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Thomas Hobbes
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Le 5 avril 1588 à Westport Angleterre naît Thomas Hobbes

mort, à 91 ans le 4 décembre 1679 à Hardwick Hall, dans le Derbyshire, en Angleterre, philosophe anglais. Son œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté. Ses principaux intérêts sont la Physique, éthique, politique, religion, langage, métaphysique, ses Idées les plus remarquables sont le pacte de soumission, état de nature. Ses Œuvres principales sont Léviathan ; Du citoyen. Il est Influencé par Platon, Aristote, Machiavel, Bodin, Galilée, Descartes. il a influencé Spinoza, Rousseau, Mendelssohn, Maistre,Schmitt. l'adjectif dérivé de son oeuvre est hobbesien, hobbesienne.
Quoique souvent accusé de conservatisme excessif par Arendt et Foucault notamment, ayant inspiré des auteurs comme Maistre et Schmitt, le Léviathan eut aussi une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle, et sur l'étude des relations internationales et de son courant rationaliste dominant : le réalisme.


En bref

Thomas Hobbes appartient pratiquement à la génération de Descartes il naît au moment où la Grande Armada menace l'Angleterre, mais sa longévité il meurt à quatre-vingt-onze ans, la lenteur avec laquelle il élabore son œuvre laissent croire qu'il est venu après lui. En fait, leurs pensées se forment à la même époque et leur rivalité hargneuse tient à leurs ressemblances. Étendant à la pensée, au discours et au désir le mécanisme rigoureux qu'il discerne dans le monde physique et le mouvement animal, Hobbes s'intéresse de manière privilégiée à la morale et à la politique auxquelles il veut donner un véritable statut scientifique. Appliqué à l'analyse des forces en présence dans l'état de nature où « l'homme est un loup pour l'homme », le modèle mécanique conduit ainsi à poser la nécessité de la toute-puissance du souverain et celle d'un État conçu comme une machine parfaitement organisée. Cette conclusion suppose qu'au mécanisme naturel se trouve substitué, par le contrat, sous la forme du commonwealth, de l'État, un mécanisme tout artificiel dont le souverain est l'ingénieur et le maître. La souveraineté en est l'âme artificielle qui donne la vie et le mouvement au corps tout entier. Chaque citoyen, mû par ce mécanisme, accomplit son devoir. La justice et les lois sont une raison et une volonté artificielles. Le commonwealth est fabriqué à l'image de la machine humaine naturelle. Mais il est l'œuvre des hommes gouvernés par le souverain, « ce dieu mortel ». Son véritable sens est de fabriquer l'homme. Let us make man : faisons l'homme. C'est le dernier mot de Hobbes.
La vie de Hobbes, auteur du Léviathan est toute simple et tout entière consacrée à l'étude et à la méditation. Il fait de bonnes études jusqu'en 1608 à Magdalen Hall, à Oxford, avant d'entrer au service des Cavendish, famille puissante, titulaire du comté de Devonshire, à laquelle il demeurera toute sa vie attaché. Les seuls événements marquants de son existence sont les trois voyages qu'il fait en France et en Italie 1610, 1629-1630, 1634-1636, à titre de précepteur et de compagnon, en particulier avec deux futurs comtes de Cavendish. Ces voyages l'ouvrent aux problèmes de la science et de la politique de son temps, tout comme le séjour d'exil auquel il se contraint lui-même de 1640 à 1651, à Paris, où il entre en contact avec tout ce que la ville compte de bons esprits.
Les hommes de sa génération sont encore capables d'un savoir encyclopédique. De fait, on le voit se passionner pour les mathématiques, étudier le problème de la vision, dont il présente une interprétation radicalement mécaniste, dès 1630, dans le Short Tract on First Principles ; il donne, en 1628, une traduction de l'Histoire de Thucydide, à laquelle on se réfère et que l'on réédite encore.
Ce dernier trait met en lumière l'intérêt dominant que Hobbes porte aux problèmes politiques, qui seront à trois reprises au centre de ses œuvres. En 1640, circule sous le manteau des Elements of Law qui constituent une première esquisse de ses réponses. Puis il conçoit une grande somme philosophique, les Elementa philosophiae, qui sont publiés en désordre ; la partie politique, le fameux De cive, qui assure sa réputation, paraît à Paris en 1642, mais la première partie, le De corpore, n'est publiée qu'en 1655 et la deuxième, le De homine, en 1658.
Entre-temps, le célèbre Léviathan, en 1651, rassemble en quelques chapitres les principes de l'anthropologie de Hobbes et présente, une troisième fois, dans une fresque grandiose, ses idées politiques. Entre sa cinquante-deuxième et sa soixante-dixième année, Hobbes aura donné le meilleur de son œuvre.
Après 1660, il écrira encore certains textes polémiques, comme le Behemoth 1660 ou A Dialogue between a Philosopher and a Student of Common Law in England, env. 1666. Puis il ne sortira guère de sa retraite que pour se livrer à quelques disputes mathématiques assez malencontreuses.

Sa vie

Thomas Hobbes raconte que sa mère accoucha avant terme sous le choc de la nouvelle de l'appareillage de l'Invincible Armada. Son père était vicaire de Charlton et de Westport ; il fut forcé de quitter la ville, abandonnant ses trois enfants aux soins d'un frère plus âgé, Francis.
Hobbes reçoit l'enseignement de l'église de Westport dès l'âge de quatre ans, et entre ensuite à l'école de Malmesbury, puis dans une école privée tenue par un jeune homme, Robert Latimer. Hobbes fait preuve d'une précocité intellectuelle remarquable : à l'âge de six ans, il apprend le latin et le grec, et, vers quatorze ans, il traduit en latin Médée, d'Euripide. Il entre à l'Université d'Oxford en 1603, à Magdalen Hall aujourd'hui Hertford College, où il prend la vie universitaire en aversion. Le principal de Magdalen est alors John Wilkinson, un puritain agressif, qui aura une certaine influence sur Hobbes.

À l'université, Hobbes semble avoir suivi son propre programme d'études ; il était peu attiré par l'étude scolastique. Après un rapide engagement dans la marine anglaise, il conclut ses études et obtient le degré de Bachelor of Arts en 1608. Puis, il devient tuteur du fils aîné de William Cavendish, baron de Hardwick et futur comte de Devonshire. Il est chargé de voyager sur le continent avec son élève ; il parcourt ainsi la France, l’Italie, l'Allemagne en 1610, année de l'assassinat de Henri IV de France. De retour en Angleterre, il se met à l'étude des belles lettres, lisant et traduisant Thucydide, son historien préféré. Sa traduction parait en 1628, année où meurt son élève et ami.
Il devient peu après de nouveau travelling tutor que l'on peut traduire en français par « précepteur itinérant du fils du comte de Clifton et retourne sur le continent. Il passe dix-huit mois à Paris, et se rend à Venise. De retour en Angleterre en 1631, il se voit confier le jeune comte de Cavendish. C'est vers cette époque (1629 – 1631 qu'il découvre Euclide et se prend de passion pour la géométrie. Trois ans plus tard, Hobbes et son élève visitent la France et l’Italie et restent huit mois à Paris, jusqu'à l'automne 1637.
Il est alors mis en rapport avec le père Mersenne, qui lui ouvre les portes de la société savante de Paris et l’incite à publier ses ouvrages de psychologie et de physique. Il décrit dans une autobiographie son état de méditation incessante, en bateau, en voiture, à cheval, et c’est en effet à ce moment de sa vie qu’il conçoit le principe de sa physique, le mouvement, seule réalité génératrice des choses naturelles. Ce principe lui paraît bientôt capable de fonder la psychologie, la morale et la politique.

Troubles et chute de Charles Ier

À partir de 1640, l’Angleterre connaît une opposition de plus en plus violente entre le roi et le parlement. Hobbes prend parti pour le roi, il quitte Londres en 1640 pour Paris et y reste en exil pendant 11 ans. Vers 1642, il écrit un petit traité, Éléments de la loi naturelle et politique, en réaction aux événements qui troublent la vie politique, traité écrit en anglais où il s'efforce de démontrer que la puissance et le droit sont liés à la Souveraineté par une connexion inséparable. Le livre n'est pas publié, mais des copies circulent et font connaître Hobbes.
Vers cette époque, René Descartes, alors en Hollande, charge Marin Mersenne de communiquer les Méditations sur la philosophie première pour recueillir des commentaires des meilleurs esprits. Mersenne, ayant fait la connaissance de Hobbes, s'adresse à lui, et Hobbes écrit les Troisièmes Objections, qui sont un témoignage précieux pour l’étude de sa philosophie première. Ses objections sont transmises anonymement à Descartes en janvier 1641. Après d'autres objections de Hobbes, contre la Dioptrique cette fois, transmises par lettres signées, Descartes finit par refuser d'avoir encore affaire à cet Anglois. Il écrit à Marin Mersenne le 4 mars 1641 une lettre ou il affirme :
« je crois que le meilleur est que je n'aie point du tout de commerce avec lui, et pour cette fin, que je m'abstienne de lui répondre ; car, s'il est de l'humeur que je le juge, nous ne saurions guère conférer ensemble sans devenir ennemis. »

Pour sa part, Hobbes, selon les dires de John Aubrey disait de Descartes :
S'il s'en était tenu à la géométrie, il aurait été le meilleur géomètre au monde... sa tête n'est pas faite pour la philosophie.
Après cet épisode, Hobbes reprend ses travaux et publie en 1642 De Cive Du citoyen, où il explique que la solution aux guerres civiles qui secouent l’Angleterre consiste à faire du pouvoir clérical une fonction du gouvernement. Il publiera une édition augmentée de cette œuvre en 1647, au moment où il termine son traité De la nécessité et de la liberté.
En 1647, alors qu'il prévoit de se retirer dans le midi de la France, il est nommé professeur de mathématiques du jeune prince de Galles le futur Charles II qui est réfugié en France. Il exerce ces fonctions jusqu'au départ du prince pour la Hollande, en 1648.

Léviathan.

En 1650, sont éditées contre son gré et séparément, les deux parties des Elements of law natural and politic : la Nature humaine ou les Éléments fondamentaux de la politique, et le De corpore politico. L'année suivante, il regagne enfin l'Angleterre et fait paraître à Londres sa grande œuvre : le Léviathan, qui provoque le scandale. Il est accusé d'athéisme et de déloyauté et rencontre de nombreux adversaires, théologiens et universitaires d'Oxford, tous membres de la Royal Society qui se liguent contre lui. Il soutient ainsi plusieurs disputes, par exemple avec l'évêque John Bramhall, ou avec les universitaires d'Oxford, accusés fort injustement d'ignorance par Hobbes d'où sortiront par exemple les Questions relatives à la liberté, à la nécessité et au hasard 1666. Pendant plus d'un quart de siècle, il y eut ainsi attaques, répliques, en physique avec Robert Boyle sur le vide, dans le domaine des mathématiques avec John Wallis sur l'arithmétique et l'infini, où il apparaît que Hobbes surestimait beaucoup ses découvertes. Ses énormités mathématiques sont ainsi jugées risibles ou pitoyables.
Néanmoins, il ne renonce pas, et publie en 1655 le De Corpore, première partie des Éléments de Philosophie qui contiennent sa philosophie première, sa logique, sa physique et la très controversée démonstration de la quadrature du cercle. En 1658 sort le De homine, troisième partie de sa trilogie, où l'optique occupe une certaine place, et il persiste dans la publication de ses découvertes mathématiques Quadrature du cercle, cubature de la sphère, duplication du cube, 1669 qui sont réfutées par ses adversaires, en particulier par John Wallis. Il doit également se défendre contre les rumeurs selon lesquelles il aurait écrit le Léviathan pour gagner la faveur d'Oliver Cromwell.

La Restauration

Après le rappel de Charles II, Hobbes est accueilli à la cour et devient le familier du roi. Il reçoit une pension de cent livres. Mais cette fortune favorable n'est pas de longue durée. Dans l'entourage du roi, Hobbes compte de nombreux ennemis, et parmi eux des évêques qui entreprennent de réfuter le corrupteur de la morale.
Le 31 janvier 1667, quelques mois après le Grand incendie de Londres, une loi est votée à la Chambre des communes, permettant de prendre des mesures contre les athées et les sacrilèges ; il y est fait mention du Léviathan. La lenteur des procédures sauve Hobbes, qui prépare un plaidoyer, publié avec la traduction latine du Léviathan en 1668. Mais il a surtout de puissants protecteurs, et le roi le soutient à la condition qu’il ne publie plus de livres de politique ou de religion.
Il compose Béhémoth en 1670, puis un dialogue et une Histoire ecclésiastique, et, en 1672, une autobiographie en distiques latins. À partir de 1675, il passe ses derniers jours hors de Londres, chez ses amis de la famille Devonshire. En août 1679, il prépare encore une œuvre pour l'impression ; mais, en octobre, la paralysie l'en empêche, et le 4 décembre, il meurt à Hardwick.
Sur une plaque de marbre noir, on peut lire :
vir probus et fama eruditionis domi forisque bene cognitus.
Selon une anecdote, Hobbes lui-même aurait proposé de graver sur sa tombe :
Voici la véritable pierre philosophale.

La controverse avec Descartes

La controverse avec Descartes se déroule en deux temps ; elle porte d'abord sur la dioptrique de Descartes, puis les Objections de Hobbes aux Méditations métaphysiques. La première est une controverse scientifique. La seconde s'ouvre sur la nature de la substance corporelle ou matérielle, la nature du sujet et les facultés de Dieu lors de la publication des Méditations.
Hobbes prend connaissance du Discours de la Méthode dès 1637. Elle lui a été transmise par Kenelm Digby, alors à Paris. Influencé par Walter Warner, il a alors déjà sa propre théorie de la lumière. La polémique sur la dioptrique débute en 1640 alors que Thomas Hobbes a réfléchi depuis dix ans sur la question. Il envoie ses objections à Mersenne sous la forme de deux lettres, que le père minime expédie à Descartes. La polémique s'étend jusqu'en avril 1641. Depuis la publication du Short Tract, Hobbes est convaincu de la nature corporelle de la substance et rejette l'idée cartésienne de substance spirituelle ou immatérielle. En outre, pour lui, la sensation, par laquelle nous percevons la lumière par exemple n'est pas une pure réception, mais aussi une organisation des données. Sa théorie de la représentation l'amène donc à s'opposer au spiritualisme de Descartes.
La querelle philosophique sur les Méditations s'envenime du fait que les deux philosophes s'accusent mutuellement de chercher une gloire imméritée et se soupçonnent de plagiat. Cette concurrence pousse Hobbes à radicaliser ses positions et à les ériger en système. La querelle se double probablement d'une difficulté sémantique, les termes « esprit » et « mind » ne recouvrant pas en français et en anglais tout à fait le même champ sémantique. Hobbes, comme Pierre Gassendi range l'imagination parmi les facultés de l'esprit ; Descartes l'exclut, mais surtout, pour Hobbes, « la pensée n'est que le mouvement du corps . Mersenne, qui a transmis les Méditations à Hobbes, renvoie ses commentaires à Descartes et par prudence préserve son anonymat ; il se contente de le mentionner comme un philosophe anglais. Dans ses Objections, Hobbes reproche à Descartes un glissement sémantique de je suis pensant à je suis pensée. Selon le même raisonnement, je me promène sum ambulans deviendrait je suis une promenade sum ambulatio, affirme-t-il. Cette objection agace Descartes, qui demande explicitement à Mersenne de ne plus avoir de contact avec son anglois :
Au reste, ayant lu à loisir le dernier écrit de l’Anglois, ... je me trompe fort, si ce n’est un homme qui cherche d’acquérir de la réputation à mes dépens, et par de mauvaises pratiques.
Après quoi, le philosophe de la Haye n'a pas de mots assez durs pour son contradicteur :
Je ne crois pas devoir jamais plus répondre à ce que vous me pourriez envoyer de cet homme, que je pense devoir mépriser à l’extrême. Et je ne me laisse nullement flatter par les louanges que vous me mandez qu’il me donne ; car je connais qu’il n’en use que pour faire mieux croire qu’il a raison, en ce où il me reprend et me calomnie.
La querelle des animaux-machines oppose également les deux philosophes. Pour Hobbes, l'animal même est doué de sensibilité, d'affectivité, d'imagination, de prudence. Il partage encore sur ce point les contestations de Gassendi dont il est très proche; mais au-delà des animaux, cette dispute renvoie en fait à la conception même de la philosophie de Hobbes. Elle se retrouve dans le Léviathan ; le monstre étatique, mécanique, est lui aussi doué de souveraineté, donc d'une âme artificielle, ce que Descartes n'admet pas, voulant réserver ce concept aux seuls hommes.
Plus fondamentalement, l'idée de représentation du monde est au centre de la conception de Hobbes, qui considère les questions du cogito comme supposant d'abord une enquête linguistique ou sémantique, alors que Descartes conçoit la vérité comme étant son propre signe. Quand Descartes prétend se défaire des préjugés de l'éducation et des erreurs des philosophes antiques, Hobbes lui reproche de ne pas critiquer le langage même dont il se sert et de prétendre connaître la vérité sans s'interroger sur les mots dont il se sert. Ainsi, en faisant l'économie d'une critique historique du langage, Descartes créerait à son tour une fiction avec son idée d'âme immatérielle, remplaçant ainsi une erreur par une autre.

Controverses du cartésianisme.De Corpore

Dans la seconde section du De corpore, Hobbes fait l'hypothèse que l'univers est anéanti, mais que l'homme subsiste ; sur quoi cet homme pourra philosopher ?
Je dis qu'à cet homme il restera du monde et de tous les corps que ses yeux avaient auparavant considérés ou qu'avaient perçus ses autres sens, les idées, c'est-à-dire la mémoire et l'imagination de leurs grandeurs, mouvements, sons, couleurs, etc. toutes choses qui, bien que n'étant que des idées et des fantômes, accidents internes en celui-là qui imagine, n'en apparaîtront pas moins comme extérieures et comme indépendantes du pouvoir de l'esprit.
Ainsi, toutes les qualités des choses qui s'offrent à nos sens sont-elles des états affectifs inhérents au sujet. Il n'y aurait rien d'absurde, selon Hobbes, à ce qu'un homme éprouve ces affections une fois que le monde a disparu, après son anéantissement par Dieu. Dans cette fiction, l'esprit n'agit que sur des images, et c'est à elles qu'il donne des noms. Mais, remarque Hobbes, c'est aussi bien ce qui se produit lorsque le monde existe :
Que nous calculions les grandeurs du ciel ou de la terre, ou leurs mouvements, nous ne montons pas dans le ciel, afin de le diviser en parties et de mesurer ses mouvements ; cela, nous le faisons bien tranquilles dans notre cabinet ou dans l'obscurité.
Ces images qui forment l'objet exclusif de nos pensées, peuvent être considérées de deux points de vue : ce sont des accidents internes de l'esprit ou ce sont les espèces des choses extérieures en tant qu'elles paraissent exister. Le premier point de vue concerne la psychologie et les facultés de l'âme ; le second est objectif, puisque ces images de notre imagination composent le monde.

Le Léviathan

Auteur des Éléments de la loi naturelle et politique en 1640, du Citoyen De Cive en 1641 et du Léviathan en 1651, Thomas Hobbes est l'un des premiers philosophes contractualistes qui tente de refonder la légitimité du pouvoir des dirigeants sur autre chose que la religion ou la tradition. Son projet est de fonder l'ordre politique sur un pacte entre les individus, afin de faire de l'homme un acteur décisif dans l'édification de son propre monde social et politique . Sa réflexion politique est fondée sur son anthropologie, qui fait de l'homme un être mû principalement par la crainte et le désir. Il doit ainsi sortir de l'état primitif et fonder un état artificiel sur les bases de la raison : c'est le passage de l'état de nature à l'état civil.
Grand penseur de la souveraineté, Hobbes a opéré une révolution copernicienne par rapport à l'aristotélicisme, dominant dans la pensée scolastique, en faisant de l'état civil un état artificiel, issu du contrat social, et non un état naturel. Pour cela, il s’est approprié le langage de la loi naturelle, au sens scolastique, pour défendre une thèse qui synthétise les deux principales positions qui s’y opposaient la théorie des droits naturels, issue de Grotius et Pufendorf, et le conventionnalisme humaniste. Ainsi, bien qu'il ait pensé les droits naturels de l'individu, Hobbes s'apparente davantage au positivisme juridique qu'au jusnaturalisme. Jean-Jacques Rousseau héritera de cette position, ainsi que de plusieurs autres concernant la souveraineté, refusant, en revanche, la théorie de la représentation exposée en particulier au chapitre XVI sur la personne, qui précède immédiatement le chapitre sur l'institution de l'État.

Psychologie morale

Pour Hobbes, la psychologie est l'étude de la propagation de mouvements matériels qui agissent sur les dispositifs physiologiques nerveux et produisent les réactions et les attitudes. Il défend ainsi une position matérialiste, comparant, dans son introduction au Léviathan, le corps humain à une machine. Concernant l'origine de la connaissance, il défend une position empiriste: toute connaissance provient des sens et de l'expérience, chap. I du Léviathan.
Il s'oppose à la conception traditionnelle du bonheur, qui en fait un état stationnaire, en l'envisageant de façon dynamique chap. XI Le bonheur, pour lui, ne s'oppose pas à un désir inquiet d'acquérir puissances après puissances chap. XI, car seule cette course à la puissance permet de s'assurer que l'on conservera bien son être et ses biens. Ainsi, le conatus, désir de conservation de soi-même, est immédiatement dynamique.
Selon Hobbes, il n'y a pas de bien et de mal à l'état de nature, mais seulement à l'état civil.

L'état de nature

Hobbes est un des premiers à imaginer un état de nature pré-existant à la société humaine, afin d'y déceler comment les hommes y agiraient sans puissance commune qui les maintienne en respect. C'est là une idée déjà ancienne et reprise et instrumentalisée dès le XIIIe siècle, par les adversaires qu'étaient alors le roi Frédéric II et plusieurs papes successifs, pour justifier leur propre pouvoir. Toutefois, cet état de nature est un état mythique et non réel. Hobbes se démarque nettement de la tradition politique qui reposait sur Aristote, pour qui l'homme est un être naturellement politique, et sur Thomas d'Aquin ou Cicéron pour lesquels il existerait une loi naturelle immuable. Il considère l'homme comme sociable, non par nature, mais par accident : c'est par crainte de la mort violente qu'il fait société avec ses semblables. L’état de nature est un état de la guerre de tous contre tous, Bellum omnium contra omnes et l’homme un loup pour l’homme, homo homini lupus, selon une formule de Plaute. – Mais l’homme dans l’état civil pourra être un dieu pour l’homme en tant que, par le contrat, il garantit ce qui ne l’était pas dans l’état de nature : liberté, sécurité et l’espoir de bien vivre. En effet : Et certainement il est également vrai, et qu’un homme est un dieu à un autre homme, et qu’un homme est aussi un loup à un autre homme. L’un dans la comparaison des Citoyens les uns avec les autres ; et l’autre dans la considération des Républiques ; là, par le moyen de la Justice et de la Charité, qui sont les vertus de la paix, on s’approche de la ressemblance de Dieu ; et ici, les désordres des méchants contraignent ceux mêmes qui sont les meilleurs de recourir, par le droit d’une légitime défense, à la force et à la tromperie, qui sont les vertus de la guerre, c’est-à-dire à la rapacité des bêtes farouches, De Cive, Epître dédicatoire
L’état de nature ne doit pas être compris comme la description d’une réalité historique, mais comme une fiction théorique. Il n'a peut-être jamais existé, mais il est une hypothèse philosophique féconde, une construction de l'esprit qui vise à comprendre ce que nous apporte l'existence sociale. Il représente ce que serait l'homme, abstraction faite de tout pouvoir politique et par conséquent de toute loi. Dans cet état, les hommes sont gouvernés par le seul instinct de conservation, que Hobbes appelle conatus ou désir. Or, à l’état de nature, les hommes sont égaux, ce qui veut dire qu’ils ont les mêmes passions, les mêmes droits sur toutes choses, et les mêmes moyens par ruse ou par alliance d’y parvenir. Chacun désire légitimement ce qui est bon pour lui, tente de se faire du bien et est seul juge des moyens nécessaires pour y parvenir. Comme les hommes ont également tendance à chercher la gloire et à nuire à autrui sans souci, ils ne peuvent qu'entrer en conflit les uns avec les autres pour obtenir ce qu'ils jugent bon pour eux.
La puissance anarchique de la multitude domine à l'état de nature. Doué de raison, c’est-à-dire de la faculté de calculer et d’anticiper, l'homme prévoit le danger, et attaque avant d’être attaqué. L'homme le plus faible pourrait avec de la ruse l'emporter sur le plus fort. Chacun est donc persuadé d'être capable de l'emporter sur autrui et n'hésite pas à l'attaquer pour lui prendre ses biens. Des alliances éphémères se nouent pour l'emporter sur un individu. Mais à peine la victoire est-elle acquise que les vainqueurs se liguent les uns contre les autres pour bénéficier seuls du butin.
Cette guerre est si atroce que l'humanité risque même de disparaître. À ceux qui penseraient que cette vision de l'humanité est pessimiste, Hobbes rétorque que même à l'état social où pourtant existent des lois, une police, des juges, néanmoins nous fermons à clef nos coffres et nos maisons de peur d'être détroussés. Or l'état de nature est sans loi, sans juge et sans police… C’est l’angoisse de la mort la mort violente qui, résultant de l'égalité naturelle, est responsable de l’état de guerre et fait peser sur la vie de tous une menace permanente. Cet état, fondamentalement mauvais, ne permet pas la prospérité, le commerce, la science, les arts, la société.

L'état civil et le pouvoir souverain

Une humanité livrée à elle-même, sans ordre social coercitif, aurait fini par disparaître. Ce qui sauve l'homme d'un tel état n'est autre que sa peur de mourir et son instinct de conservation. L'homme comprend que pour subsister, il n'y a pas d'autre solution que de sortir de l'état de nature. Ce sont les passions d'une part, la raison d'autre part, qui le poussent à sortir de l'état de nature. Du côté des passions, la peur de la mort, le désir des choses nécessaires à la vie et l'espoir de les obtenir par son travail motivent cette sortie hors de l'état de nature ; du côté de la raison, celle-ci suggère les articles de paix adéquats, sur lesquels ils se mettront d'accord, que Hobbes appelle lois de nature à ne pas confondre avec le droit naturel. Cependant, pour Hobbes, cela ne signifie pas qu'il n'y pas de droit naturel : le droit naturel est la liberté que chacun a d'user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie, c'est celui de préserver sa propre vie, ce par tous les moyens qu'il juge bon.
Les lois de nature sont dictées par la raison et conduisent à limiter le droit naturel de chacun sur toutes choses. La première et fondamentale loi de nature est qu'il faut rechercher la paix et ne rechercher le secours de la guerre que si la première est impossible à obtenir. Ces lois naturelles sont éternelles et immuables car elles reposent sur la rationalité. Mais elles doivent être appliquées par tous. Pour y arriver, dit Hobbes, il est nécessaire de renoncer à tous ses droits, car rien ne peut garantir l'application par tous de la loi naturelle. C'est là qu'intervient la théorie du contrat social Hobbes lui-même n'utilise pas cette expression précise.
Ce qui va fonder a priori l'état civil, c'est un contrat passé entre les individus, qui permet de fonder la souveraineté. Par ce contrat, chacun transfère tous ses droits naturels, à l'exception des droits inaliénables, à une personne qui est appelée le Souverain, dépositaire de l'État, ou Léviathan.
Le seul moyen d'établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres, ..., est de rassembler toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou une assemblée d'hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d'hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l'auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d'eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C'est plus que le consentement ou la concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c'est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j'autorise cet homme ou cette assemblée d'hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière.
Le contrat est plus qu'un simple consentement, car il vise à instaurer une puissance commune capable de tenir chacun en respect, en imposant le respect des conventions par la crainte du châtiment et de la sanction pénale. Chacun contracte avec chacun en vue de transférer ses droits à un Souverain qui les détiendra tous. Les seuls droits inaliénables sont ceux qui visent à protéger sa vie: on ne peut aliéner le droit de résister à ceux qui vous agressent pour vous ôter la vie, non plus qu'à résister à ceux qui veulent vous emprisonner ou vous mettre dans les fers.

Lois de nature et lois civiles

De par sa puissance, le souverain est ainsi la garantie que les hommes ne retomberont pas dans l'anarchie de l'état de nature ; et il mettra en application ce pour quoi il a été fait en promulguant des lois civiles auxquelles tous doivent se soumettre De même que pour parvenir à la paix et grâce à celle-ci à leur propre conservation, les humains ont fabriqué un homme artificiel, que nous appelons un état, de même ils ont fabriqué des chaînes artificielles appelées lois civiles. Le Souverain a donc pour fin la conservation des individus.
Or, la loi de nature et la loi civile se contiennent l'une l'autre et sont d'égale étendue : c'est en effet la puissance souveraine qui, par la contrainte, permet de faire des lois de nature des véritables lois ; auparavant, ce ne sont que des qualités qui disposent les humains à la paix et à l'obéissance. Ainsi, c'est le droit positif qui, rassemblant lois de nature et lois civiles, dicte ce qui est le juste et l'injuste, le bien et le mal, lesquels n'existent pas à l'état de nature . Pour cette raison, Hobbes est considéré comme fondateur du positivisme juridique, par contraste avec les tenants du jusnaturalisme. Il partage aussi ce qu'on pourrait appeler, selon les termes de John Austin, une théorie du droit en tant que commandement appuyé par la menace d'une sanction; la loi est l'expression de la volonté du souverain en ce qui concerne le juste et l'injuste right et wrong.
Enfin, bien que Hobbes ait souvent été présenté comme un penseur légitimant la monarchie absolue, et qu'il fait en effet l'éloge de la monarchie par rapport à l'aristocratie ou à la démocratie, il a toutefois aussi théorisé des limites au pouvoir. Il précise d'abord que la différence entre ces trois types d'État, monarchie, aristocratie et démocratie ne consiste pas en une différence quant à la puissance, mais en une différence quant à la capacité ou aptitude à procurer la paix et la sécurité au peuple. Quel que soit le régime politique, la souveraineté a la même puissance.
D'autre part, les limites au pouvoir sont de deux types: celles qui proviennent des droits naturels inaliénables, et celles qui proviennent des lois naturelles. Hobbes distingue le droit, qui consiste en « la liberté de faire ou de ne pas faire liberté qu'il définit elle-même par l'absence d'entraves extérieures, de la loi, qui détermine et contraint dans un sens ou dans l'autre, en sorte que la loi et le droit diffèrent autant que l'obligation et la liberté, et se contredisent s'ils sont appliqués à un même objet. Il distingue ensuite entre la liberté naturelle, qui ne s'oppose pas à la nécessité ni à la peur et qui consiste à n'empêcher de faire ce que l'on veut faire, et la liberté des sujets ou liberté civile.
La liberté civile réside uniquement dans le silence de la loi : c'est la liberté de faire tout ce que la loi n'interdit pas. Mais les lois elles-mêmes sont limitées par le droit naturel, c'est-à-dire par la liberté ou puissance de chacun conception proche de celle de Spinoza. Ainsi nul n'a d'obligation de se soumettre à l'emprisonnement ou à la peine de mort : en ce cas, chacun a la liberté de désobéir et le droit de résister par la force. Nul n'est contraint, non plus, de s'accuser soi-même. Les lois naturelles qui sont contenues dans les lois civiles et ont la même extension empêchent non seulement de s'accuser soi-même, mais prohibent aussi l'usage de témoignage obtenus sous la torture. Enfin, dans le chapitre sur les crimes et les châtiments, Hobbes laisse une place à quelques principes qui font aujourd'hui partie de ce qu'on appelle l'État de droit :

principe de connaissance de la loi nul n'est censé ignorer la loi ;
principe de non-rétroactivité ;
si la peine est plus grande que ce que la loi a prescrit, il ne s'agit plus d'un châtiment, mais d'un acte d'hostilité ;
de même, en cas de détention préventive, « tout mal subi par celui qui est dans les fers ou entravé, au-delà de ce qui est nécessaire pour le garder à vue, et avant que sa cause ne soit entendue, est contraire à la loi de nature » ;
la punition des sujets innocents est aussi contraire à la loi de nature.
De façon générale, toute peine qui ne vise pas à favoriser l'obéissance des sujets n'est pas une peine, mais un acte d'hostilité (la vengeance, par exemple, ne peut pas être une sanction pénale). Et tout acte d'hostilité conduit à légitimer la résistance des sujets, qui deviennent de facto ennemis de l'État30.

Causes de dissolution de l'état

Le pouvoir souverain, qui décide des lois, des récompenses ou des punitions, en vue de la conservation de chacun et de permettre à chacun de conserver sa propriété privée et de contracter avec d'autres individus, auquel tous les individus sont soumis, reste toutefois fragile : le Léviathan est un dieu mortel. Les causes de dissolution sont les suivantes :
l'imperfection de leurs institutions ;
l'absence de pouvoir vraiment absolu ;
le jugement privé de chacun sur ce qui est bon ou mal ;
des mauvais préjugés contre le pouvoir ;
prétendre être inspiré divinement ;
l'assujettissement de la puissance souveraine aux lois civiles ;
l'attribution à des sujets d'une propriété absolue ;
la guerre avec les nations voisines ;
l'émancipation du religieux de la sphère publique.

Un mécanisme strict

On parle souvent de Hobbes comme d'un philosophe matérialiste. Certes, il définit bien les corps comme ce qui coïncide avec quelque partie de l'étendue et ne dépend pas de notre pensée. Mais l'étendue elle-même n'est rien d'autre pour lui que le phénomène d'une chose existant sans l'esprit, le phénomène de l'extériorité. Et la matière n'est rien elle-même, sinon un mot par lequel on désigne les corps en général, considérés dans leur extension ou leur grandeur et dans leur capacité à recevoir une forme. Ce matérialisme est donc plutôt une théorie du ϕάιυεσθαι, de l'apparaître, des apparences, un phénoménisme doublé d'un nominalisme.
Bref, l'effort de Hobbes se concentre moins sur un problème métaphysique que sur un problème de physique. À la manière de Descartes, avant Descartes, comme le montre bien le Short Tract of First Principles, il conçoit le monde dans les termes d'un mécanisme strict, en termes de mouvements caractérisant des corps définis par leur étendue et par leur forme. Tout mouvement consiste dans le passage continu d'un lieu à un autre. Tout corps est en mouvement ou en repos. Quand un corps est en mouvement, il se meut éternellement à moins d'en être empêché. Être actif ou passif, pour un corps, c'est être la cause ou l'effet d'un mouvement. La force elle-même n'est que la vitesse d'un mouvement multipliée par elle-même. Pour essayer de rendre compte d'un état tendanciel, d'un pouvoir, Hobbes forge le concept de conatus, d'endeavour, de mouvement à travers un espace et un temps moindres que tout temps et tout espace assignables.
Ainsi armé, Hobbes décrit le comportement humain en termes mécanistes. La vie d'un animal consiste dans le mouvement vital qui l'anime, qui consiste d'abord dans la circulation du sang. Elle se manifeste dans le mouvement animal : celui-ci est à la fois, d'une part, sous forme de conatus, désir se développant en passions et volonté, c'est-à-dire ultime désir passant à l'acte ; d'autre part, réactions des parties internes du corps mues par des mouvements issus de corps extérieurs, c'est-à-dire sensations, puis imaginations, tous mouvements intérieurs capables de réagir sur le mouvement animal et de déclencher gestes, mouvements des membres ou paroles.
Les pensées elles-mêmes ne sont donc que des mouvements internes provoqués par des mouvements extérieurs qui « apparaissent » ou « réapparaissent » – encore une application de la théorie du ϕάιυεσθαι – sous la forme de sensations, de phantasmes, d'imaginations, de souvenirs. Par sens, on entendra le jugement que nous portons sur les objets à partir de leurs phantasmes, leur signification. Entre ces pensées, des liaisons mécaniques s'établissent, formant des « trains de pensées », des associations, qui sont à la fois des associations de mouvements et des associations de significations. À ce discours mental se substitue un discours verbal, ce qui permet d'enregistrer et de signifier, pour autrui comme pour soi-même. La raison est ce discours verbal, dans la mesure où il consiste dans la mise en ordre correcte des mots dans nos affirmations. Elle est ratiocination, un calcul correct de tout ce qui peut être pris en compte par des noms par des mots, le calcul de leurs rapports d'inclusion et d'exclusion dans un système de pensées correctement enchaînées. À partir de l'expérience des trains de pensées passés, on peut imaginer dans une certaine mesure l'avenir et y penser. Ainsi le désir peut-il réaliser son essence et tenter d'assurer la voie du futur désir : n'est-il pas chez l'homme le désir de désirer ?
L'enchaînement des mouvements forme un système radicalement nécessaire, qui englobe l'enchaînement des pensées et des volontés dans toutes leurs conséquences. Ce que l'on appelle liberté n'est que la nécessité non empêchée par des interférences extérieures.

De l'état de nature à l'omnipotence du souverain

C'est sur ces bases, estime Hobbes, que peut désormais être élaborée une véritable science de la morale et de la politique, à partir de l'expérience raisonnée des mouvements des corps et de l'esprit. Ce qu'Euclide a fait pour la géométrie et Galilée pour la physique, lui s'estime en mesure de le faire pour la politique, et ce sera la première science politique accomplie.
Dans un système nominaliste, il faut bien partir des individus qui disposent tous de forces, tant physiques que spirituelles, pratiquement égales, puisque le plus faible a toujours assez de force pour tuer le plus fort. Or chacun, mû par son propre mouvement vital qui tend à se conserver indéfiniment par inertie naturelle et qui se traduit par le désir de durer, tend à s'emparer de tout ce qui, selon les calculs de sa raison, peut lui permettre de survivre. Entre les individus qui coexistent s'établit à partir de cet état primordial d'égalité, qui est l'état même de la nature, un système d'équilibre, résultat de la composition mécanique des désirs, des craintes et des forces en présence. Né du désir et de la crainte, de la défiance rationnelle de chacun à l'égard de chacun, cet état, où chacun a un droit légal sur toutes choses, et même sur le corps de l'autre, est un état de guerre strictement conforme, pour chacun, à un calcul correct de sa raison. Chacun, tout en s'efforçant d'accumuler le plus de puissance possible, demeure pratiquement égal à chacun des autres. Une égale menace réciproque pèse sur tous. État d'équilibre, l'état de nature est un état d'instabilité, d'insécurité et de misère. Il ne comporte ni société, ni agriculture, ni industrie, ni justice, ni injustice, ni lettres, ni arts, ni sciences d'aucune sorte. Chacun, en proie à une crainte continuelle et au risque de la mort violente, vit une vie solitaire, misérable, bestiale et brève. D'où la formule célèbre : dans l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme.
À ce point de misère et de malheur, la crainte de la mort suffit à déterminer chacun à s'imposer n'importe quel sacrifice, pourvu que sa vie soit sauve et sûre. La loi de nature, qui n'est rien d'autre qu'un théorème de la raison, une droite ratiocination, répond au désir éprouvé par chacun de se conserver soi-même, en proposant à tous la paix pour but, avec le moyen d'y parvenir. Si l'égalité et l'équilibre ne suscitent qu'un désordre en perpétuelle insécurité et instabilité, il est évident que, seule l'inégalité, et le déséquilibre qu'elle installe, permet d'instaurer un ordre constant, stable, assuré. Le seul moyen de la paix est d'ériger un pouvoir commun tout-puissant qui imposera sa loi à tous dans la communauté politique et, du même coup, assurera un ordre et une paix. Pour y parvenir, il faut que, par une sorte de contrat, chacun s'accorde avec chacun pour renoncer au droit de se gouverner lui-même et pour remettre tout son pouvoir aux mains d'un seul homme, en lui reconnaissant un pouvoir souverain constitué de la somme des pouvoirs de tous, afin qu'il en use comme il le juge expédient, pour leur paix à tous et leur commune défense.
Ainsi se trouve institué le souverain, qui dispose d'un pouvoir absolu, unique, indivisible, irrésistible. Les citoyens demeurent liés par le contrat, lui seul ne l'est pas, car il n'a contracté avec personne. Sa légitimité ne tient qu'à sa toute-puissance désormais. Il est au-dessus de tous les pouvoirs ; il n'a pas de devoirs, il n'a que des fonctions. Il est au-dessus des lois et au-dessus des droits, puisqu'il fait les lois et qu'il octroie les droits. Il n'est même pas tenu par une loi naturelle, puisqu'il en serait le seul juge. D'ailleurs la loi naturelle n'est rien d'autre qu'un théorème, une proposition établie par un calcul rationnel. Le peuple lui-même ne peut s'opposer à lui : le peuple, le commonwealth lui-même sont contenus dans la personne du souverain et en sont inséparables. Hobbes s'efforce ainsi de montrer que, seule, l'omnipotence du souverain, le caractère absolu de son pouvoir, rend possible l'accomplissement rationnel de sa fonction, c'est-à-dire le maintien d'un ordre pacifique et sûr dans l'État.

État rationnel et pouvoir absolu

Quoiqu'on l'en ait accusé, Hobbes ne justifie ainsi ni le tyran, ni le chef totalitaire. Tout au contraire. Ses contemporains ne s'y étaient pas trompés, qui l'accusaient souvent de préparer la ruine de l'État. Considérant jusqu'au bout la sauvegarde de la vie, du mouvement vital, comme la clef de voûte de son mécanisme, il accorde en effet à tout citoyen menacé dans sa vie par le fonctionnement de l'État le droit de se défendre et de résister par tous les moyens. On lui a reproché de légitimer ainsi la révolte. Il n'a jamais reconnu qu'un droit irrépressible à la résistance individuelle devant le péril de mort. Mais il a établi que, dans l'État, l'homme en tant qu'homme disposait, sous peine d'absurdité, d'un droit inaliénable et imprescriptible. C'était la première expression de la doctrine des droits inaliénables de l'homme.
Pour comprendre Hobbes, il faut se placer dans la perspective qui est la sienne, accepter jusqu'au bout le modèle mécanique qu'il propose. Ce sont les limites et les insatisfactions de l'homme qui alimentent ses passions et sa méchanceté. La toute-puissance du souverain le délivre de ses passions, de leurs excès, de leurs abus, « purifie le sang du souverain et corrige la méchanceté de la nature humaine ». D'autres avaient déjà dit de Dieu que sa toute-puissance était au principe de sa perfection. Dans le souverain, la raison ne trouve plus d'obstacles. Le souverain n'a plus d'intérêts particuliers : son intérêt se confond avec l'intérêt général. « Le roi est ce que je nomme le peuple. » Le souverain ne peut vouloir et accomplir que le bien de l'État. Il est la raison en acte. Ce n'est pas, comme chez Platon, le philosophe qui est fait roi. C'est le roi qui, en vertu du caractère absolu de son pouvoir, devient philosophe. Les princes du XVIIIe siècle crurent comprendre qu'ils devaient devenir des despotes éclairés.
À plus strictement parler, la théorie de Hobbes ne se justifie complètement que dans la perspective d'un rationalisme absolu selon lequel le commonwealth peut devenir une machine parfaitement rationnelle, ordonnée, gouvernée par la personne désormais parfaitement rationnelle du souverain absolu. C'est un thème qui, sous d'autres formes, refleurira chez Hegel et dans le scientisme marxiste.
Dans ce cadre, il n'y a pas d'autre justice que la justice du souverain. C'est lui qui, dans sa toute-puissance, par le moyen des lois civiles, définit le juste et l'injuste, le bien et le mal. Non seulement il dit le bien et le mal, mais il en détermine, il en impose la pratique. Vieux rêve rationaliste enfin accompli, sa toute-puissance permet l'établissement de déterminations efficaces, du savoir du bien au vouloir du bien. Raymond Polin

La religion

Hobbes a entièrement conscience du problème théologico-politique, c'est-à-dire des problèmes et des interférences souvent néfastes entre la sphère religieuse chrétienne et la sphère politique. Notamment parce qu'il a connu lui-même les guerres de religion en Angleterre. C'est ainsi qu'il consacre pratiquement la moitié de son œuvre politique à la question religieuse.
Le pouvoir ecclésiastique n'est que le pouvoir d'enseigner. Il ne peut donc pas se permettre d'imposer des règles de lui-même aux individus. C'est la religion catholique qui est clairement visée par Hobbes, car elle est une sphère de pouvoir autonome et crée une dualité entre le pouvoir souverain civil et le pouvoir ecclésiastique, entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Hobbes résout le problème en subordonnant le pouvoir religieux au pouvoir politique, de sorte que le souverain décide des questions religieuses et tous doivent lui obéir : Dieu parle par ses vices-dieux ou lieutenants ici sur terre, c'est-à-dire par les rois souverains. De plus, puisque le souverain est institué par la volonté de tous, et doit faire respecter les lois de nature, qui sont de Dieu, il n'y a pas d'opposition flagrante.
Hobbes est encore l'un des pionniers de l'exégèse historico-critique. En particulier, il fut le premier à dire ouvertement35, contre la tradition, que Moïse n'était pas l'auteur du Pentateuque.

Postérité politique

Hobbes est encore très présent aujourd'hui. On peut même l'opposer à Rousseau dans les conflits politiques liés à l'application de la souveraineté démocratique. Il est reconnu comme étant le penseur d'une bourgeoisie éclairée de pouvoir, puisque amené à résumer parfois les contraintes politiques ainsi : faire le bien de la société civile parfois malgré elle. Si l'homme emboîté dans les contraintes des destinées communes vient à protester contre ceux qui les commandent, il faudra juger de la recevabilité de ses griefs au regard des impératifs devant mener au développement de la société chaque jour renouvelée.

Œuvres complètes

Thomas Hobbes Opera philosophica quae latine scripsit, 5. Vol., édition W. Molesworth, Londres, 1839-1845, réimpression, Aalen, 1966 (= OL).
The English Works of Thomas Hobbes, 11 vol., édition W. Molesworth, Londres, 1939-1945, réimpression Aalen, 1966 (= EW).

Textes et traductions

Deux nouvelles éditions critiques sont en cours:
En français, traduction des Œuvres Latines de Hobbes, sous la direction d'Yves-Charles Zarka, Paris, Vrin (8 volumes parus).
Edition of the Works of Thomas Hobbes, Oxford, Clarendon Press (8 volumes parus).

Å’uvres principales:

A short tract on First Principles, (1630), British Museum, Harleian MS 6796, ff. 297-308 (authenticité disputée).
Court traité des premiers principes, textes, traduction et commentaire par Jean Bernhardt, Paris, PUF, 1988.
De principiis, (1638-1639), National Library of Wales, Aberystwyth, MS 5297 ; publié par J. Jacquot et H.W. Jones en Appendice II de la Critique du « De Mundo » de Thomas White, 449-460 ; « De principiis. Notes de Herbert de Cherbury sur une version ancienne de De Corpore », traduction, introduction et notes par L. Borot, in Philosophie, no 23, été 1989, 3-21.
The Elements of Law Natural and Politic. (1640), EW IV 1-228
Éléments de droit naturel et politique, traduction de Delphine Thivet, tome II des Œuvres de Hobbes, Paris, Vrin, 2010.
Éléments de loi, traduction de Arnaud Milanese, Paris Allia, 2006.
Tractatus opticus I, (1640, publié en 1644 par Mersenne dans Universae geometriae mixtaeque mathematicae synopsis Liber Septimus), OL V, 217-248.
Objectiones ad Cartesii meditationes, Objectiones tertiae, (1641), in Å’uvres de Descartes, AT, IX-1, 133-152 et OL V, 249-274.
De Cive (1642-1647), édition critique par H. Warrender, original latin et traduction anglaise, Oxford, Clarendon Press, 1983.
De motu, loco et tempore, (1643, latin) première édition avec le titre Critique du « De Mundo » de Thomas White, introduction, texte critique et notes par J. Jacquot et H.W. Jones, Paris, Vrin-CNRS, 1973.
Logica, Ex T.H. et Philosophia prima. Ex T.H. (1639 ca.), Chatsworth MS A. 10, publié par J. Jacquot et H.W. Jones en Appendice III de la Critique du « De Mundo » de Thomas White, 461-513.
Of Liberty and Necessity, (1645, publié sans l’accord de Hobbes en 1654), EW IV, 229-278 ; De la liberté et de la nécessité, traduction et notes par F. Lessay, in Ouvres traduites, T. XI-1, Paris, Vrin, 1993, 29-118.
Human Nature, or the Fundamental Elements of Policy. Being a discovery of the faculties, acts and passions of the soul of man, from their original causes, according to such philosophical principles as are not commonly known or asserted (1650)
De la Nature Humaine, ou Exposition des facultés, des actions & des passions de l'âme, & de leurs causes déduites d'après des principes philosophiques qui ne sont communément ni reçus ni connus. (1772) Londres, traduit par le Baron d'Holbach. (1971) Paris, Vrin.
De Corpore Politico or the Elements of Law Moral and Politick, with discouses upon several Heads as : of the law of nature, of oaths and covenants ; of several kinds of government, with the changes and revolutions of them. (1650)
Léviathan (1651, en anglais), édition de C.B. Macpherson, Pelican Classics, Penguin Books, 1968, 1981 ; (1668 en latin), OL III ; Leviathan, introduction, traduction du texte anglais et notes par F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971 et traduction du texte latin (1658) par François Tricaud (achevée par de M. Pécharman) Tome VI-2 des Œuvres de Hobbes aux éditions Vrin, 560 p., 13,5 × 21,5 cm. ISBN 978-2-7116-1744-9;
De Corpore, (1655), OL I.
The questions concerning Liberty, Necessity and Chance, (1656), EW V 1-455.
Six Lessons to the Professors of the Mathematics (1656), EW VII, 181-356.
De Homine (1658), OL II, 1-132 ; Traité de l’homme, traduction et commentaire par P.M. Maurin, Paris, Blanchard, 1974.
Examinatio et emendatio mathematicae hodiernae, (1660), OL IV, 1-232.
Behemoth, or the Long Parliament, (1660-1668 publié à titre posthume en 1682), éd. T. Tönnies, revue par M.M. Goldsmith, Londres, F. Cass, 1969
Béhémoth ou le Long Parlement, introduction, traduction et notes par L. Borot, Œuvres traduites, T. IX, Paris, Vrin, 1990.
Historia ecclesiastica carmine elegiaco concinnata (1660, publié à titre posthume en 1688), OL V, 341-408.
Dialogus physicus de natura aeris, (1661), OL V, 341-408.
A Dialogue between a Philosopher and a Student of the Common Laws of England (1666), édition critique par J. Cropsey, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1971
Dialogue entre un philosophe et un légiste des Common Laws d’Angleterre, introduction, traduction et notes par L. et P. Carrive, Œuvres traduites, Tome X. Paris, Vrin, 1990.
An Historical Narration concerning Heresy, and the Punishment thereof, (1666), EW IV 385-408
Relation historique touchant l’hérésie et son châtiment, introduction, traduction et notes par F. Lessay, in Hérésie et histoire, Œuvres traduites. T. XII-1, Paris, Vrin, 1993, 17-55.
An Answer to a Book Published by Dr. Bramhall, late Bishop of Derryn Called the « Catching of the Leviathan », (1667/8, publié à titre posthume en 1682), EW IV, 279-384.
Réponse à un livre publié par le Docteur Bramhall, feu évêque de Derry, intitulé « La capture de Léviathan », introduction, traduction et notes par F. Lessay, in De la liberté et de la nécessité, Œuvres traduites, T. XI-1, Paris, Vrin, 1993, 121-261.
The Correspondence of Thomas Hobbes, 2 vol., édité par Noël Nalcolm Oxford, Clarendon Press, 1994.


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Posté le : 03/04/2015 18:24
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Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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