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Confucius 2
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Les classiques confucéens

Qu'étaient-ce donc que ces classiques confucéens qui faisaient trembler Li Si ?
«Je m'attache aux Anciens avec confiance et affection , disait prudemment Kongzi. Tout en se proposant de corriger le désordre présent, ce novateur se défendait de rien changer à l'ordre ancien.
L'ordre ancien, tel que l'avaient consigné quelques livres : le Yi jing ou Canon des mutations, le Shu jing ou Canon des documents, le Shi jing ou Canon des poèmes, le Yi li, Cérémonial, et le Li ji, Mémorial des rites, le Yue jing ou Canon de la musique. À quoi Confucius était censé avoir ajouté le Chunqiu, Les Printemps et les Automnes, chronique de l'État de Lu. Comme le Canon de la musique s'est perdu à l'exception d'un chapitre, sauvé dans le Mémorial des rites, et d'un autre qui se trouve dans le Zhou li ou Rituel des Zhou, cet ensemble forma ce qu'on appela les six puis les cinq classiques.
À l'exception du Canon des mutations qui traitait de divination, et qui pour cette raison fut sauvé du feu, tels sont les ouvrages qu'en 213 on proscrivit.
Les plus anciens d'entre eux, les Canons des mutations, des documents et des poèmes, datent vraisemblablement de 800 à 600 et même d'un peu plus tard. Au Ve siècle avant notre ère, les « cent écoles » de pensée s'y réfèrent constamment. Dérivé d'un vieux système de divination par les branches de l'achillée sternutatoire, le Canon des mutations est constitué de soixante-quatre hexagrammes commentés en termes abstrus. Outre les commentaires des hexagrammes et certains poèmes yao, probablement dérivés de dictons paysans, le Canon des mutations comporte des textes plus tardifs qu'on attribue parfois à Confucius, et dont l'un des plus anciens – peut-être le plus important philosophiquement – s'appelle le Xici. Pour la première fois, on y trouve élaborée une philosophie de l'alternance dialectique du yin et du yang avec la formule fameuse yi yin yi yang zhe wei dao : Un temps de yin, un temps de yang, voilà le dao. Avec leurs combinaisons de lignes pleines yang, mâles, et de lignes brisées yin, femelles, les hexagrammes exprimeraient en quelque sorte la dialectique chinoise de la nature.
Recueil de documents de dates et de valeur diverses, le Canon des documents fut censément compilé, classé par Confucius. Il ne s'agit point de documents historiques, au sens que nous donnerions à ce mot, mais d'élaborations littéraires, morales et philosophiques ; on y trouve en particulier un exposé de la doctrine du mandat céleste, sans laquelle on ne comprend rien à la monarchie chinoise. Conformément à cette doctrine, Yu le Grand, le fondateur de la première dynastie chinoise, celle des Xia, obtint l'empire parce que sa vertu parfaite lui mérita l'investiture céleste. Un temps vint où les souverains de sa dynastie manquèrent à leurs devoirs ; lorsque Jie exerça, non plus l'empire, mais la tyrannie, il perdit le mandat céleste, que le Ciel confia au fondateur des Shang, ou Yin, Tang le Victorieux. Cela se serait passé en 1400 avant notre ère. La vertu déclina dans cette famille, si bien qu'un vilain jour le pouvoir échut à l'indigne Shouxin que le Ciel abandonna en 1122 pour confier le mandat au roi Wu, fondateur supposé de la dynastie des Zhou.
Une seule vertu, mais essentielle, qualifie un souverain pour le mandat céleste : l'imitation des anciens souverains, les parfaits, en qui s'incarnaient toutes les vertus cardinales. Théorie capitale, puisque chaque fois que décline un pouvoir l'usurpateur peut invoquer en sa faveur le mandat céleste. Thèse en tout cas plus satisfaisante pour les sujets que notre philosophie du droit divin, que ne corrige qu'imparfaitement – sauf chez certains théologiens – une théorie du tyrannicide.
Outre une morale dynastique, le Canon des documents propose, dans le Hong fan, la Grande Règle, une vue philosophique de l'univers, par une généralisation radicale des correspondances avec spéculations numériques ; cinq éléments forment l'univers : l'eau = 1, le feu = 2, le bois = 3, le métal = 4, la terre = 5. Ces éléments constituent autant de classificatoires : espace, temps, saveurs, viscères, activités, régulateurs, vertus, bonheurs, tout se distribue selon ce système à cinq entrées. La société reflète la nature. Symbole de cette correspondance entre le Ciel et la Terre, entre les Temps, les Orients et les Saisons, un temple appelé ming tang signalait la capitale et permettait l'exercice de la fonction politique et cosmique du souverain. Encore que des sinologues aussi grands que Paul Pelliot et Marcel Granet souvent aient divergé touchant le rôle et la fonction du ming tang, on peut considérer que Granet n'a pas tort de voir en ce temple une maison du calendrier, un concentré de l'univers. Carrée, comme la Terre dans la cosmologie des anciens Chinois, coiffée d'un toit circulaire de chaume, parce que le Ciel est rond, la Maison du calendrier est ainsi disposée que le souverain, en y circulant, anime l'espace et favorise la ronde des saisons. C'est donc dans les salles de ce ming tang qu'il promulgue les ordonnances mensuelles qui harmonisent les tâches des hommes et les rythmes de la nature.

Quant au Canon des poèmes, dont, d'après une tradition, Confucius aurait choisi les trois cent cinq textes, il se compose de chansons populaires, de petites et grandes odes, d'hymnes enfin, au style plus majestueux que les chansons : si gracieuses, si lestes parfois celles-ci, qu'il faut tout le moralisme confucéen pour en tirer des enseignements édifiants. Comme le Canon des documents, le Canon des poèmes fut condamné au feu par les ministres de Qin Shi Huangdi.Encore qu'on les range parmi les classiques, les rituels confucéens ne furent composés, dans certains groupes qui se réclamaient du Maître, que vers le IIIe siècle avant notre comput. Le Yi li et le Li ji échappèrent, semble-t-il, à la proscription de 213, et ce bien que les rites aient joué un rôle dans la morale confucéenne : rôle moins impérieux qu'on ne le prétend parfois : Confucius n'hésitait pas à les violer chaque fois que l'intensité du sentiment l'y invitait. En revanche, on mit au feu Les Printemps et les Automnes, la chronique du royaume victorieux – celle de Qin – ayant seule paru digne de passer à la postérité : ainsi écrit-on l'histoire. Par bonheur, ce document qui nous renseigne sur la Chine entre 722 et 481 survécut à la proscription, le vainqueur ayant bientôt succombé, ce qui permit au confucianisme de renaître et de prospérer.

Le seul ouvrage sur lequel on puisse raisonnablement se fonder pour fixer ce que fut l'enseignement de Confucius, les Entretiens familiers, fut condamné lui aussi, et brûlé, de sorte que le Lun yu que nous étudions n'est pas le texte ancien et fut reconstitué à partir de deux versions différentes retrouvées sous les Han. Au feu, également, le Canon de la piété filiale, le Xiao jing, qui fut restauré à partir d'un exemplaire prétendument caché par un confucéen courageux, et d'un texte ancien miraculeusement retrouvé dans les murs de la maison de Confucius, avec un texte ancien des Entretiens familiers. Ne soyons pas dupes de ces miracles : conjuguées avec la proscription de 213, les idées que les Chinois anciens se faisaient de la littérature nous imposent quelque prudence touchant l'authenticité et par suite l'interprétation de ce premier canon confucéen.
En tout cas, Paul Demiéville pense que l'incinération de 213 et la tyrannie de Qin Shi Huangdi mettent fin une fois pour toutes dans l'histoire chinoise à l'exceptionnelle liberté de pensée qu'avait favorisée la décadence politique des Zhou.
La situation peut se comparer à ce que fut la conquête de la Grèce par Rome, conquête assurément qui permit l'hellénisation des vainqueurs, mais qui remplaça par un État pragmatique, organisé, impérialiste, l'anarchie de cités combattantes. Ainsi l'Empire des Han, qui allait succéder en 206 à celui de Qin Shi Huangdi et, durant quatre siècles, de 206 avant notre ère à 220 de notre ère, donner à la Chine une organisation qui la marquera pour deux millénaires au moins.

Le confucianisme sous les Han

Paradoxalement, cet Empire centralisateur et conquérant allait pourtant accorder au confucianisme un rôle quasi officiel dans l'État, ce dont la doctrine allait pâtir autant que profiter. Si l'édit de proscription resta en vigueur sous le régime de l'usurpateur Liu Bang qui régna sous le nom de Gaozu, et bien que ses premiers successeurs aient marqué plus de sympathie personnelle pour deux doctrines, le taoïsme et le bouddhisme, fort étrangères à l'esprit confucéen, l'empereur Wu 140-87, par intérêt politique, choisit de s'appuyer sur une philosophie qui, pourvu qu'il eût des vertus, faisait un sort à l'homme de basse extraction : ainsi appliquait-il déjà une politique qui sera en gros celle de Louis XIV, quand, pour contrebalancer l'influence des féodaux, celui-ci confia le pouvoir réel à des bourgeois. En adoptant la doctrine, on l'adapta il est vrai aux conditions sociales et politiques nouvelles. Reste qu'on choisit de préférence les fonctionnaires parmi les gens formés par le confucianisme. Ainsi prenait forme ce qui allait devenir le système des examens et le mandarinat, qui consacre ou suppose la compétence administrative de qui sait par cœur le canon confucéen.

C'est en grande partie à Dong Zhongshu que la doctrine officielle doit son succès, et le rôle qu'elle joua sous les Han. Unifiant la théorie du yin yang et celle des cinq éléments, il élabora une philosophie syncrétiste et prétendit découvrir dans Les Printemps et les Automnes des sens secrets, qu'il révéla dans sa Rosée abondante des Printemps et des Automnes. Non moins tyrannique en son ordre que Li Si, il tenta d'obtenir que l'empereur interdît tout autre enseignement que le sien : Il faut éliminer tout ce qui n'est pas du domaine des six classiques. Sans aller jusque-là, l'empereur Wu créa en 124 avant notre comput une École d'administration où l'on enseignait les Six Canons pour former de bons fonctionnaires. Il refusa pourtant de proscrire les autres écoles ; car sa préférence – et quel homme d'État ne le comprendrait ? – le portait vers la doctrine du fajia, celle des légistes. En fait, la doctrine confucéenne devint sous les Han une grande religion syncrétique, où s'amalgament des superstitions populaires et le culte de l'État, le tout sommairement rationalisé et vaguement camouflé de textes confucéens, Hu Shi, au XXe siècle. Textes sur lesquels on discutait ferme entre partisans du texte moderne et tenants de l'ancien. Si l'on en juge par les textes classiques gravés sur stèles de pierre que l'on peut encore lire à Luoyang, le texte moderne d'abord l'emporta. Après la chute des Han, la dynastie des Wei donna la préférence au texte ancien, et fit à son tour inscrire dans la pierre cette version du Canon des documents, ainsi que Les Printemps et les Automnes.
Ancienne ou moderne, la version du confucianisme qui s'impose alors, et qu'on imposa par la suite, s'interpose entre le lecteur d'aujourd'hui et ce que fut sans doute la forme première de l'enseignement confucéen ; ainsi en va-t-il de toute orthodoxie : il s'agit toujours de se rapprocher autant que possible d'un idéal, d'un dieu, d'un paradis, exaltés dans le plus lointain passé. Quand la dynastie des Han perdit le mandat céleste, l'orthodoxie confucéenne était à peu près constituée, excluant pour son interprétation tout recours à tout autre ouvrage qu'officiel. De sorte qu'une pensée qui avait eu pour objet de développer en chacun sa forme maîtresse allait devenir, en conquérant la Chine, un dogmatisme, une sorte de pensée, pour ne pas dire de religion d'État. Ces querelles de sectes, cette volonté de restaurer l'orthodoxie eurent au moins l'heureux effet de développer là-bas l'érudition, la glose et la critique de textes. Aux environs de l'ère chrétienne, deux bibliothécaires, Liu Xiang et son fils Liu Xin, furent pour beaucoup dans cet effort, dont l'équivalent ne se retrouve guère dans notre civilisation qu'avec l'école alexandrine.
Le privilège d'administrer l'Empire se payait parfois cher, d'autant que, rendons-leur cette justice, les confucéens recrutés par examen avaient souvent le courage d'exercer la périlleuse fonction de remontrance. Ajoutons que, sous couleur de penser selon le confucianisme, un esprit aussi libre et agile que Wang Chong, le Voltaire ou le Lucien de cette Chine, allait opposer aux dogmes un scepticisme sans illusion, cependant que, devançant de plus d'un millénaire et demi le dictionnaire philosophique et critique de Bayle, le Chinois Xu Shen, auteur du premier grand dictionnaire chinois, le Shuo Wen, allait exposer, dans ses Incompatibilités entre les cinq canons, toutes les incohérences qu'on pouvait déjà déceler dans les textes devenus sacrés d'un confucianisme dont il démontrait avec acuité qu'ils ne pouvaient constituer une doctrine homogène. On serait donc inique en ne célébrant pas ceux des confucéens que les empereurs Han condamnèrent à mort parce que fidèles à la conduite du lettré qui impose à celui-ci de ne jamais oublier les souffrances du peuple, ils avaient censuré les iniquités des princes. N'oublions pas non plus que, sous le règne de Wudi, quand l'empereur transformait en esclaves cent mille sujets, appliquait un code conforme à l'esprit des légistes et prenait pour ministre un membre de cette école d'administrateurs implacables, il feignait de favoriser en la personne de Dong Zhongshu la doctrine de Confucius. Comment le peuple aurait-il su à qui imputer ses malheurs ? À l'idéologie officielle, ou à ceux qui exerçaient en fait le pouvoir, mais sans souci des principes confucéens ? Comment aurait-il décidé s'il devait s'en prendre au souverain en titre, ou plutôt à celui que sous les Han on appelait officiellement le « roi sans couronne », l'infortuné Confucius ? Et puis, bien que ceux qui se réclamaient de lui se soient très tôt scindés en groupes, dont l'un se réclamait du patronage de son disciple Zigong, tel autre de Ziyou, le troisième de Zixia, et ainsi de suite, l'école confucéenne, de loin, semblait un tout. Dès le temps de Sima Qian, les jeux sont faits : Ceux qui se livrent à l'étude le considèrent comme leur chef. Depuis le fils du Ciel, les rois et les seigneurs, tous ceux qui dans le royaume du Milieu dissertent sur les six arts libéraux se décident et se règlent d'après le Maître. C'est là ce que l'on peut appeler la parfaite sainteté ! Tels sont les derniers mots de la biographie de Kongzi dans les Mémoires historiques.

Vers le mandarinat

Lorsque les Han postérieurs perdirent le mandat céleste, le bouddhisme avait pénétré en Chine depuis plus d'un siècle, assurément, et depuis plus longtemps encore, sans doute. Dans le chaos qui s'aggravait, tandis qu'une douzaine de dynasties se combattaient puis se partageaient les lambeaux de ce qui avait été un Empire centralisé, puissant, bien administré, une doctrine de l'impermanence des choses humaines avait de quoi séduire les masses, qui souffraient plus que jamais. Quelques souverains de la dynastie des Wei, au IIIe siècle, certains autres de la dynastie des Jin, entre le IVe et le Ve, tentèrent en vain de rouvrir des écoles confucéennes. Avec une habileté scandaleuse, certains essayaient même de démontrer que le confucianisme n'est qu'un déguisement du taoïsme, et le bouddhisme une métamorphose de ce taoïsme-là. Cette subtile façon d'accommoder les pensées s'appelait alors ge yi, analogisme. Elle s'apparente à notre teilhardechardinisme, qui se donne pour une synthèse du marxisme et du catholicisme. Comme quoi, dès qu'on abandonne la raison, l'esprit critique, on est mûr pour le syncrétisme, l'analogisme, l'œcuménisme : la confusion mentale.

Le système des examens

Pour redresser la situation, il fallut attendre le VIe siècle et la dynastie des Sui. Les Tang, qui lui succédèrent en 618, achevèrent la restauration. Les Sui avaient déjà institué l' examen de lettré accompli, et l'examen sur les classiques ; on les conserva sous les Tang en y ajoutant trois nouveaux examens : ceux de droit, de mathématiques et d'écriture purent conférer le doctorat. L'examen sur les classiques comportait plusieurs variantes : sur cinq, sur trois, sur deux classiques ; sur un seul classique, mais étudié à fond ; sur les rituels ; sur les historiens... On proposait aux candidats des citations à identifier ; on les interrogeait sur le sens général des textes ; on leur posait enfin de longues questions auxquelles ils devaient répondre sous forme de ce que nous appellerions des dissertations, dont un certain nombre nous sont parvenues. Grâce aux Traités des examens, des fonctionnaires et de l'armée, du Xin Tang shu, ou Nouvelle Histoire des Tang, que traduisit et publia R. Des Rotours, nous pouvons étudier dans le dernier détail ce que fut alors ce confucianisme figé en fonctionnariat.
Les grands romans chinois ultérieurs, comme le Jin Ping Mei ou le Rulin wai shi, la Chronique indiscrète des mandarins, et nombre de documents littéraires tant chinois qu'européens, nous ont familiarisés avec le type du mandarin cruel, vaniteux, incompétent, prévaricateur. On avait pourtant pris mainte et mainte précaution pour éviter ce genre de dégénérescence.
D'abord en élargissant le recrutement de façon que les fils de grande famille ne fussent pas seuls à se présenter aux concours : enfants pauvres mais doués, ceux qu'on appelait le tribut des provinces, et que les sous-préfets ou préfets avaient déjà recrutés par examen dans leurs ressorts, participaient au grand concours, espèce d'équivalent de notre Concours général. Toutefois, à la différence de notre Concours général qui ne décerne que des prix honorifiques, ces examens chinois étaient de recrutement, comme nos agrégations de droit, de lettres, de médecine ou de sciences, comme notre inspection des Finances, nos anciens concours d'accès aux Affaires étrangères, qui du reste en sont une imitation délibérée, ainsi que le Civil Service des Anglais. Selon l'examen qu'on passait et le rang qu'on y obtenait, on entrait à un certain niveau dans la hiérarchie, laquelle comprenait de nombreuses classes, et, dans chaque classe, des échelons.
Ce n'est pas tout : une fois cadré, le fonctionnaire qui briguait une promotion subissait diverses épreuves théoriques ; après quoi, on lui faisait passer un oral : belle occasion de contrôler ses manières. On ne négligeait pas même son talent, sa vertu, ses mérites acquis. Réussissait-il, on lui offrait trois postes, comme chez nous, naguère encore, aux maîtres de conférences en faculté ; les refusait-il tous les trois, il perdait tous ses droits, comme le maître de conférences. En Chine, il devait en outre se présenter aux prochaines épreuves.
Ce n'est pas tout : chaque année, on notait tous les fonctionnaires, en les jugeant d'après les quatre qualités et les vingt-sept perfections imaginables, en tout cas imaginées. De supérieur-supérieur à inférieur-inférieur en passant par supérieur-moyen, supérieur-inférieur, etc., on vous évaluait selon un système minutieux qui vous destinait automatiquement à une promotion de rang ou de salaire, à moins que ce ne fût à une amputation de salaire, et à rétrograder. Système tatillon, tant qu'on voudra, mais qui semble supérieur aux nôtres où, veut-on se débarrasser d'un fonctionnaire incapable, on le promeut ; l'anglais dispose même d'un mot pour ça : to kick up faire progresser à coup de pied au derrière. En 800, l'un des sujets de dissertation pour le titre de lettré accompli proposait aux candidats un texte de Confucius Entretiens familiers, XVII, 2 qui affirme que les hommes se ressemblent par leur nature, se distinguent par leurs habitudes. Celui qui deviendra l'illustre poète Bo Juyi 771-846 remit une composition qui nous est parvenue, et que traduisit R. Des Rotours. Le ton poétique de la copie ne nous en cache pas le ressassement perpétuel, qui est la loi de toute orthodoxie.
Pour les élus, les fonctions ne manquent pas, dont plusieurs périlleuses : grands conseillers de droite de l'empereur, conseillers censeurs de droite de l'empereur, fonctionnaires de droite chargés de reprendre les omissions de l'empereur, fonctionnaires de droite chargés de reprendre les oublis de l'empereur, etc.

Conséquences et réactions

Tout ce qu'on peut dire en faveur de ce système, et le peuple à ce propos ne se trompait guère, qui faisait aux concours une confiance excessive peut-être, mais significative, c'est que ce mode de recrutement et de promotion évitait de confier le privilège d'administrer à la seule aristocratie héréditaire ; qu'il réalisait – malgré tout – une forme de sélection, qu'on ne peut dire démocratique au sens rigoureux du mot, puisqu'elle ne donne au peuple aucun pouvoir et que le fonctionnaire n'est qu'un serviteur du prince, mais qui ne condamnait pas le peuple à ne jamais fournir ses propres magistrats. Dans cette tchine à la chinoise, que subsistait-il de l'esprit du confucianisme, de ces libres propos échangés au bord d'une rivière, entre maître et disciples, sur la culture intime ou les réformes politiques ? Devenu ministre de la Justice, Bo Juyi demeura fidèle aux exigences les plus rigoureuses de la doctrine, car il n'oublia jamais le petit peuple dont il sortait, dont il évoqua la misère en poèmes émus, en proses vengeresses. Néanmoins, on peut et doit se demander si la récitation par cœur des classiques et leur commentaire orthodoxe constituaient la meilleure préparation possible à gouverner un immense Empire, bureaucratique et centralisé. Et comment une philosophie de la bienveillance pouvait-elle tolérer le code pénal, si féroce parfois, de la Chine impériale ? Du point de vue technique, la réponse d'Étienne Balazs dans sa traduction du Traité juridique du Souei chou est tout à fait pertinente : La ratification des peines était de la plus haute importance pratique. Dans un régime où l'exercice de la justice était confié à des fonctionnaires-lettrés sans formation juridique spéciale, le tarif des pénalités, avec sa gradation numérique exacte, permettait de trouver rapidement et sans difficulté la peine correspondant aux différents délits. Soit. Mais du point de vue moral ? Du point de vue de ce généreux que doit tendre à devenir un disciple de Confucius ?
Chez certains hommes de qualité, le confucianisme survivait cependant comme état d'esprit et discipline morale. Au moment même où le bouddhisme semblait triompher, il se trouva au moins un Kong Yingda 574-648 pour proposer des textes confucéens un commentaire, ou plus exactement un sous-commentaire, de tendance matérialiste (accusant par conséquent ce qu'on peut considérer comme le positivisme du maître, et un Han Yu 767-824 pour célébrer le confucianisme dans son essai Sur l'origine de la voie ; pour déplorer, dans son Discours sur les maîtres à penser, qu'on ne transmette plus de maître à disciple le dao confucéen ; pour souhaiter qu'on ne jure point par les paroles d'un seul maître, puisque Confucius, lui, était le disciple de six maîtres au moins ; et pour censurer, au péril de sa vie, l'empereur qui avait participé à une procession au devant d'une relique du Bouddha. Ce même confucéen n'hésitait pas, en sa qualité de préfet, à défier jusqu'aux crocodiles qui avaient envahi la province : Devant des crocodiles, consentirais-je à baisser la tête et ravaler mon cœur ... afin de conserver si indignement ma vie ? Il proposait de restaurer dans toute leur vigueur les doctrines de Confucius et de Mencius, ce qui pour lui signifiait séculariser tous les moines et toutes les nonnes, confisquer leurs temples et monastères. Amis de Han Yu, les écrivains Liu Zongyuan et Li Ao annoncent eux aussi le jour où la vérité, si longtemps offusquée, délaissée, pourra bientôt se transmettre à nouveau.

Le néo-confucianisme


Après la proscription du bouddhisme en 845, suivie d'une laïcisation des religieux – mesures que commandait la puissance économique et financière monstrueuse qu'avaient acquise des couvents théoriquement voués à la pauvreté –, un confucianisme retrouva l'occasion de se transmettre, mais méconnaissable, à quel point métamorphosé sous l'influence de la pensée bouddhiste.

Formation de la doctrine

P. Demiéville a signalé que Han Yu lui-même, qui condamne sans nuance ni réserve le bouddhisme, n'aurait probablement point écrit comme il fit en faveur de la « voie » confucéenne si une littérature bouddhiste en langue vulgaire, d'où sortiront le théâtre et le roman chinois n'avait profondément agi sur les lettres traditionnelles.
De la même façon, Zhu Xi ne condamnera le bouddhisme que pour mieux présenter un confucianisme imprégné de cette métaphysique qu'apparemment il réprouve.
Précurseur de ce néo-bouddhisme, Zhou Dunyi 1017-1073 écrivit un Traité du faîte suprême qui s'ouvre sur une phrase longuement controversée : wu ji er tai ji, mais où il semble bien qu'il faille comprendre que le sans-faîte, wu ji des bouddhistes l'illimité, l'infini, c'est, en fait, er, le faîte suprême, tai ji, où les confucéens voient leur absolu. Bref, les deux absolus censément ennemis ne le seraient point du tout. Ce penseur n'était ni le premier, ni même le second à vouloir réformer le confucianisme. D'autres avant lui venaient de le tenter dans un tout autre sens : Hu Yuan 993-1059 et Sun Fu 992-1057 par exemple, qui condamnent le système des examens tel qu'on le pratiquait alors. Fortifier les frontières, irriguer les terres, nourrir et vêtir le peuple, voilà qui importait infiniment plus que la récitation de formules quasi sacrées. Et foin d'une culture exclusivement littéraire, car elle ne prépare pas à bien gouverner l'Empire !
Sous les Song, certains hommes d'État tentèrent d'appliquer ces principes : le Premier ministre Fan Zhongyan 989-1052 notamment, qui décida que les copies des examens seraient anonymes, et donna le pas à l'histoire sur la poésie, à la science politique sur la littérature dans la formation des futurs fonctionnaires. Un peu plus tard, les deux frères Cheng demandèrent qu'on en revînt à la vraie pensée de Confucius et de Mencius, et, du même mouvement, qu'on en finît avec la grande propriété, qu'on adoptât le système du puits, qu'on luttât efficacement contre la misère et la famine. Plus radicale encore la réforme la révolution, pour mieux dire préconisée puis commencée par un contemporain de Zhou Dunyi, ce Wang Anshi 1021-1086 sous qui, d'après les chroniques chinoises, la terre trembla. Il fit notamment rédiger une édition glosée à neuf des classiques confucéens, qui devint la seule orthodoxe ; mais il se trouva bientôt en butte aux attaques de ceux des confucéens pour qui la bienveillance l'emporte sur la justice, et qui n'acceptaient pas les moyens énergiques, c'est-à-dire peu vertueux, dont le ministre entendait se servir pour réaliser des réformes qu'on qualifie parfois de socialistes, et que le régime du président Mao présentait en effet comme une première étape vers la justice sociale. Il dut céder le pouvoir.
Dès lors, au lieu de se rappeler constamment que partage, distribution, voilà les fleurs de l'humanisme, les néo-confucéens de la dynastie Song, échaudés par cet échec de l'action politique, se replient vers la métaphysique. C'est le temps de Zhu Xi 1130-1200, dont les éditions et les commentaires des classiques remplaceront, dès 1313 et jusqu'au XXe siècle, dans tous les concours officiels, les gloses de Wang Anshi ; Zhu Xi qui non seulement mit au point un nouveau corps de classiques, le Si shu, les Quatre Livres Mencius y devient enfin canonique, ainsi que le Da xue et le Zhong yong ; Zhu Xi qui compila en outre la Petite Étude, ou Xiao xue, pour vulgariser l'enseignement du Da xue, la Grande Étude.
Quand il mourut, en 1200, après les tribulations à quoi pouvait s'attendre tout fonctionnaire scrupuleux, un annaliste bien pensant écrivit que tous les hérétiques de l'Empire se sont rassemblés pour accompagner à sa tombe l'hérétique par excellence. Quiconque pense est hérétique, dira plus tard Bossuet, fort judicieusement. Quand Descartes mourut : Un sot vient de mourir décréta un bon esprit faut-il croire !. Zhu Xi n'est pas Descartes ; ce serait plutôt le saint Thomas de la Chine : de même que saint Thomas, condamné de ce chef à son époque, voulut concilier la sensibilité chrétienne et la pensée aristotélicienne, le messianisme juif et la logique hellène, Zhu Xi tenta de concilier un absolu bouddhiste, le li, avec la tradition morale de Confucius et de Mencius. Sa conduite calquait celle du lettré, telle que nous la propose le chapitre Ru xing du Mémorial des rites ; mais, comme l'écrivit P. Demiéville, « le vieux naturalisme chinois ne se laissait pas si aisément marier à l'immanentisme indien ». De fait, la dialectique du li et du qi, que l'on peut essayer de traduire en termes platoniciens idée-chose, ou mieux encore aristotéliciens forme-matière, nul jamais ne pourra la déduire d'un texte confucéen, d'une page de Mencius. De même en interprétant le fameux ge wu de la Grande Étude comme si cette expression signifiait : retrouver le li de chaque chose, c'est-à-dire son essence, son en soi, et par là s'approcher du li suprême, obtenir la clarté parfaite, Zhu Xi s'éloigne délibérément d'une pensée qui se réfère toujours à l'expérience et à la réflexion, plutôt qu'à l'illumination, laquelle, en revanche, est bouddhiste.
Il ouvre dans le confucianisme une voie si neuve que bien habile qui saurait y reconnaître la pensée des pères fondateurs, et si peu orthodoxe qu'elle aboutira tout naturellement à l'attitude de Wang Shouren 1472-1529, plus connu sous le nom que lui donnèrent ses étudiants, Wang Yangming. À force de persévérer dans la direction suggérée par Zhu Xi on prétend que sept jours et sept nuits durant il s'efforça de scruter le li du bambou, il obtint l'illumination et sut que ge wu, scruter les êtres, revient à s'analyser soi-même, chacun de nous étant à la fois le sujet et l'objet de la connaissance intuitive : Lorsque vous ne voyez pas ces fleurs, elles et votre esprit entrent en repos. Quand vous les voyez, leurs couleurs deviennent manifestes. Vous savez du coup que les fleurs ne sont pas extérieures à votre esprit. Nous voilà loin du pragmatisme de Confucius, ou des tentations rationalisantes et matérialistes élaborées par certains de ses disciples. Alors que, pour utiliser notre terminologie, le confucianisme de Zhu Xi se rapproche du conceptualisme réaliste de saint Thomas d'Aquin, celui de Wang Yangming – est-ce encore du confucianisme ? – tend à l'idéalisme absolu, au solipsisme. La connaissance intuitive devint l'alpha et l'oméga de sa pensée.

Sous l'influence du bouddhisme, la leçon de choses que constituait l'enseignement de Confucius évoluait en recherche de l'absolu.

Une nouvelle orthodoxie et ses critiques

À la mort de Maître Wang, l'empereur interdit d'enseigner cette doctrine qu'il estimait subversive ; cinquante ans plus tard, les tablettes des deux hérétiques Zhu Xi et Wang Yangming étaient religieusement déposées au temple de Confucius. L'interprétation qu'ils suggéraient du vieux maître deviendra, jusqu'en 1911 et la suppression des examens, le dogme d'une orthodoxie souvent hélas complice de tyrans.
Les esprits libres ne manquèrent point de l'attaquer. Gu Yanwu 1613-1682 condamna chez Wang Yangming des affinités bouddhistes, et des spéculations abstruses sur des notions elles-mêmes hasardeuses. Tous ces néo-confucéens qui discutent de ce que nous appellerions le sexe des anges ne lui disent rien qui vaille, et, à son jugement, ne valent rien : que font-ils pour soulager la misère des petites gens ? Plusieurs autres confucéens de la dynastie mandchoue, que leur audace écarta souvent des histoires officielles de la pensée chinoise – et notamment ou peu s'en faut de la meilleure, celle de Feng Youlan – affirment des thèses analogues : Huang Zongxi 1610-1695, dont le Traité de la monarchie réaffirme les idées confucéennes sur les devoirs du souverain et tient les empereurs mandchous pour des particuliers qui ne méritent et n'obtiennent aucune allégeance ; ou encore Yan Yuan 1635-1704, ennemi du savoir livresque, matérialiste soucieux des humbles, partisan de la tenure des terres selon Mencius, et soucieux d'étendre la terre chinoise au point d'exalter la carrière des armes, ce qui est rare en son pays, mais qui peut à la rigueur s'appuyer sur une au moins des anecdotes que nous livre Sima Qian dans sa vie de Confucius ; Dai Zhen 1724-1777 enfin, qui critiqua vivement la dialectique du li et du qi, et, sous l'influence des jésuites installés à Pékin, se passionna pour les sciences, les techniques, revenant ainsi aux leçons de choses. Tout son savoir ne l'empêcha pas d'être huit fois collé aux examens. Voilà ce que c'est que de faire la mauvaise tête et de ne pas donner dans l'idéalisme quand le souverain a décidé que c'était la seule vérité.
Tels sont pourtant les confucéens authentiques, ceux qui ramènent à la sagesse, à l'action morale, sociale et politique des contemporains, tentés par l'évasion vers la forme, la matière, l'illumination, voire l'illuminisme.

Diffusion du confucianisme

L'impérialisme chinois porta le confucianisme jusque dans la péninsule indochinoise au sud ; au nord-est, dans la péninsule coréenne, d'où la doctrine gagna le Japon. Au XXe siècle encore, le Vietnam en est marqué. Le culte des ancêtres y demeure un des premiers soucis, la piété filiale reste admise comme valeur suprême. On dit parfois que la « grande famille » vietnamienne n'a jamais eu le pouvoir tyrannique que le romancier chinois contemporain Bajin condamne dans sa triologie Jia, La Famille. Un illustre roman vietnamien, le Kim van kiêu, montre pourtant jusqu'où peut se porter chez une fille l'excès de piété filiale : jusqu'à se vendre en qualité de prostituée pour payer les dettes des siens.
Dès le IIe siècle de notre ère, des lettrés vietnamiens allaient briguer dans la Chine des Han les titres officiels. À l'occasion de la seconde invasion chinoise 1405-1427, la diffusion des livres canoniques, interdite jusque-là dans les pays feudataires, y devint obligatoire. La doctrine de Zhu Xi fut inscrite au programme des concours triennaux de recrutement ; elle y resta même en vigueur après l'évacuation du Vietnam par les colonisateurs.
Sous l'impulsion de la politique mongole, le néo-confucianisme se diffusa également vers la Corée, sous le nom de Tjou Tja Hak Étude de la théorie de Zhu. En 1401 monta sur le trône le roi Htai Tjong, qui chassa de sa cour les bonzes, laïcisa une part des biens de l'Église bouddhiste ; grâce à quoi, il fonda des écoles confucéennes. Si la Corée alors dépassa la Chine dans l'art de l'imprimerie, sans doute le doit-elle à ce vrai roi qui abdiqua en 1419 afin de se modeler sur la perfection confucéenne du souverain. Stimulé par cet exemple, Syei Tjong ne toléra plus que trente-six pagodes, fit célébrer selon le rituel confucéen les funérailles de son royal prédécesseur, réforma les instruments de musique et divulgua le confucianisme jusque dans les campagnes, ce que facilita sa réforme de l'écriture, qui réduisait à vingt-huit les caractères 1446. Par la vertu de ces deux vrais rois, au sens confucéen du terme, la Corée prouva que le confucianisme, pareil à bien des institutions humaines, s'il est capable du pis, l'est aussi du meilleur.
C'est même à l'heureuse influence de la doctrine de Confucius que certains historiens attribuent l'essor du Japon au XIXe siècle. Le néo-confucianisme s'insinua dans ces îles dès la fin du XVe, à la faveur d'une confusion ingénieusement entretenue entre confucianisme et bouddhisme. La doctrine se partagea en plusieurs sectes, dont l'une se réclamait de Zhu Xi, l'autre de Wang Yangming en japonais Yōmei, la troisième de l'école chinoise des Han ; Itō Jinsai l'illustra. Asaka Gonsai 1785-1860 restaura la doctrine des dénominations correctes, refusa l'orthodoxie et n'oublia pas le sort des petites gens ; mais un adepte de la doctrine idéaliste de Yōmei, Yoshida Shōin, s'efforça de lier connaissance avec les marins américains de Perry 1854. Il le paya de sa vie. Sakuma Shozan et Katsu Awa continuèrent à soutenir qu'un peuple qui construit des navires capables de marcher contre le vent ne saurait être entièrement barbare. Une fois encore, des hommes de progrès s'inspiraient de Confucius, et le payèrent de leur vie.
S'il est facile de dauber sur les mœurs des mandarins de la dynastie mandchoue, quelle injustice d'oublier que le confucianisme fournit aux Coréens leurs deux rois les plus populaires et les plus grands à la fois, ouvrit l'esprit de certains Japonais aux valeurs des civilisations étrangères, produisit en Chine même des penseurs audacieux, des fonctionnaires intègres, ou héroïques ! Le mot confucianisme recouvre tant de doctrines divergentes, contradictoires, qu'au nom du principe confucéen des dénominations correctes on devrait évidemment y renoncer, ou alors il faudrait préciser en chaque circonstance de quelle variété de confucianisme on parle. On doit donc s'interdire de le condamner en bloc, ce qui ne saurait être que le fait du fanatisme politique, ou de louer en vrac, comme firent nos jésuites des XVIIe et XVIIIe siècles, à des fins apologétiques. Et puis, si la doctrine ne disons point la pratique du confucianisme selon Confucius et Mencius était inéluctablement génératrice d'arriération mentale et de tyrannie, comment expliquer que l'Europe des Lumières s'engoua du Vieux Maître et s'en inspira pour combattre les tyrannies jumelles de l'Église catholique et de l'absolutisme politique ? De La Mothe Le Vayer à Voltaire et aux physiocrates, c'est à qui sera le plus confucéen, parmi ceux qui, pensant mal, pensent mieux que ceux qui pensent bien. C'est à qui fera de Confucius le Socrate, puis le Spinoza de l'Asie.
On comprend que les Chinois de la dynastie mandchoue aient eu, au XIXe siècle et au début du XXe, un sentiment tout contraire : nos Lumières ne considéraient que les lumières de la doctrine ; soumis à des préfets incompétents, à des juges cupides, les Chinois ne voyaient, eux, que les ombres et les vices de la pratique. En vain essaya-t-on de les persuader que les principes restaient vastes et profonds.

Confucius et Mao

Une fois supprimés les examens après la révolution de 1911, Kang Youwei, soucieux de revenir à Confucius et Mencius, voulut en vain faire adopter leur pensée, constitutionnellement, comme religion d'État ; c'est en vain également que Zhen Huanzhang prétendit déduire du confucianisme des principes économiques capables de « moderniser l'Empire du Milieu ». Le confucianisme se releva d'autant plus difficilement des coups que lui porta le philosophe libéral Hu Shi que les meilleurs écrivains de la Chine contemporaine, Luxun, Guo Moruo, Mao Zedong et Bajin en ridiculisaient ou condamnaient la décadence, dont le titre de Maurice Dekobra, Confucius en pull-over, porte chez nous témoignage, cependant que la comédie légère de Lin Yutang, Confucius et Nancy, confirmait en Chine cette désaffection. Encore que Guo Moruo ait brocardé en ses Mémoires le batteur d'estrade qui venait au village marmonner le Saint Édit promulgué en 1671 par Kangxi, il soutiendra en 1945 que Confucius fut champion du menu peuple, voire un partisan de la rébellion armée contre le pouvoir injuste. Plus sévère est Mao Zedong ; élevé par un père confucéen, il conçut contre la doctrine une haine vigilante et se proposa d'en libérer les Chinois ; non toutefois sans s'y référer à l'occasion, comme dans La Nage, poème composé en 1956, et qui s'achève sur ces mots :
Le Maître l'a bien dit, sur les bords d'un cours d'eau :

Allons de l'avant, comme le flot s'écoule !
Le maître, c'est Confucius. Fidèle aux directives de Yan'an, selon lesquelles il faut conserver l'héritage culturel en lui donnant un sens nouveau, le président-poète interpréta en activiste le texte confucéen. Un ancien commentateur ayant glosé la même anecdote en ces termes : L'homme de qualité imite ce mouvement, on voit que, bien éloigné de violer la tradition, le président Mao en perpétua cette fois l'esprit. Radicale, en revanche, la critique de Luxun : dans un essai de 1925 sur L'Étude des classiques, il se félicita qu'il y ait en Chine des analphabètes pour échapper aux dissertations rituelles à huit jambes, dont seul un abruti, à l'en croire, pourrait venir à bout. Il ajouta se démentant : J'ai moi-même étudié les treize classiques, tous. Dix ans plus tard, dans Confucius et la Chine moderne, il reprocha au vieux Maître de s'être momifié en roi très parfait et très saint d'une culture frelatée au nom de laquelle on interdisait aux Chinois l'étude des sciences exactes et des techniques. Il l'accusa également d'avoir écrit que les rites ne descendent pas jusqu'au peuple et de n'être plus que « le saint des puissants ou de ceux qui veulent le devenir. Depuis la révolution culturelle, il semble que le président Mao adopta ces idées outrancières : qu'est-ce que le Petit Livre rouge, sinon le Xiao xue de ce néo-marxisme ? Or, par un retournement dialectique dont nul ne devrait s'étonner, les sujets du président Mao furent invités c'est peu dire à étudier par cœur ce catéchisme de persévérance, comme on faisait jadis et naguère les cinq ou les treize classiques ; à le réciter en famille, cette fois sous la surveillance des enfants, comme jadis on ânonnait par piété filiale les articles du Saint Édit. Des sinologues aussi avertis que MM. Ryckmans et Vandermeersch concluent donc à bon droit que l'essentiel du confucianisme inspire encore le maoïsme : la parole est le fondement de tout, la vertu l'emporta sur la technique. Alors que Staline, dont Mao se feignit sectateur, affirmait qu'en période de construction socialiste « la technique décide de tout, le président Mao enseigna qu'il faut d'abord être rouge et qu'ipso facto on devient compétent. Pour Mao, comme pour sa bête noire, l'homme de qualité n'est pas seulement un spécialiste.
En dépit de tant de secrètes affinités, le maoïsme condamna donc les vestiges du confucianisme. Paradoxalement, le régime de Jiang Jieshi Tchiang Kai-chek célébra pompeusement les anniversaires d'un moraliste qu'il bafoua, alors que la Chine communiste proscrit une doctrine qu'elle illustre à plus d'un égard. Ce ne sont pas les moins curieuses métamorphoses du vieux sage. En tout cas, communiste ou non, la Chine aurait grand tort de renier celui qui fut son instituteur, et à qui tout homme de qualité, toujours et en tous lieux, saura gré d'avoir inspiré la généreuse conduite du lettré.
Ce fut pourtant le cas, durant les saturnales qui se baptisèrent, où qu'on baptisa, révolution culturelle, le moment le plus extravagant étant celui où Lin Biao, préfacier du Petit Livre rouge et dauphin désigné de l'infaillible président Mao, se vit accusé de confucianisme. Il vaut la peine, hélas, de lire ce qu'imprimait Pékin Information dans le numéro du 11 février 1974 : À travers des discussions, tout le monde a bien vu que critiquer Confucius est une partie composante de la stigmatisation de Lin Biao, et que cela constitue une importante lutte politique. En imitant Confucius pour se modérer et en revenir aux rites, Lin Biao tentait vainement de restaurer le capitalisme .... En colportant vertu, bienveillance et justice, fidélité et indulgence, vertus notoirement confucéennes, il attaquait la dictature du prolétariat ; avec se tenir dans le juste milieu, contresens délibéré pour milieu juste, ce qu'atteint l'archer qui frappe le centre de la cible, ... il contrecarrait la philosophie marxiste de la lutte ; en se servant de la philosophie réactionnaire de la vie que professaient Confucius et Mencius, il complotait et menait des activités inavouées ...; en recommandant à son fils le culte de Confucius et l'étude du canon confucéen, il rêvait d'établir la dynastie héréditaire des Lin, et ainsi de suite. Bref, Lin Biao est bien le disciple de Confucius et de Mencius.
Toutes ces inepties furent récitées, amplifiées en France par les maos, les intellectuels surtout, alors qu'il aurait suffi de savoir lire pour tirer de Critique de Lin Piao et de Confucius, paru en 1975, l'humble, l'évidente vérité : la clique au pouvoir, atteinte de paranoïa, accusait de la rage tous ceux qu'elle voulait perdre, et vouait aux gémonies ceux qui, comme le signataire de cet article, avaient durement condamné Lin Biao quand il était encore l'idole numéro deux de la prétendue révolution culturelle... Pour les esprits curieux, qu'ils se reportent donc à l'annexe bibliographique de cette édition renouvelée : Les Saturnales de la révolution culturelle.

Liens

http://www.ina.fr/video/VDD09029987/l ... ciete-chinoise-video.html Retour de Confucius en chine
http://youtu.be/el3i3TfNg-I Confucius le film (Anglais)
http://youtu.be/XTk1fOSeLik Cours de Anne Cheng sur Confucius


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Posté le : 27/09/2014 21:05
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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