maman devait être très en colère, la petite s'écarta très vite de la porte.

Lydia Maleville





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