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Re: défi du 5 juillet 2014
Plume d'Or
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Je vous offer ce texte et je reviens. Bravo à tous !


Quand l'homme pénétra dans le Bistrot du Coin, Ginette était assise à une table, sirotant un vin blanc parmi la foule que le mauvais temps avait fait se réfugier dans l'établissement. Elle le remarqua aussitôt comme si elle avait reconnu en sa figure rechignée, quelqu'un qui lui était familier. Il paraissait parfaitement à son aise dans ce milieu et se déplaçait parmi les tables comme s'il fût un vieil habitué de la maison. Cet homme semblait, avec ses puissantes épaules, pouvoir soutenir la voûte du ciel et paraissait même y avoir réussi, à en juger par la courbure de son dos. Sa chevelure blanche le vieillissait mais allait bien avec l'intelligence de son front largement coupé et adoucissait l'aspérité de son visage.
Il s'assit à une table, en face de la banquette de Ginette. Il sortit de sa poche un cigare qu'il se mit à fumer en attendant patiemment que quelqu'un vînt lui demander ce qu'il désirait. Marinette, la patronne, arriva enfin et, toujours économe quand il s'agissait de ses paroles, elle lui lança simplement :
« Et pour monsieur ?
- Un café, s'il vous plaît. »
Elle acquiesça, s'en retourna derrière son comptoir et rapporta la commande qu'elle posa sur la table, non sans faire un signe imperceptible à Ginette, pour lui rappeler qu'elle n'autorisait pas les filles à distraire - ni soustraire - les clients de son bistrot. Ginette n'y fit pas attention. Elle n'avait d'yeux que pour cet homme qui ne semblait pas s'apercevoir de sa présence. Il était plongé dans des pensées que l'on devinait être lointaines et douloureuses. Son regard suivait la fumée de son cigare, sans y voir à travers les volutes, le visage de Ginette. Il semblait avoir bu jusqu'à la lie, une vie qui l'avait enivré, et maintenant, ici, seul, sans un sourire, il attendait, en fumant, que sonnât l'hallali. En ce morne après-midi pluvieux, il se sentait plus vieux. Il songeait à son indocile débauche, son incontrôlable corruption qui lui faisait chercher dans les bas-fonds de la prostitution les femmes les plus veules, les plus repoussantes, les plus immondes, celles dont on s'écarte, qui font fuir le monde, celles, enfin, qui en sont arrivées à ne rien refuser pour une chère frugale, ni la boue, ni la fange, ni même l'abjecte gale, qui sont prêtes à tout et qui à tout se prêtent, pour partager gaiement avec l'homme qui passe, l'ordure de ses goûts et l'horreur de ses jeux.
Accoudé sur la table, épuisé, traqué, n'ayant plus sur lui, que quelques miettes de son bien qu'il avait mangé et, devant lui la misère, il tirait sur son cigare, y aspirant chaque bouffée profondément, avec une volupté désespérée. Il avait, durant les années passées, vécu plongé dans son vice sans jamais douter que ses passions ne pussent être autre chose que le résultat de la corruption de son âme : il s'était cru mauvais depuis que le monstre qui vivait en lui, par un beau soir d'automne, s'était montré, lui faisant oublier sous ses cheveux blancs que lorsqu'il était blond, il avait été bon. Mais aujourd'hui, dans ce Bistrot du coin, jamais, sous les rayons des lanternes, ne s'était accoudé un homme plus indocile à son destin. Il osait se dire qu'il n'était pas foncièrement mauvais et s'il n'était pas maître de sa personne, c'était qu'une force incontrôlable lui dictait sa conduite et le poussait à se vautrer dans l'ordure. Cette force lui insufflait des passions abominables, des jouissances innommables qui ne pouvaient que le mener au tombeau.
Il eut soudain, sous ses yeux presque aveuglés par la fumée, la vision d'un coq majestueux et fier qui se débattait frénétiquement tandis qu'une main lui tranchait le cou avec un long rasoir : la gorge ouverte laissait échapper des flots de sang qu'éclaboussaient ses ailes qui battaient. Ses pattes étaient liées avec un vieux morceau de ficelle et chaque fois qu'il voulait se relever, il retombait sur sa gorge béante. Mais il continuait de battre des ailes.
De son côté, Ginette ressentait un trouble inconnu dont elle ne comprenait, ni le sens, ni la raison. Elle se sentait les mains chaudes et comme une vague et inhabituelle nécessité intestinale. Son corps était glacé et ses ovaires lui faisaient mal. Elle songea à rentrer chez-elle mais elle n'était pas suffisamment fatiguée pour supporter la solitude. À vrai dire, ce vieil homme l'intéressait et elle ne pouvait se résoudre à partir.
Elle profita d'une éclaircie dans la tabagie pour saluer l'inconnu avec la même coquetterie et la même affabilité qu'une autre, à sa place, eût réservée à un jeune homme. Le vieillard en parut touché : il ne semblait pas s'être attendu à rencontrer dans cet endroit où le destin l'avait conduit, une créature aussi déférente. Il se força à lui rendre son salut et souffla une grosse bouffée de fumée qui forma une atmosphère opaque et lénitive. Il n'avait pas manqué, malgré les pensées dévastatrices qui occupait son cerveau, de remarquer la beauté de la jeune prostituée. Immobile, il la regardait par en dessous, en se demandant si c'était les sous qui avaient, de cette femme, fait la fille.
Comme si cette pensée eût été captée télépathiquement par Ginette, celle-ci se leva, fit un pas jusqu'à sa table et lui tendit la main en disant : « Je m'appelle Ginette, et si vous avez besoin de quelque chose dans le quartier, ne vous gênez pas ».
Le vieillard s'était mis sur pieds, la mine renfrognée. Il inclina la tête, déclina son identité : « Monsieur Dupoix, retraité », puis fit mine de l'ignorer mais il se ravisa et l'invita à s'asseoir.
« Pardonnez-moi, mademoiselle, mais…
- Ginette ! Coupa cette dernière.
- Ginette, répéta-t-il, sagement, pourriez-vous m'indiquer où je pourrais trouver à me loger ? »
Elle fut surprise par cette question : elle ne s'attendait pas à ce qu'il fût sans-abris, pourtant, elle ne fut pas prise de court et répondit :
« Si ça ne vous dérange pas d'habiter où je travaille, il y a une chambre sur mon palier qui doit se vider demain : Nadine, la locataire, part à Alger travailler dans une maison. Vous vous rendez compte, ajouta-t-elle, sur un ton à la fois rêveur et effrayé, aller si loin pour entrer en maison !
- Elle verra du pays.
- Ah ! ça, vous pouvez le dire, il y a là-bas un grand désert et on raconte que les femmes y sont voilées de la tête aux pieds.
- C'est authentique.
- Vous y avez été ?
- Oui.
- Ça doit être mystérieux, ce pays-là !
- En effet.
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Vous acceptez ?
- Quoi ?
- La chambre ? »
Il avait oublié la chambre. Il hésitait.
« Vous savez, d'abord, c'est pas sûr que vous puissiez l'avoir ! dit Ginette.
- Ah ! fit monsieur Dupoix, piqué, pourquoi donc ? Ne venez-vous pas de me dire que…
- Oui, mais l'immeuble appartient à Marinette, la patronne. Il faut lui demander la permission.
- Alors, répondit Dupoix, si vous voulez bien vous en occuper, j'accepte.
- Attendez-moi là. »
Monsieur Dupoix la suivit des yeux. Elle traversa la salle au milieu des habitués qui s'écartaient poliment pour lui faire de la place et elle alla se pencher au dessus du zinc pour parler à Marinette. L'expression de cette dernière n'indiquait rien qui pût permettre de deviner sa réponse. Dupoix dut donc attendre patiemment le retour de Ginette.
« Alors ? fit-il, lorsqu'elle fut revenue.
- Elle veut bien que vous l'occupiez tant qu'elle n'en aura pas besoin. Pour le prix, on en discutera plus tard.
- Oui, oui, bien sûr… pourvu que ça ne coûte pas trop cher. »
Pour la seconde fois Ginette fut surprise par le dénuement que lui laissait entrevoir l'inconnu.
« Ah ! dit-elle tristement, avez-vous donc si peu que vous ne pourriez pas vous payer une chambre dans un hôtel de passe ?
- Moins, encore.
- Moins encore ! fit-elle écho. Alors vous n'avez rien.
- Moins que rien.
- Vous êtes ruiné.
- J'ai tout perdu. »
Elle fixait sur lui un œil étonné et ses lèvres brûlaient de questions qui s'y consumèrent de n'avoir pu s'en échapper à temps.
« Vous n'avez pas d'enfants ? lui demanda-t-elle, naïvement.
- Même pas de parents.
- Bon ! Eh bien, on en discutera plus tard. En attendant, ce soir, vous dormirez chez-moi. »

Monsieur Dupoix suivit Ginette dans la rue des Déchargeurs où se trouvait l'immeuble dans lequel elle habitait. Il se maintenait à un pas derrière elle, comme le fait un chien. Les bonnes gens du quartier qui passaient sur le trottoir ne manquaient pas de jeter sur lui un regard curieux. Certains le fusillaient de leurs yeux hostiles, d'autres qui eussent désiré être à sa place, l'enviaient.
Durant ce parcours, Dupoix se reprochait d'avoir accepté l'invitation de Ginette sans s'être accordé au préalable un instant de réflexion et se demandait maintenant si la généreuse hospitalité de cette fille n'était pas un prétexte, ou ne cachait pas un dessein. Bien qu'il fût tenté de croire à la pureté de ses intentions et à son bon cœur, il ne pouvait s'empêcher de trouver tout cela un peu étrange. Bah ! se dit-il, que peut-elle me vouloir ? En supposant qu'elle veuille de l'argent, ce qui est peu probable, car je lui ai avoué l'état de mes finances, j'aurais la ressource de m'en aller.
La maison était située à environ trois cents mètres du Bistrot du Coin et ils y arrivèrent avant qu'il pût émettre en lui-même d'autres réserves sur la situation. Toujours derrière elle, il monta l'escalier de l'hôtel. Les marches, pavées de carreaux rouge et bordées de bois, étaient larges et propres. Un odeur d'essence et un relent de cassoulet toulousain remplissaient la cage.
Ginette, arrivée au deuxième étage, prit à gauche et marcha jusqu'au fond du couloir. Elle ouvrit la porte et invita le mystérieux monsieur Dupoix à entrer. Il hésita un instant dans l'embrasure avant de s'avancer dans la pièce carrée qui était meublée du lit, d'une vieille armoire et d'une petite table ronde en érable recouverte d'une couche de vernis. Il n'y avait que deux chaises placées étroitement contre le bord de la table. Dupoix en saisit une par le haut du dossier. Ginette referma la porte et les odeurs de cuisine disparurent. Il se sentit alors miraculeusement plongé dans une calme atmosphère, totalement isolée du monde extérieur, l'atmosphère lourde et humide, lui semblait-il, d'une lointaine planète inhabitée. L'air était empli du parfum de Guerlain et de celui, plus profond, de Ginette. Il n'osait rien dire. Il se sentait la tête vide. Ginette s'approcha de lui pour poser son sac à main sur la table. La robe de la jeune femme était ample et valsait au moindre mouvement. Il reçut sur son visage l'odeur des régions de la peau dont les lavages rapides n'étaient venus à bout et dont la transpiration en accélérait les effluves qu'elle rehaussait par ses relents musqués. Le cœur de Dupoix se mit à battre plus fort. Il songea qu'il pouvait, en tendant la main, toucher la petite, mais il n'osait pas.
« Vous avez l'air triste, fit Ginette.
- Pis encore ! dit-il, pour ne rien dire.
- Tu veux que j' te… ?
- Non ! ! cria-t-il, en se levant d'un bon. »
Elle esquissa un geste de dépit.
« Vous êtes singulier, reprit-elle, je vois bien que vous me désirez : alors pourquoi qu' vous voulez pas ? J' vous ferai pas payer.
- Pourquoi feriez-vous cela ?
- Cela ne m'usera pas. Et puis, si ça me fait plaisir, à moi, qu'est-ce que ça peut vous faire ? Vous n'avez qu'à en profiter. »
Ces coquetteries et cette bonne volonté, il les connaissait déjà. Il se disait : « Vous êtes toutes les mêmes ! Vous prétendez vendre le plaisir mais vous ne savez même pas ce que c'est ! Le plaisir c'est le vice ! Dans le domaine souterrain du mal, le péché s'en prend à la nature, et, transgressant ses lois, transforme en animal l'homme malgré sa foi. Je veux renoncer à tout cela ! Je ne céderai pas. » Et, tout haut, il lui répondit :
« Vous ne savez pas qui je suis, ni ce que je suis… »
Elle essaya de lui faire comprendre par une étreinte légère qu'elle ne comprenait rien à ce qu'il disait et que d'ailleurs, elle s'en fichait complètement.
« Allons, dit-elle, en sentant les muscles du vieillard se raidir sous ses doigts, vous le voulez ! »
Il comprit à son tour qu'elle avait raison. S'il ne fuyait pas immédiatement, c'en était fini de ses bonnes résolutions. Il se jeta de côté et se leva. Il fit quelques pas dans la chambre, perdu dans ce « mouchoir de poche » comme dans une immense forêt. Il se retrouva devant le lit qui se retrouvait partout. Il s'y laissa tomber, trop las pour s'enfuir. Il ne voulait plus se rendre coupable des actes excessifs et bizarres qui le damnaient. Anéanti, il s'entendit lui dire :
« Vous êtes charmante. Je vous en prie, renoncez à cela. Oh, je suis aussi sensible qu'un autre et c'est vrai que ma chair, par faiblesse, réagit de la sorte quand vos mains me caresse… Mais si vous saviez ce que je sens ! Aujourd'hui, avant notre rencontre au bistrot, j'ai eu peur ! J'ai couru et je me suis caché ! J'ai pleuré… Je pleure depuis vingt ans des larmes faites de sang, empestant l'excrément, l'urine et le remords. Aujourd'hui, justement, une femme, comme vous, après m'avoir reçu, quand mes sens ont parlé, se trouva si déçue, qu'elle se mit à crier « À la garde ! Au secours ! » et voilà donc pourquoi depuis des heures je cours. Je vous remercie de vos amabilités, mais, n'allons pas plus loin, car sans formalités, je préfère m'en aller. »
Ginette le regardait avec des yeux fumeux et incrédules tandis qu'il allait s'asseoir loin d'elle. Le visage de la fille avait pâli et il regrettait qu'elle voulût s'avilir de la sorte. Soudain, il nota sur sa figure une nouvelle expression qui fit naître en lui des sensations emmêlées et confuses ; il voyait dans ce visage quelque chose de déformé et de lascif ; ses lèvres se tordaient en s'étirant en arrière comme les babines d'une louve qui grogne à l'approche du mâle, laissant voir ses dents blanches. Il lut dans cette grimace involontaire, non pas de l'hostilité, mais une douleur dont il ne devina pas de suite la cause, mais qui lui rappela un spectre familier.
Ses raisonnements prirent un tour de conclusions inverses. C'était de sa faute en somme, encore de sa faute, toujours de sa faute ! S'il en était arrivé là c'était qu'il désirait en arriver là : personne ne l'avait obligé à suivre Ginette. Il était venu de son propre gré. Quelle stupidité de réfréner ainsi, par des retards de puceau, les élans de cette fille. Ses craintes diminuèrent. Il sourit pour la première fois. Après son anéantissement, il se sentit renaître.
Ginette qui l'avait suivi des yeux, revint près de lui et, sans prononcer un mot, posa sa tête sur ses genoux.

Lorsque monsieur Dupoix se réveilla, il écouta avec surprise la pluie qui tombait à verse sur le toit. Pendant une seconde il ne sut plus où il était ni, qui il était. Et, comme il sentit sa main soudée au ventre de Ginette, il fut inondé par un sentiment oublié depuis longtemps. Elle avait été à lui. Il ne sentait plus sa soif de venger les offenses qui lui avaient été infligées. Il pardonnait au monde entier cette rancune qu'il avait amassé de femme en femme. La possession de cette petite était un charme puissant qui l'avait guéri de la haine. L'accouplement de leurs vices avait été purificatoire et la mort qu'il lui avait infligée avec son rasoir, rédemptrice.
L'homme regarda la fille et ce fut avec une angoisse étouffante qu'il se mit à contempler sur le ventre de la prostitués, les restes de la débauche de la veille, mêlés au sang coagulé de sa blessure vermeille...




Posté le : 05/07/2014 17:36
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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Ben alors ! Quelle bonne surprise que vous ayez aimé ce texte. Merci. Vous etes tous rès gentils.

Posté le : 04/07/2014 03:24
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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Mes chers amis, pardonnez si j'ai beaucoup commenté et pas très savamment, mais comme c'était mon tour de presenter le défi, je crois avoir joint l'utile à l'agréable. Bref. Bravo à tous. Vous êtes tous bourrés de talent.
Voici ma contribution. Je sais (je vous connais tous) que vous serez plus qu'indulgent avec moi. Merci. Bises à tous.



Poussée par le brûlant et volatil délire que provoque le désir sur le point d'être assouvi, elle lança un cri.
Trois heures plus tôt, elle avait attendu dans un état d'excitation grandissant, l'heure de se rendre au Dream Motel, le lieu habituel de leurs rendez-vous. Durant ces rencontres, dans une chambre minable, ils passaient leur temps à satisfaire leur vice. « Vice » était bien le mot qui décrivait ce à quoi ils s’adonnaient ensemble. Lui, avait les instincts d'un animal qui le transformait en une brute quand il la possédait. Elle, ceux d'une nymphomane que ses sens avaient détraquée. Le plaisir n'était jamais, ni suffisant, ni suffisamment grand. Entre eux, rien n'existait d'autre que le cycle durant lequel ils se joignaient et se séparaient au rythme du battement puissant de leur sang.
La beauté d’Edwina Edwards était de celles qui font écarquiller les yeux des hommes avant de leur faire perdre la tête. Sa physionomie, cependant, contenait une impureté, semblable à celle que certaines roches cristallines portent en leur cœur, une impureté que les gens du métier nomment un « crapaud », et qui fait d’un diamant un vulgaire morceau de verre. Le vide reflet d’Edwina devait être en quelque sorte, la cause de son dérèglement, supposition basée sur la possibilité que le profil génétique responsable de ce type de beauté - trésor sans valeur -, puisse aussi participer à l'exacerbation des sens. " La beauté du diable " n'est certainement pas une expression vaine : derrière les chefs d'œuvres de la nature se cachent les démons surgis du tréfonds de la terre, et cette femme en était la parfaite illustration.
Dès le début, elle avait su qu'elle allait se donner à lui. Elle avait vu sur son visage les scènes luxurieuses qui devaient suivre, comme si elles eussent été gravées sur sa peau en scarifications sataniques. Quand il était descendu de voiture, et avait ajusté avec une calme affectation son chapeau de cow-boy - la jugulaire pendant sur sa nuque de taureau -, elle avait, dans un mouvement inconscient, écarté imperceptiblement les genoux. Elle l'avait tout de suite reconnu : Bob Markham, le deputy sheriff de Lousym. Elle fit descendre la vitre de sa Cadillac et le regarda sans rien dire. Les yeux de Markham, derrière ses lunettes noires, étaient tombés sur les jambes découvertes de la conductrice. Il en fut troublé mais n'en laissa rien paraître afin de conserver son autorité.
« Hello, sheriff. Y a-t-il un problème ?
- Deputy sheriff, ma'am…seulement deputy. Vous rouliez à quatre-vingt. Cette route est sinueuse, vous risquez d'avoir un accident…
- Je m'excuse, sheriff, je n'ai pas réalisé… Je n'ai pas senti la vitesse… »
En disant cela, elle s'entendait ajouter en elle-même, « Je n’ai pas senti la vitesse mais je sens ton désir. " En fait, Markham était debout si près de la portière qu'elle pouvait le sentir à travers le métal.
« Madame Edwards, je devrais vous dresser contravention. »
Elle lui jeta un coup d'œil. Sa forte taille et sa tête rasée le faisait ressembler à un forçat. Ses petits yeux noirs réfléchissaient une lâcheté qu'il tentait de dissimuler sous des airs arrogants. Son nez trop fin pour un homme de sa corpulence ne pouvait que respirer la bêtise. Enfin sa bouche sans lèvres, au dessus d'un léger double menton, indiquait une nature faible et brutale. Elle nota tout cela mais elle ne vit en lui que ce qu'elle désirait voir et qu'elle imaginait déjà. Elle lui dit sur un ton aguichant :
« Vous pouvez m'appeler Edwina. »
Si Markham était lent d'esprit, il y avait certaines choses qu'il comprenait rapidement. L'ouverture d'Edwina Edwards ne l'avait pas éludé. L'occasion était trop belle pour la laisser échapper. Il retira ses lunettes noires, et sourit.
« C'est bon… Edwina… Un avertissement suffira… »
Ainsi, tout avait commencé par… un " avertissement ". La suite eut lieu dans ce même Dream Motel où elle venait de laisser échapper un cri d'anticipation avant d'être transportée dans l'enfer que son esprit grisé par les sens prenait pour un paradis sur terre.
Les amours illicites éclosent, et se fanent en ces hôtels borgnes où un concierge aveugle est toujours prêt à louer une chambre pour la nuit, la journée, ou n'importe quelle fraction de vingt-quatre heures. Le Dream Motel était l'endroit rêvé pour y venir passer un moment en galante compagnie. Situé dans un coin discret, à environ cinquante kilomètres au nord de Lousym, sa clientèle était surtout formée de femmes mariées, épouses autrement parfaites en dehors de ces écarts de conduite au détour d'un chemin écarté. Elles y trouvaient là un lit, une télévision où passaient des films pornographiques, et un bidet où elles effaçaient, à la fin, le DNA, preuve scientifique de leur faute sans conséquences.

Posté le : 01/07/2014 04:47
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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COUSCOUS,
to histoire m'a transporté dans l'espace. Une forte impression s'en dégage. Le style simple et ferme nous aide à admettre tout ce que tu nous racontes sur des planètes que je n'aurai certainememt pas le temps de visiter. Tu nous conduis jusqu'à la fin, et l'on comprend que certaines amours illicites sont parfois simplement des amours. Bravo. Merci. J'ai passé un bom moment de lecture.
Bises.

Posté le : 01/07/2014 04:38
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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Alexis,
j'ai adoré ton texte. Tu as le don de créer une atmosphère qui enveloppe et nous attire. Encore un auteur "Noir". En fait ton écriture est si puissante que le fond n'.importe presque pas car on vit avec les personnages et le ressenti est tellement fort qu'on ajoute sa propre conclusion à la tienne. Alex, je te l'ai déjà dit tu as un grand talent d'auteur. Merci de ta contribution.

Posté le : 01/07/2014 04:30
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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Aujourd'hui, j'ai à faire un tas de choses. Je passe rapidement pour dire bonjour. Demain à 4 heures du matin je mettrai mon texte mais ne vous attendez pas à un miracle : il est bien moins fort que ce que j'ai lu de vous tous.
Allez ! Je file !

Posté le : 30/06/2014 16:01
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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Mes chers amis, avant de mettre ici, le texte relevant le défi de cette semaine, jevoudrais le préluder par un gentil petit poème qui ne gâche rien. Donc, voici.

Pucelle trois fois putain
Qui m'a refusé sa main
Pour la laisser se signer
Sous la robe du curé.

Pucelle qui un matin
Naturellement revint
Toujours putain, toujours vierge
Et des os bénis émerge.

Cette putain de pucelle
Étrangement n'est plus celle
Qui dans le passé lointain

M’avait refusé sa main.
Elle a perdu sa denture
Durant sa belle aventure.




Posté le : 30/06/2014 02:11
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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"C’est à vous que je parle, ma sœur.
Le moindre solécisme en parlant vous irrite ;
Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite."

(MOLIERE,Les Femmes savantes Acte II, scène 7)

Là, BACCHUS, tu m'as eu ! Contrairement aux merveilleux textes précédents, je n'ai "vu" qu'à la fin. Aucun soupçon.
Double plaisir : te revoir et te lire de nouveau. Ta plume, ivre d'invention, de jeunesse et de beauté nous manquait.
Je crois que ma petite citation de Molière est en parfaite harmonie avec le sujet et ton talent.

Posté le : 29/06/2014 19:46
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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ARIELLE
Tu es génial. Le style lent et mécanique du texte va bien avec le sujet et le renforce. Après une demie-page, ce même style empoisonne l'atmosphère et nous fait nous douter de quelque chose. Mais on ne sait pas de quoi !! C'est là, le plus intéressant. On ne comprend qu'à la fin et même jusqu'au dernier mot.
A part cela, je dois ajouter que le texte est un suspense, digne de Hitchcock ! Arielle, tu as un grand talent d'écrivain. C'est moi qui te le dis !

Posté le : 29/06/2014 19:32
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Re: Défi d'écriture du 28 Juin-
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DONALDO,
Ton texte est vraiment super ! J'aime beaucoup ta façon d'écrire, et je ne sais pas si je te l'ai suffisamment dit ! Je ne sais pas si tu aimes parler de "style" ou si t'en préoccuppe ou pas, mais tes histoires sont dans le "style Noir". Un style à la Claude Chabrol. Et j'adore Chabrol (compliment !) Tes personnages sont simples, vivants, réels. Tu les décris comme ils vivent avec leurs sentiments basement humains. A la fin, une toute petite chute, mais profonde ! Bravo ! J'aime.

Posté le : 29/06/2014 19:13
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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