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Charles Dickens 1
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Le 9 Juin 1878 meurt Charles DICKENS

monument de la littérature anglaise.

Charles Dickens naît le 7 février 1812 à Portsmouth, dans l' Angleterre Victorienne.
Ses parents, John et Elizabeth, sont issus d’un milieu modeste. L’enfance de Charles est heureuse mais lorsque son père est muté à Londres, la situation de la famille se dégrade, au point que Charles est contraint d’abandonner ses études. L’endettement des Dickens est tel que le père est emprisonné trois mois. Charles doit aller travailler dans une usine de cirage, la Warren’s Blacking Factory.
Il a douze ans. Il prend brutalement conscience de la précarité de la vie, de l’ampleur de la misère ouvrière et de la sévérité, voire de l’injustice des institutions du royaume. Cette expérience, traumatisante après une enfance d’insouciance, marquera toute son oeuvre.
En 1827, la famille est expulsée pour nonpaiement de loyers. Charles trouve un emploi dans un cabinet d’avocats, Ellis & Blackmore. Il se forme lui-même à la sténographie. En 1830, il se fiance avec Maria Beadnell, mais le père de celle-ci, banquier, juge le rang social de Dickens indigne et s’arrange pour qu’ils rompent.

En 1831, Charles suit les débats parlementaires de la Chambre pour le compte de plusieurs journaux.
En 1834, le jeune homme devient journaliste au Morning Chronicle, il rencontre la fille du directeur de la publication, Catherine Hogarth, et publie ses premiers récits en feuilletons.
Il a vingt deux ans. Ces «Esquisses», qu’il signe du pseudonyme de Boz, provoqueront la commande des «Aventures de M. Pickwick», dont la publication débutera la veille de son mariage avec Catherine en avril 1836.
C’est en 1837 que commence la publication d’«Oliver Twist» sous forme de feuilleton dans le magazine mensuel, Bentley’s Miscellany, avec un soustitre : «The Parish Boy’s Progress». L’intention de Dickens, dans les premiers épisodes, est de décrire à ses lecteurs ce que sont les véritables conditions de vie d’un «parish boy», un garçon pris en charge par la paroisse, après la mise en place du nouveau Poor Law Act de 1834.
Cette loi sociale dictait les conditions de prise en charge des indigents par les paroisses. Dickens avait assisté aux virulents débats autour de cette loi controversée lorsqu’il était reporter au Parlement.
Il continuera ses attaques contre elle sous forme de fictions ou dans ses écrits de journaliste jusqu’à la fin de ses jours.
Le succès d’«Oliver Twist» confirme la réputation de Dickens et l’impose.
Suivront «Nicolas Nickleby» en 1838, «Barnaby Rudge» en 1841, «Le Magasin d’antiquités» quelques mois plus tard.
Son voyage aux États-Unis lui révèle un monde esclavagiste et spéculateur, il en tirera «Notes Américaines» en 1842, puis «Martin Chuzzlewit».

Il est apprécié pour son humour, sa satire des mœurs et des caractères. Ses œuvres ont presque toutes été publiées en feuilletons hebdomadaires ou mensuels, genre inauguré par lui-même en 1836, format contraignant mais permettant de réagir rapidement, quitte à modifier l'action et les personnages en cours de route. Ses intrigues sont soignées et s'enrichissent souvent d'événements contemporains, même si l'histoire se déroule antérieurement.
Un chant de Noël (1843) a connu le plus vaste retentissement international, et l'ensemble de son œuvre a été loué par des écrivains de renom, comme William Makepeace Thackeray, Léon Tolstoï, Gilbert Keith Chesterton ou George Orwell, pour son réalisme, son esprit comique, son art de la caractérisation et l'acuité de sa satire. Certains, cependant, comme Charlotte Brontë, Virginia Woolf, Oscar Wilde ou Henry James, lui ont reproché de manquer de régularité dans le style, de privilégier la veine sentimentale et de se contenter d'analyses psychologiques superficielles.
Dickens a été traduit en de nombreuses langues, avec son aval pour les premières versions françaises. Son œuvre, constamment rééditée, connaît toujours de nombreuses adaptations au théâtre, au cinéma, au music-hall, à la radio et à la télévision.


Il publiera d’autres oeuvres, dont «Contes de Noël» en 1843, mais il faut attendre 1849 pour qu’il publie l’une de ses oeuvres majeures :
«David Copperfield».
Il enchaînera ensuite les publications et s’essaiera même au théâtre en tant qu’auteur, metteur en scène et comédien en 1845.
En 1858, il quitte sa femme, qui lui a donné dix enfants et entame, parallèlement à sa carrière d’écrivain, une activité de lecteur-conférencier. Il présente ses oeuvres à travers les grands pays d’Europe. En 1854, il publie «Les Temps difficiles», en 1859, «Le Conte des deux cités» et entre 1860 et 1861, «Les Grandes Espérances», qui paraissent en feuilleton dans All The Year Round.
Le 9 juin 1865, un accident de chemin de fer à Staplehurst le laisse affaibli et difficilement capable de se déplacer. En 1870, après une dernière tournée de lectures publiques en janvier et une rencontre avec la Reine Victoria en mars, il décède cinq ans jour pour jour après cet accident. Il a cinquante-huit ans et laisse un pays en deuil national et un roman inachevé : «Le Mystère d’Edwin Drood».

Biographie détaillée.

La biographie de Dickens, publiée après sa mort et qui a longtemps fait autorité est celle de John Forster : ami proche, confident et conseiller, son témoignage, écrit Graham Smith, « possède une intimité que seul un Victorien cultivé et auteur lui-même, pouvait apporter ». Pourtant, mais cela a été connu bien plus tard, Forster a modifié ou gommé tout ce qui aurait pu paraître gênant à son époque. Dickens, un dieu pour l'Angleterre et au-delà, a donc été présenté en homme irréprochable, d'autant qu'en sous-main, c'est lui-même qui a orchestré la partition de sa vie : il souhaitait que Forster fût son biographe et leur copieux échange de lettres a servi à sculpter la statue d'un commandeur, tout comme ses Fragments autobiographiques, consacrés à son enfance en 1824 et eux aussi confiés à Forster peu après mars ou avril 18474, qui le peignent en victime dans des vignettes maximisant la menace et le danger, d'où l'angoisse et la souffrance.


Enfance, adolescence

Sa petite enfance sera une enfance heureuse.
Issu d'une famille peu fortunée, Charles Dickens N 1 est né au 13, Mile End Terrace à Landport, petit faubourg de Portsmouth, PortseaN , le vendredi 7 février 1812. Il est le second, mais le premier fils, des huit enfants de John Dickens (1785-1851) et d'Elizabeth Dickens, née Barrow (1789-1863).
Il est baptisé le 4 mars en l'église St Mary, Kingston, Portsea.
Son père est chargé de faire la paye des équipages au Navy Pay Office de la Royal Navy, mais après Waterloo et la fin de la guerre en Amérique, les effectifs de la base navale sont réduits et il est muté à Londres.
En janvier 1815 il s'installe dans Norfolk Street, près d'Oxford Street. De son bref séjour à Portsmouth, Charles retient quelques souvenirs, dont une prise d'armes,. Londres, que l'enfant fréquente de trois à quatre ans, lui laisse l'image d'une visite à Soho Square et l'achat d'une baguette d'Arlequin1.
En avril 1817, une nouvelle mutation envoie la famille à l'arsenal de la Medway à Chatham dans le KentN. La famille y emménage au 2 Ordnance Street dans une demeure confortable, avec deux domestiques, la jeune Mary Weller, nurse de l'enfant, et Jane Bonny, d'un âge déjà avancé.
Bientôt, après avoir fréquenté l'école du dimanche avec sa sœur Fanny dont il est très proche, il est inscrit à l'institution de William Giles, fils d'un pasteur d'obédience baptiste qui le trouve brillant ; Charles lit les romans de Henry Fielding, Daniel Defoe et Oliver Goldsmith qui resteront ses maîtres.
La fratrie est heureuse malgré les décès prématurés, outre « Charley », la sœur aînée Frances (Fanny) (1810-1848), et les plus jeunes, Alfred Allen, mort à quelques mois, Letitia Mary (1816-1893), Harriet, elle aussi décédée enfant, Frederick William (Fred) (1820-1868), Alfred Lamert (1822-1860) et Augustus (1827-1866), à qui s'ajoutent James Lamert, un parent, et Augustus Newnham, orphelin de Chatham. Les plus grands s'adonnent à des jeux de mime, des récitals de poésie, des concerts de chants populaires et aussi des représentations théâtrales.
L'enfant est libre de parcourir la campagne, seul ou lors de longues promenades avec son père ou Mary Weller, alors âgée de treize ans, plus rarement en compagnie de Jane Bonny, ou d'observer l'activité de la ville portuaire. Plus tard, dans ses descriptions de paysages ruraux, ce sont les images du Kent qu'il prend pour modèle. « Cette période, a-t-il écrit, a été la plus heureuse de mon enfance » : c'est d'ailleurs à Chatham que Charles fait ses débuts littéraires en écrivant des saynètes qu'il joue dans la cuisine ou debout sur une table de l'auberge voisine.
Cette vie insouciante et ce début d'instruction s'interrompent brutalement lorsque la famille doit gagner Londres avec une réduction de salaire, prélude à la déchéance financière. Charles, âgé de dix ans, reste à Chatham quelques mois chez William Giles, puis rejoint la capitale, laissant du voyage ce souvenir désabusé : « Tout au long de ces années depuis écoulées, ai-je jamais perdu l'odeur humide de la paille où l'on m'a jeté, tel un gibier, et acheminé, franco de port, jusqu'à Cross Keys, Wood Street, Cheapside, Londres ? Il n'y avait pas d'autre passager à l'intérieur et j'ai englouti mes sandwichs dans la solitude et la grisaille, et la pluie n'a cessé de tomber, et j'ai trouvé la vie bien plus moche que je ne m'y attendais ».

La chute de la maison Dickens
Cette chute doit être nuancée au regard du contexte familial, représentatif de la petite bourgeoise victorienne.
Les grands-parents paternels ont été des domestiques au sommet de la hiérarchie, gouvernante de maison et maître d'hôtel, ce qui leur vaut le respect de leurs maîtres. Dans La Maison d'Âpre-Vent, Sir Lester Dedlock n'a de cesse de louer Mrs Rouncewell, sa gouvernante à Chesney Wolds.


Une discrète ascension sociale

John Dickens, le père de Charles Dickens.
Cette petite prospérité et l'influence dont ils jouissent ont servi de tremplin à l'ascension sociale de leur fils John.
Son travail représente une situation enviable dans la bureaucratie victorienne, avec plusieurs promotions et un salaire passant de 200 £ en 1816 à 441 £ en 18221.
C'est un bon métier, un emploi permanent, avec la faveur des supérieurs, acquise par l'assiduité et la compétence. Bien résolu à gravir l'échelle sociale mais « inconsidérément imprévoyant » selon Peter Ackroyd, il s'avère incapable de gérer son argent.
En 1819, il a déjà contracté une dette de 200 £, représentant presque la moitié de ses émoluments annuels, et cause d'une brouille avec son beau-frère qui s'est porté garant ; d'autres dettes sont en suspens à Chatham, d'où une descente aux enfers qu'aggravent des déménagements, une mutation mal payée à Londres, ville onéreuse, d'où de nouvelles dettes et un train de vie peu à peu réduit à néant.
En 1822, les Dickens se sont installés à Camden Town, la limite de la capitale, et John Dickens place ses espoirs dans le projet qu'a son épouse d'ouvrir un établissement scolaire. Aussi, la famille déménage-t-elle de nouveau à Noël 1823 au 4 Gower Street, demeure cossue susceptible d'accueillir des élèves en résidence. L'école, cependant, n'attire personne et, au bout de quelques semaines, les revenus sombrent jusqu'à la misère.


Charles privé de scolarité et la manufacture de cirage

Tandis que sa sœur aînée entre au Conservatoire de musique où elle va étudier jusqu'en 1827, Charles, âgé de douze ans et regrettant l'école, passe son temps à « nettoyer des bottines ».
James Lamert construit un théâtre miniature, de quoi enflammer l'imagination, comme les visites au parrain Huffam qui approvisionne les bateaux, ou à l'oncle Barrow au-dessus d'une librairie dont le barbier est le père de Turner, ou encore à la grand-mère Dickens qui offre une montre en argent et dit des contes de fées et des pans d'histoire, sans doute utilisés dans Barnaby Rudge (les émeutes de Gordon) et Le Conte de deux cités (la Révolution française).
Quinze mois plus tard, la vie de Charles bascule d'un coup et se trouve à jamais bouleversée.
Au début de 1824, James Lamert propose un emploi pour le jeune garçon, emploi que ses parents saisissent avidement, et Charles entre à la manufacture Warren's Blacking Factory à Hungerford Stairs, dans The Strand.
C'est un entrepôt de cirage et teinture où il doit, dix heures par jour, coller des étiquettes sur des flacons pour six shillings par semaine, de quoi aider sa famille et payer son loyer chez Mrs Ellen Roylance, une amie ensuite immortalisée, avec « quelques changements et embellissements », en la Mrs Pipchin de Dombey et Fils.
Il loue ensuite une sombre mansarde chez Archibald Russell dans Lant Street à SouthwarkN . Archibald Russell, « vieux monsieur corpulent, raconte John Forster, d'un naturel heureux, pétri de bonté, avec une épouse déjà âgée et calme, et un fils adulte particulièrement naïf », travaille comme clerc au tribunal de l'insolvabilité : cette famille a sans doute inspiré les Garland du Magasin d'Antiquités, tandis que le tribunal a été copié dans les scènes du procès des Papiers posthumes du Pickwick Club.


L'incarcération du père à la Marshalsea

Le 20 février 1824, John Dickens est arrêté pour une dette de 40 £ envers un boulanger et incarcéré à la prison de Marshalsea à Southwark.
Tous ses biens, livres inclus, ont été saisis, et bientôt le rejoignent son épouse et les plus jeunes enfants.
Le dimanche, Charles et sa sœur Frances passent la journée à la prison.
Cette expérience servira de toile de fond à la première moitié de La Petite Dorrit, qui présente Mr William Dorrit enfermé pour dettes en cette prison où grandit sa fille Amit, l'héroïne du roman.
Au bout de trois mois au cours desquels meurt sa mère, John Dickens hérite de 450 £, à quoi s'ajoutent quelques piges pour British Press et une pension d'invalidité de 146 £ versée par l'Amirauté. Sur promesse de paiement au terme de la succession, il est libéré le 28 mai, et la famille se réfugie chez Mrs Roylance pendant quelques mois, puis retrouve à se loger à Hampstead et enfin à Johnson Street dans Somers Town.
Charles reste à la manufacture qui, nouvelle humiliation, le transfère à l'étalage d'une boutique dans Chandos Street, et ce n'est qu'en mars 1825, parce qu'il se dispute avec le propriétaire et malgré l'intercession de Mrs Dickens qui essaie d'apaiser les choses, que John Dickens en retire son fils, puis le remet sur les bancs de l'école.

traumatisme et une nouvelle blessure

Cet épisode a représenté un traumatisme dont Dickens ne s'est jamais remis.
Bien qu'il l'ait transposé dans David Copperfield en l'entrepôt Murdstone and Grinby's et y ait fait une allusion dans Les Grandes Espérances (la « Blacking Ware'us » [wharehouse]), il ne s'en est ouvert à personne, sinon à son épouse et à Fors.
Sa vie durant,
« il s'est toujours étonné qu'on ait pu si facilement se débarrasser de lui à cet âge », et sa besogne, écrit Forster, lui a paru particulièrement rebutante : « C'était une vieille maison délabrée tombant en ruines, qui aboutissait naturellement à la Tamise, et était littéralement au pouvoir des rats. Mon travail consistait à couvrir les pots de cirage, d'abord avec un morceau de papier huilé, puis avec un morceau de papier bleu ; à les attacher en rond avec une ficelle, et ensuite à couper le papier bien proprement tout autour, jusqu'à ce que le tout eût l'apparence coquette d'un pot d'onguent acheté chez le pharmacien. Quand un certain nombre de grosses de pots avaient atteint ce point de perfection, je devais coller sur chacun une étiquette imprimée, et passer à d'autres pots ».
Louis Cazamian rappelle que « la grossièreté du milieu, des camarades, la tristesse de ces heures au fond d'un atelier sordide meurtrissent l'ambition instinctive de l'enfant ».
« Nulle parole ne peut exprimer l'agonie secrète de mon âme en tombant dans une telle société, écrit Dickens, et en sentant les espérances que j'avais eues de bonne heure, de grandir pour être un homme instruit et distingué, anéanties dans mon cœur » Aussi, ajoute Cazamian, « le souvenir de cette épreuve le hantera à jamais. Il y associera le regret de son enfance abandonnée, de son éducation manquée.
De là, son effort constant pour effacer le passé, la recherche vestimentaire, l'attention aux raffinements de la politesse personnelle. De là aussi, les pages mélancoliques chaque fois qu'il retracera le chagrin d'un enfant. Le travail manuel lui a laissé l'impression d'une souillure ».
Dickens ajoute dans les Extraits autobiographiques : « J'écris sans rancune, sans colère, car je sais que tout ce qui s'est passé a façonné l'homme que je suis. Mais je n'ai rien oublié, je n'oublierai jamais, il m'est impossible d'oublier, par exemple, que ma mère était très désireuse que je retourne chez Warren », nouvelle blessure expliquant les jeunes enfants abandonnés ou livrés à eux-mêmes dont il a peuplé son œuvre, Oliver, Nell, Smike, Jo, David, Amit, Pip, etc..
Souvent décriée d'après le commentaire de son fils, Elizabeth Dickens se retrouve dans certains personnages de femmes écervelées, telle la mère de Nicholas Nickleby. Graham Smith écrit que la rancœur de Dickens reste objectivement injuste.
Sa mère lui a inculqué les bases de l'instruction, la lecture, l'écriture, l'histoire, le latin ; les témoins vantent son sens de l'humour, du grotesque, ses talents d'actrice et d'imitatrice, tous dons transmis à son fils. De tout cela, conclut-il, Dickens a profité, mais n'a jamais reconnu sa dette.

Le recul de l'objectivité

Graham Smith discute aussi le ressenti de Dickens : adulé et chéri en famille, explique-t-il, il a été mieux traité que les petits miséreux travaillant à ses côtés, plutôt gentils envers lui, en particulier un certain Bob Fagin. Être objectif, cependant, revient à mettre entre parenthèses les attentes de ce super-doué de douze ans. Sans les ennuis de son père, il aurait été promis à Oxford ou Cambridge.
Or, il n'a plus jamais quitté l'uniforme du petit ouvrier et il a peuplé son œuvre de parents incompétents, à l'exception des parents adoptifs, Mr Jarndyce ou Joe Gargery. David Copperfield a pour héros un gamin, livré à un beau-père cruel et qui s'écrie :
« Je n'avais ni guide ni conseil, aucun encouragement et aucune consolation, pas le moindre soutien de quiconque, rien que je puisse me rappeler ».
Ainsi, par John Forster, par certains de ses confrères, Wilkie Collins en particulier, Bulwer-Lytton, Thackeray, par lui-même aussi, la vie de Dickens s'est peu à peu transformée en une légende, voire un mythe, celui du grand Victorien typique, énergique, créateur, entreprenant, autodidacte.
Dickens n'a d'ailleurs eu de cesse d'apporter de l'eau à ce moulin : même chez Warren, écrit-il, il a fait l'effort de travailler aussi bien et même mieux que ses compagnons de misère.


Vie active.

Doctors' Commons au début du xixe siècle.
En 1825, Charles retrouve l'école à la Wellington School Academy de Hampstead Road, où il étudie quelque deux ans et obtient le prix de latin11. L'institution n'a pas été de son goût : « Bien des aspects, écrit-il, de cet enseignement à vau-l'eau, tout décousu, et du relâchement de la discipline ponctués par la brutalité sadique du directeur, les appariteurs en guenilles et l'atmosphère générale de délabrement sont représentés dans l'établissement de Mr Creakle ».

Là s'arrête son instruction officielle, car en 1827, il entre dans la vie active, ses parents lui ayant obtenu un emploi de clerc au cabinet d'avocats Ellis and Blackmore, de Holborn Court, Gray's Inn, où il travaille de mai 1827 à novembre 1828 à des tâches fastidieuses mais, écrit Michael Allen, « qu'il saura mettre à profit dans son œuvre ». Il rejoint ensuite le cabinet de Charles Molloy dans Lincoln's Inn.
Trois mois après, à tout juste dix-sept ans, il fait preuve, selon Michael Allen, d'une grande confiance en soi puisqu'il se lance, vraisemblablement sans l'aval de ses parents, dans la carrière de reporter sténographe indépendant à Doctors' Commons,, où il partage un cabinet avec un cousin éloigné, Thomas Carlton.
Avec l'aide de son oncle J. H. Barrow, il a appris la sténographie selon la méthode Gurney, décrite dans David Copperfield comme « ce sauvage mystère sténographique », et dans une lettre à Wilkie Collins du 6 juin 1856, il rappelle qu'il s'y est appliqué dès l'âge de quinze ans avec une « énergie céleste ou diabolique » et qu'il a été le « meilleur sténographe du monde ».
Dès 1830, outre les dossiers de Doctors' Commons, il ajoute « à son répertoire » des chroniques des débats tenus à la Chambre des communes pour le Mirror of Parliament et le True Sun.
Au cours des quatre années qui suivent, il se forge une solide réputation, passant bientôt pour l'un des meilleurs reporters, ce qui lui vaut d'être embauché à temps plein par le Morning Chronicle38. Cette expérience légale et journalistique a été mise à profit dans Nicholas Nickleby, Dombey et Fils, et surtout La Maison d'Âpre-Vent, dont la féroce satire des lenteurs judiciaires a attiré l'attention publique sur le fardeau que représente pour les humbles le fait d'aller devant les tribunaux32.
La jeune maturité
Ces années ont apporté à Dickens, explique Michael Allen, outre une bonne connaissance de la province, Birmingham, Bristol, Édimbourg, Exeter, Hemlsford et Kettering, avec diligences, relais, auberges et chevaux, une intimité avec Londres qui est devenue « le centre tourbillonnant de sa vie ».
S'y est aussi approfondi son amour du théâtre, Shakespeare, music-hall, farce ou drame, qu'il fréquente, selon Forster, presque chaque jour et dont il connaît acteurs et musiciens, souvent présentés par sa sœur Fanny.
Même si, non sans hésitation, il a choisi les lettres, ajoute Michael Allen, il se donne en représentation, soignant sa tenue vestimentaire jusqu'à l'extravagance, très flashy (« voyante »), et il observe les gens, imitant les accents, mimant les maniérismes, tous retrouvés dans ses livres.


Maria Beadnell

1830 : Charles Dickens a dix-huit ans et il s'éprend de Maria Beadnell, son aînée d'une année.
Son père, commis principal d'une banque à Mansion House, petit bourgeois de Lombard Street, quartier prestigieux de la Cité de Londres, n'apprécie guère cette amitié, voire un futur mariage, avec un obscur journaliste, fils d'un ancien détenu de la prison pour dettes, avec qui il a déménagé sept fois devant les créanciers, pour enfin se loger seul en 1834 dans Furnival's Inn.
Aussi les Beadnell envoient-ils leur fille dans une institution scolaire à Paris, et Charles ne peut qu'adresser des lettres enflammées. « Je n'ai aimé et ne peux aimer d'autre personne vivante que vous », lui écrit-il, mais Maria, peu sensible à son « flot de médiocre poésie », ne prend pas d'engagement.
Le couple s'est revu lors du retour de la jeune fille dont le manque d'ardeur a cependant fini par lasser : peu après son vingt-et-unième anniversaire, Dickens renvoie lettres et cadeau avec ces mots : « nos rencontres n'ont récemment été guère plus que des manifestations de cruelle indifférence d'un côté et de l'autre, elles n'ont conduit qu'à nourrir le chagrin d'une relation qui depuis longtemps est devenue plus que désespérée ». Longtemps après, il confie à John Forster que son amour l'a occupé « tout entier pendant quatre ans, et qu'il en est encore tout étourdi ». Cet échec l'a « déterminé à vaincre tous les obstacles et l'a poussé à sa vocation d'écrivain ».
Maria a servi de modèle pour Dora Spenlow (1850), charmante mais écervelée, et incapable de gérer sa maisonnée.
Pourtant, « Ce qui intéresse surtout le lecteur, écrit Graham Smith, c'est que Maria, devenue Mrs Winter, mère de deux filles, réapparaît dans la vie de Dickens en 1855 » : le 9 février, avec deux jours de retard, elle lui écrit à l'occasion de son quarante-troisième anniversaire, et Dickens, marié et père de neuf enfants vivants, se prenant au jeu, « conduit à distance, avec force sentiment et un peu de dérision, un flirt presque enfantin ».
L'aventure aura un épilogue grotesque (voir Un mariage de plus en plus chancelant), mais surgit le thème, déjà esquissé dans David Copperfield, « de la frustration amoureuse, d'une misère sexuelle » : Maria, l'ancienne Dora, se mue alors en Flora Finching (1855).
C'est Premières publications auront un succès foudroyant

John Forster, ami, biographe et confident.
Les premières pages de Dickens paraissent dans le Monthly Magazine de décembre 1833, à quoi s'ajoutent six numéros, cinq non signés et le dernier, d'août 1834, portant le nom de Boz.
Leur originalité attire l'attention du Morning Chronicle, dont le critique musical et artistique est George Hogarth, père de la jeune Catherine dont Charles vient de faire la connaissance, et le nouvel écrivain y est embauché pour 273 £ par an. Le Morning Chronicle publie bientôt cinq « esquisses de rue » sous le même pseudonyme, et leur originalité paraît telle que la revue-sœur, l'Evening Chronicle, que George Hogarth a rejointe, accepte l'offre de vingt autres avec une augmentation de salaire qui passe de 5 guinées à 7 par semaine. Le succès est immédiat, et lorsque la série prend fin en septembre 1835, Dickens se tourne vers le Bell's Life in London, qui le paie encore mieux.
Peu après, l'éditeur John Macrone propose de publier les esquisses en volume avec des illustrations de George Cruikshank, offre assortie d'une avance de 100 £ et aussitôt acceptée.
1835 est une année faste : en février paraît la première série de Esquisses de Boz et immédiatement, Chapman and Hall propose à Dickens Les Papiers posthumes du Pickwick Club en vingt épisodes, le premier démarrant le 31 mars.
En mai, il accepte d'écrire un roman en trois volumes pour Macrone et, trois mois plus tard, il s'engage pour deux autres auprès de Richard Bentley.
Onze nouvelles esquisses sont publiées, surtout dans le Morning Chronicle, auxquelles s'ajoutent un pamphlet politique, Sunday under Three Heads, et deux pièces de théâtre, The Strange Gentheman en septembre et The Village Coquette en décembre.
En novembre, il prend la charge du mensuel Bentley's Miscellany et, le mois suivant, paraît une deuxième série des Esquisses. Pendant ce temps, l'histoire de Mr Pickwick devient si populaire que la réputation de Dickens atteint le zénith, ses finances prospèrent et son autorité grandit.
Le revers de la médaille est que les engagements ne peuvent tous être honorés et s'ensuivent d'interminables négociations avec les éditeurs, souvent assorties de brouilles. Dickens décide alors de se consacrer entièrement à la littérature et démissionne du Morning Chronicle. Le couronnement de ce tourbillon est la rencontre, en décembre 1836, de John Forster, auteur, critique, conseiller littéraire, bientôt l'ami intime, le confident et futur premier biographe.


Catherine Hogarth fiançailles puis mariage en 1835

Charles Dickens s'est épris de Catherine, la fille aînée de George Hogarth auprès duquel il travaille et dont il fréquente souvent la famille.
Selon les critiques, Catherine est décrite comme « Jeune, agréable, gaie, soigneuse, active, tranquille », ou « petite femme à peine jolie, aux yeux bleus endormis, nez retroussé, menton fuyant des êtres sans volonté ». Les lettres de Dickens ne sont pas aussi passionnées que celles qu'il adressait à Maria Beadnell.
Il­ voit en Catherine, écrit-il, « une source de réconfort et de repos, une personne vers qui il pourra se tourner au coin du feu, une fois son travail achevé, pour puiser dans sa douce tournure et ses charmantes manières la récréation et le bonheur que la triste solitude d'une garçonnière ne procure jamais ».
Fiancés en 1835, les jeunes gens se marient le 2 avril 1836 en l'église St. Luke's de Chelsea.
La lune de miel, une semaine, est passée à Chalk près de Gravesend, Kent, puis les époux rejoignent Furnival's Inn avant de s'installer à Bloomsbury. C'est à Chalk que Dickens a trouvé la forge où travaille Joe Gargery, l'oncle de Pip, et c'est là qu'il a écrit les premières livraisons de ses Pickwick Papers.


1836-1842 : les premières années

Le mariage est d'abord raisonnablement heureux et les enfants ne tardent pas à arriver : Charles au bout de neuf mois, Mary l'année suivante et Kate en 1839.
La famille change de résidence au fil des années et selon les saisons, le plus souvent près du Strand et sur le côté nord d'Oxford Street, avec deux escapades vers Hampstead. L'une de ces demeures est le 48 Doughty Street, aujourd'hui le Musée Charles Dickens, où de 1837 à 1839, Dickens a écrit ses premiers grands ouvrages et reçu nombre d'amis écrivains.
Les vacances se passent souvent à Broadstairs, dans la grande maison aujourd'hui appelée Bleak House, sur l'île de Thanet, à l'extrême pointe du Kent.
En 1838, Dickens publie Nicholas Nickleby avec, en conclusion, une vision de bonheur conjugal, les deux héros s'aimant dans une campagne idyllique avec plusieurs enfants, miroir, selon Jane Smiley, de la vie rêvée de l'auteur.
C'est pourtant au terme de ces années d'activité fébrile que commencent à poindre les difficultés conjugales. L'une d'elles naît d'un drame familial.

La mort de Mary Scott Hogarth

Mary Scott Hogarth (1820-1837) est venue en février 1837 s'installer chez les Dickens pour aider sa sœur de nouveau enceinte.
Charles se prend d'une véritable idolâtrie pour cette enfant qui, d'après Fred Kaplan, devient « une amie intime, une sœur d'exception, une compagne au foyer ».
Le 6 mai 1837, au retour d'une sortie, «Mary monte dans sa chambre en parfaite santé et, comme d'habitude, d'excellente humeur. Avant qu'elle ne puisse se déshabiller, elle est prise d'un violent malaise et meurt, après une nuit d'agonie, dans mes bras durant l'après-midi à 3 heures.
Tout ce qui pouvait être fait pour la sauver l'a été. Les hommes de l'art pensent qu'elle avait une maladie du cœur ».
Dickens lui ôte une bague qu'il portera jusqu'à la fin de sa vie et garde tous ses vêtements.
C'est la seule fois où il n'a pu écrire et a manqué la livraison de deux publications, celles d'Oliver Twist et de Pickwick Papers.
Il rédige l'épitaphe, prénomme sa première fille « Mary »: « Je ne pense pas qu'ait jamais existé un amour tel que celui que je lui ai porté », a-t-il confié à son ami Richard Jones.
Catherine elle aussi pleure la mort de sa sœur, mais ressent de l'amertume à voir son mari toujours endeuillé, rêvant de Mary chaque nuit mois après mois.
Le 29 février 1842, il écrit à John Forster qu'elle reste pour lui « l'esprit qui guide sa vie, pointant inflexiblement le doigt vers le haut depuis plus de quatre années ».
Mary apparaît comme un palimpseste sur lequel Dickens a inscrit son image de la féminité, ensuite projetée dans ses personnages, d'abord plutôt creux comme Rose Maylie, un peu moins avec Esther Summerson et l'héroïne éponyme Amit Dorrit, auxquelles s'ajoutent la Petite Nell et Agnes Wickfield.
Ainsi, le parchemin s'est rempli, le personnage complexifié, toujours « ange du foyer » mais avec de l'initiative, du bon sens et, peut-être, quelques désirs.


1842-1858 : l'avènement des difficultés

Catherine a la responsabilité d'organiser des réceptions et des dîners, parfois fort importants, avec des célébrités littéraires comme, par exemple, Thomas et Jane Carlyle, Elizabeth Gaskell et Samuel Rogers. Mrs Carlyle et Mrs Gaskell ont raconté leurs souvenirs d'une réception et n'ont que louanges sur les qualités d'hôtesse et la cuisine de Mrs Dickens.
Elle accompagne son mari en Écosse en 1841 où le couple est reçu avec égard, et en février de l'année suivante Dickens prépare un voyage outre-Atlantique.
Catherine, d'abord réticente, se décide enfin à l'accompagner.
À Boston, les Dickens se voient aussitôt acclamés, et à New York, la pression s'accentue encore.
Au Canada, ils sont reçus par « l'élite de la société » et admirent les chutes du Niagara dont le fracas apporte à Dickens des échos de la voix de Mary, et participent à des productions théâtrales78. Tout au long, Catherine « s'acquitte de ses tâches d'épouse d'homme célèbre avec beaucoup de grâce et de charme » À leur retour en juin, Dickens tourne les Américains en ridicule dans ses Notes américaines, puis dans la deuxième partie de Martin Chuzzlewit
Puis la famille gagne l'Italie pour une année, mais Dickens fait des escapades en solitaire à Paris ou Boulogne qu'il affectionne particulièrement.


Le désenchantement

Peu sensible à ses difficultés, Dickens rudoie son épouse, se plaignant de son manque d'entrain et de ses grossesses à répétition. En 1851, peu après la naissance de son neuvième enfant, Catherine tombe malade et l'année suivante arrive Edward, le dernier. Dickens « devient de plus en plus instable et imprévisible » et s'ouvre de son désarroi à Wilkie Collins : « Les bons vieux jours, les bons vieux jours ! Retrouverai-je jamais l'état d'esprit d'alors, je me le demande…
J'ai l'impression que le squelette qui habite mon placard domestique devient bigrement gros »


« Le rêve de Dickens »

Dickens est au faîte de sa popularité qui ne faiblira plus.
Tout à la fois, il a écrit Pickwick Papers et Oliver Twist, puis s'est attelé à Nicholas Nickleby, qu'ont suivis en cascade Le Magasin d'antiquités et Barnaby Rudge, présentés dans ce que Graham Smith appelle « ce vecteur de publication artificiel et sans grand succès » qu'a été L'Horloge de Maître Humphrey47. Ce rendement est en partie dû aux exigences de la publication en feuilleton mensuel, mais le dynamisme est exceptionnel : Dickens fait paraître dans le même temps une petite burletta, Is She his Wife?, de courts recueils, Sketches of Young Gentlemen et Sketches of Young Couples, sans compter la révision de Memoirs of Joseph Grimaldi et du parodique Pic-nic papers, entreprises pour aider la veuve de John Macrone, l'éditeur des Esquisses de Boz, disparu à vingt-huit ans


« Cinquante êtres vivants »

John Forster a capté cette énergie de tous les instants : « la rapidité, l'ardeur et la puissance pratique, la démarche curieuse, fébrile, énergique sur chaque aspect comme d'un homme d'action et d'affaires jeté dans le monde.
La lumière et le mouvement jaillissaient de toutes parts en lui c'était la vie et l'âme de cinquante êtres vivants. ».
Le public parle avec son argent, les ventes ne faisant que grimper (seul Barnaby Rudge connaît un fléchissement à 30 000), 7 500 pour Oliver Twist, 50 000 pour le premier numéro de Nicholas Nickleby, 60 000 pour L'Horloge de Maître Humphrey, 100 000 pour la fin de Le Magasin d'antiquités, et le monde littéraire, à quelques exceptions près dont Charlotte Brontë qui lui préfère Thackeray, le porte aux nues.
Michael Allen écrit que les comparaisons font florès : l'âme de Hogarth, le Cruikshank des écrivains, le Constable du roman, l'égal de Smollett, de Sterne, de Fielding, un nouveau Defoe, l'héritier de Goldsmith, le Cervantes anglais, un Washington Irving, Victor Hugo, Wordsworth, Carlyle et même Shakespeare.
Son ancien maître de Chatham s'adresse à lui avec l'épithète « inimitable » associée à Boz : Dickens se l'approprie et s'en qualifie sa vie durant.
Les invitations pleuvent : cooptation par les Garrick Club et Athenæum, circonscription électorale refusée car Dickens exige un siège sur mesure, franchise d'Édimbourg (juin 1841), dîners de gala, conférences où il brille d'intelligence et de virtuosité, réunies en recueils (Speeches). À Édimbourg où le reçoit Lord Jeffrey, il est acclamé au théâtre par la foule debout, tandis que l'orchestre joue impromptu « Charley is my Darling.
Les villes se couvrent de portraits de Pickwick ou de Nickleby, sur les faïences, les vêtements, des affiches et des placards, et le visage même de Dickens, désormais popularisé par Maclise et Francis Alexander, est connu de toute la nation et outre-Atlantique88. Nombre d'observateurs prévoient une issue parabolique : « Il s'est envolé comme une fusée ; il retombera comme un bout de bois », augure Abraham Hayward dès octobre 1837. Pourtant, Dickens ne faiblit pas et devient le collaborateur ou l'ami de la plupart des grands journalistes ou auteurs, Leigh Hunt, William Harrison Ainsworth, Edward Bulwer-Lytton, Albany Fontblanque, Douglas Jerrold, Walter Savage Landor, etc. Comme l'écrit Michael Allen, son énergie créatrice ne fait que décupler et les commentateurs saluent désormais cette voix dont l'originalité sait parler à tous.

Des relations familiales difficiles

Les enfants se sont suivis pratiquement d'année en année et leur père s'intéresse beaucoup à eux petits, les négligeant ensuite tant ils peinent à se hisser au niveau espéré et requièrent souvent son aide financière.
Ils ne sont pas les seuls, parents, frères et sœurs, tous se tournent vers ce nouveau fortuné.
Dickens a eu avec son père des relations teintées d'affection et de méfiance : jusqu'en 1839 environ, il l'invite souvent au théâtre, à des dîners, en vacances, à des réunions entre amis ; puis, John Dickens, dont les activités journalistiques se tarissent, est comme emporté par le tourbillon de son fils et reprend ses mauvaises habitudes.
Charles en prend conscience en mars et fait déménager ses parents à Exeter, Devonshire, loin des tentations londoniennes et des créanciers. Pour environ 400 £, il éponge les dettes et règle les dépenses du nouveau logis.
Le séjour dure trois ans, jusqu'au jour où son fils, au comble de l'exaspération, se rende compte que John a accumulé d'autres dettes, vend en cachette des échantillons de ses manuscrits ou de sa signature, quête auprès de l'éditeur du journal local, sollicite sa propre banque et son ami Macready.
Il publie alors une mise en garde, comme quoi les créances circulant en son nom ne seront pas honorées.
Exiler son père à l'étranger, il y songe, mais, à son retour d'Amérique en 1842, il finit par rapatrier l'impécunieuse famille non loin de lui.
Les imprudences reprennent et Charles, bien que s'efforçant de donner le change, laisse parfois éclater sa colère : en septembre 1843, il écrit à John Forster qu'il est « confondu par l'audace de son rennent et Charles, bien que s'efforçant de donner le change, laisse parfois éclater sa colère : en septembre 1843, il écrit à John Forster qu'il est « confondu par l'audace de son ingratitude », que c'est « une insupportable croix à porter » qui le « démoralise complètement et dont le fardeau devient intolérable ».
Désormais, il assure le rôle de chef de famille, s'occupe de l'éducation de la fratrie, lui trouve du travail, la guide et la réprimande, l'emmène en vacances, l'installe et si l'un d'eux disparaît, assure le bien-être des siens.
Selon Michael Allen, Dickens a trouvé pour tous le temps et l'argent qu'il fallait, « mais a payé un lourd tribut d'anxiété devant leurs frasques » : Fred épouse une jeune fille de dix-huit ans, s'en sépare, est convaincu d'adultère et poursuivi, refuse de payer, quitte son travail et s'enfuit à l'étranger ; arrêté à son retour, il est emprisonné, sombre dans l'alcoolisme et meurt à 48 ans ; Augustus quitte son épouse devenue aveugle au bout de deux ans, émigre en Amérique avec une autre femme, meurt à Chicago à 39 ans où sa concubine se suicide l'année suivante.


Georgina Hogarth

Dès le retour d'Amérique, la place de Georgina va grandissant51. Devenue Aunt Georgy, elle s'occupe beaucoup des garçons, leur apprenant à lire avant qu'ils n'entrent à l'école, et prend souvent la place d'honneur lors des réceptions.
Elle est aidée par une bonne, Anne Cornelius, dont la fille fréquente plus tard une école du nord de Londres où sont aussi scolarisées deux, puis trois nièces de Dickens qui acquitte tous les frais.
Georgina est à la fois servante, préceptrice et maîtresse de maison98, statut bien supérieur à celui d'Anne Cornelius qui voyage en deuxième classe alors que la famille est en première.
Elle accompagne parfois Dickens en ses longues promenades et elle partage de plus en plus ses activités théâtrales96, voire littéraires, lui servant de secrétaire lorsque, de 1851 à 1853, il écrit sa célèbre Histoire de l'Angleterre destinée aux enfants.
Dickens cherche à la marier, lui proposant de beaux partis, par exemple Augustus Leopold Egg (1816-1863), étudiant aux Beaux-Arts de Londres et futur peintre de renom. Lui aussi partage la scène avec Dickens lors de ses mises en scène dont il conçoit souvent les costumes : Georgina les refuse tous, et son beau-frère, blasé, écrit à un ami alors qu'elle a atteint l'âge de 33 ans :
« Je doute fort qu'elle se marie un jour ».
Le moment le plus crucial de la vie de Georgina coïncide avec le moment le plus crucial de la vie de Dickens, lorsque, excédé par sa femme, il décide de s'en séparer.
1858 : la séparation d'avec Catherine Dickens


Maria Beadnell.

Dickens, ne voyant plus sa femme avec ses yeux de jeune homme, parlant d'elle avec mépris à ses amis, trouvant aussi qu'elle ne s'occupe pas assez des enfants, cherche ailleurs une consolation. Lorsque Maria Beadnell, maintenant Mrs Henry Winter, épouse d'un marchand et mère de deux filles, se rappelle à lui, il se prend à rêver qu'il l'aime encore, la rencontre secrètement, puis l'invite à dîner avec son mari.
La rencontre tourne au désastre, et jugeant sa tentative « absurde », il jure qu'« on ne l'y reprendra plus ».
Mrs Dickens, quant à elle, ne se voit pas sans amertume supplantée au foyer par Georgina et, à partir de 1850, souffre de mélancolie et de confusion mentale, aggravée en 1851 après la naissance de Dora qui mourra à huit mois.
En 1857, les époux font chambre à part, quoique Dickens insiste pour que les apparences soient sauves.
La famille passe quelques moments heureux à Gads Hill's Place110, mais les répits sont de courte durée et bientôt il leur semble impossible de poursuivre la vie commune.
Au printemps de 1858, un bracelet en or, mal dirigé par le joaillier, revient accidentellement à Tavistock House.
Catherine accuse son mari d'entretenir une relation amoureuse avec la jeune actrice Ellen Ternan, ce que nie Dickens, prétextant qu'il a l'habitude de récompenser ainsi ses meilleures interprètes. Afin que soit mise en œuvre une procédure de divorce en vertu de la loi récemment adoptée (Matrimonial Causes Act de 1857), la mère et la tante maternelle de Catherine, Helen Thompson, insistent pour que soient recherchées des preuves d'adultère à l'encontre d'Ellen Ternan et aussi de Georgina Hogarth, qui, après avoir œuvré pour sauver le mariage, a pris le parti de Dickens.
Pour couper aux rumeurs, Dickens lui fait établir un certificat qui la déclare virgo intacta. Le 29 mai 1858, un document faisant état de l'impossibilité d'une vie commune est signé par le couple et paraphé par Mrs Hogarth et Helen Thompson. Dickens demande par écrit à son épouse si elle s'oppose à ce qu'une déclaration commune soit rendue publique ; la première paraît le 12 juin113 dans Household Words, reproduite par de nombreux quotidiens ou hebdomadaires dont The Times, puis une autre dans le New York Tribune.


Bientôt, Catherine s'en va vivre avec son fils Charley au 70 Gloucester Crescent, dotée d'une rente de 600 £.
Elle n'a jamais été autorisée à remettre les pieds au domicile familial, ni à paraître devant son mari, retiré avec les autres enfants et Georgina à Gad's Hill Place, où il écrit ses œuvres dans un chalet suisse reconstitué au milieu du jardin.
Elle n'a pas manqué de défenseurs, entre autres William Makepeace Thackeray, Elizabeth Barrett Browning ou Angela Burdett-Coutts, amie de toujours qui se sépare de Dickens.
La « trahison » de Georgina incite Graham Smith à sonder ses motivations : écartant l'idée qu'elle ait secrètement aimé son beau-frère autrement que d'affection, elle a dû, pense-t-il, se préoccuper des enfants, désormais « sans mère », et apprécier de vivre auprès d'un écrivain de tel renom et de profiter de la compagnie qu'il fréquente.
Quant à Dickens, Graham Smith voit dans le sobriquet qu'il lui donne, « la vierge », la clef de son attitude : faisant fi des conventions, il a trouvé en elle son idéal de femme au foyer, tel qu'il le décrit en Agnes Wickfield, « angélique, mais compétente à la maison ».


Un travail acharné et fécond

Calme ou agitée, chaque année apporte son lot de labeur et de réussite.
Les Dickens changent souvent de domicile, et en 1842, à son retour d'Amérique, Charles déracine sa famille et s'en va vivre à Gênes d'où il revient au bout d'un an avec son Pictures from Italy.
L'année suivante, c'est en Suisse, puis à Paris qu'il passe plusieurs mois, ces absences n'allant pas sans répercussions, malentendu et brouille avec les éditeurs.


Daguerréotype d'Antoine Claudet.

En 1850, Dickens se fait prendre en photographie pour la première fois sur un daguerréotype d'Antoine Claudet : image d'un homme respectable, solide, rasé de près, sévère de visage et élégant dans sa tenue, un portrait d'homme d'affaires ; il y paraît grand, bien qu'il ne fît que 5 pieds et huit pouces, soit 1,72 m120 ; une certaine solennité imprègne ses traits, qui se durciront en un vieillissement prématuré.
Les deuils, indépendamment des tracas, se succèdent dans sa vie : perte de sa sœur Fanny à trente-huit ans en 1848, bientôt suivie par sa petite Dora en 1850, puis de son père en 1851. C'est une époque d'introspection où il commence à écrire une autobiographie, puis se confie à la première personne dans David Copperfield, « de tous mes livres, celui que j'aime le plus », dont le décryptage ne s'est fait qu'après la parution de la biographie de John Forster.
Auparavant, en 1843, il s'est s'inscrit dans le cœur des foules avec Un chant de Noël, sujet déjà abordé dans ses Esquisses de Boz et Les Papiers posthumes du Pickwick Club, mais qui, avec Tiny Tin, Scrooge, les Fantômes de Noël Passé, Présent et Futur, promeut sa renommée à l'universalité. Petit livre d'emblée proposé à la scène, restant à ce jour le plus adapté de tous, il associe Noël et Dickens dans la conscience collective, d'autant que, de 1850 à 1867, chaque fin d'année apporte sa nouvelle offrande.
De 1846 à 1858, en collaboration avec Angela Burdett-Coutts (1814-1906), il crée Urania Cottage, destiné à recueillir les femmes dites « perdues », réalisation qui, au cours des douze années de sa gestion, permet à une centaine de pensionnaires de se réinsérer dans la société. Contrairement aux autres institutions de ce type fondées sur la répression, il choisit d'éduquer par la lecture, l'écriture, la gestion du foyer et surtout un métier. Tout en les coupant de leur milieu, il entend métamorphoser « comme magiquement » les exclues par des habitudes et des principes nouveaux, expérience, écrit Jenny Hartley, qui « aura été comme écrire un roman, mais avec de vraies personnes ».


Dickens en capitaine Bobadill dans Ben Jonson.

De tous temps, Dickens a pris plaisir à la scène. Chez ses parents à Bentinck House, il crée une petite compagnie familiale, et au Queen's Theatre de Montréal en 1842, il aide les officiers de la garnison, The Goldstream Guards, à monter un spectacle.
En 1845, puis dans les années 1850, rassemblant acteurs professionnels et amis, il se lance dans la mise en scène et la production, prenant même part, en capitaine Bobadill, au Every Man in his Humour de Ben Jonson au Royalty Theatre, 73 Dean Street, Soho. Décor, jeu des acteurs, accessoires, maquillage, costumes, il se plaît devant le public, sa troupe attire l'attention et est souvent demandée à Londres et en province (Birmingham, Manchester, Liverpool), en Écosse (Édimbourg, Glasgow).
En 1851, Les Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare s'ajoute au répertoire et une nouvelle pièce de Edward Bulwer-Lytton, Not so Bad as We Seem, est donnée devant plus de 1 200 spectateurs à Sunderland où, le nouveau théâtre étant réputé peu sûr, Dickens place Catherine et Georgina loin de la scène. Chaque fois, quelques courtes farces sont données en bis, où Dickens, changeant rapidement de costume, incarne plusieurs personnages, tout cela dans la joie et sans but lucratif, les entrées allant à des œuvres de charité, surtout la Guild of Literature and Art, fondée avec Lytton pour les acteurs nécessiteux,. Même la Reine Victoria est conquise et fait savoir au printemps de 1857 qu'elle aurait plaisir à assister à une représentation de The Frozen Deep.

1851 est l'année où Dickens acquiert Gad's Hill Place près de Rochester, au portail de laquelle Charles et son père s'étaient arrêtés avec envie quelque trente ans auparavant. La région, « lieu de naissance de son imagination », devient une nouvelle source d'inspiration : Chatham, Rochester, les marais environnants servent de décor pour Les Grandes Espérances (1860-1861) ; Rochester est le Cloisterham de Le Mystère d'Edwin Drood, et plusieurs essais du The Uncommercial Traveller, dont « Dullborough Town » et » Chatham Dockyard », y sont également situés.


Daily News (1858).

Le journalisme a été l'une des activités fondatrices de Dickens : en 1845, il participe au lancement du Daily News à vocation libérale publié par Bradbury and Evans et dirigé par d'anciens collaborateurs, entre autres John Forster et George Hogarth, W. H. Wills, Mark Lemon et Douglas Jerrold.
Bientôt, Dickens en devient brièvement le rédacteur-en-chef avec l'énorme somme de 2 000 £ annuelle, et, bonus ajouté, son propre père est placé à la tête des reporters.
Alors qu'il travaille à David Copperfield, il conçoit et met en œuvre Household Words et, contrairement à ses passages au Bentley's Miscellany, L'Horloge de Maître Humphrey ou au Daily News, il s'occupe jusqu'à sa mort de ses propres revues, Household Words changeant de titre en 1859 pour devenir All the Year Round.
Avec l'aide du rédacteur adjoint W. H. Wills, de Wilkie Collins qu'il rencontre en 1851 et d'autres jeunes écrivains, les années 1850 et 1860 sont fertiles en événements journalistiques que Dickens relaie auprès d'un public friand de qualité, les ventes grimpant au moment de Noël à 100 000 pour Household Words, 300 000 pour All the Year Round. Sa passion journalistique s'est transmise à son fils aîné Charley qui, après le décès de son père, a poursuivi la rédaction et la gestion de la revue jusqu'en 1888.


Gad's Hill Place aujourd'hui.


Vers la fin de sa vie, Dickens proclame la haute idée qu'il se fait de sa vocation : « Lorsque je me suis d'abord engagé en littérature en Angleterre, j'ai calmement résolu en mon for intérieur que, réussite ou échec, la littérature serait ma seule profession J'ai passé un contrat avec moi-même, selon quoi à travers ma personne, la littérature se dresserait, en soi, pour soi et par soi ».
Si Dickens a toujours tenu, et le plus souvent avec brio, à donner cette image d'un homme dévoué au service des lettres et des lecteurs, parfois, note John Drew, lors de ses démêlés avec les éditeurs, le caractère impérieux de son tempérament a pris le pas sur sa « calme résolution » : ainsi en témoigne le dernier numéro de Household Words fondant All the Year Round131, a contrario aussi éloquent que les solennelles déclarations publiques.
Les douze dernières années


Ellen Ternan.

Le 13 avril 1857, alors qu'elle vient d'avoir dix-huit ans, Ellen (Nelly) Ternan est remarquée par Dickens au théâtre du Haymarket.
L'impression est forte au point qu'en décembre, il s'ouvre à son amie Mrs Watson de son trouble.

L'année suivante, il la recrute avec sa mère et une de ses sœurs pour interpréter au nouveau Free Trade Hall de Manchester, une pièce de Wilkie Collins, The Frozen Deep (« Les Abîmes gelés »), confiant les plus importants personnages à Mrs Ternan et à Maria, tandis qu'Ellen incarne le rôle secondaire de Lucy Crayford.
Ces représentations, attisant le sentiment né en 1857, vont avoir bien des répercussions chez Dickens. Subjugué par Ellen, de l'âge de sa fille Katey, il ne l'oublie plus, lui confie certaines de ses œuvres et dirige sa carrière, la logeant avec sa famille en Angleterre comme en France, où il la rejoint souvent à Condette près de Boulogne. À partir de 1860, a-t-il été observé, il traverse régulièrement la Manche, et entre 1861 et 1863, n'est occupé à aucun roman d'envergure ni ne donne de nombreuses lectures.
La présence du couple en France est confirmée en juin 1865 lors de l'accident de chemin de fer de Staplehurst, puisque le train les ramenant de France dans un wagon de première classe en tête de convoi déraille entre Headcorn et Staplehurst le 9 juin 1865.
Les ouvriers ont enlevé seize mètres de rails, mais le convoi est parti plus tôt qu'ils ne s'y attendaient sans qu'aucune fusée d'avertissement ait été prévue140. Les huit premiers wagons basculent dans la petite rivière Beult, en contrebas d'un viaduc peu élevé et dépourvu de rambardes, et de nombreux passagers restent coincés dans les décombres. Grâce à sa taille menue, Dickens réussit à s'extirper par la fenêtre, dégage ses accompagnatrices, s'assure qu'Ellen et sa mère soient immédiatement conduites à Londres, puis se porte au secours des blessés.
Nelly a été touchée au bras gauche qui en restera fragilisé. Dickens, craignant que leurs relations ne soient découvertes, insiste pour que le nom des Ternan soit supprimé des comptes-rendus de presse, et il s'abstient de témoigner lors de l'enquête officielle à laquelle il a été convoquée.
L'accident se solde par dix morts et quarante blessés, dont quatorze grièvement.
Lors de la publication de L'Ami commun en 1865, Dickens ajoute une postface ironique revenant sur l'accident : le manuscrit du dernier épisode est resté dans son manteau, et au bout de trois heures, il se rappelle soudain les feuillets, se hisse dans le wagon suspendu à l'oblique et réussit à les récupérer.
Nelly se fait quasi clandestine, devenue une femme invisible. Pourtant ambitieuse, vive, intelligente, très agréable en société, intellectuellement active et cultivée, sa vie s'est comme arrêtée. Pour Dickens, elle est devenue source permanente de réconfort et bonne conseillère, son art scénique et ses lectures publiques, par exemple, progressant beaucoup.


Helena Landless,

Peter Ackroyd écrit d'Ellen Ternan qu'« elle était volontaire et à l'occasion dominatrice très intelligente et, pour une femme ayant reçu pour toute éducation une enfance passée sur les planches du théâtre itinérant, remarquablement cultivée ».
E. D. H. Johnson note le changement qui s'opère dans l'œuvre de Dickens à partir de 1858, précisant par exemple que « le nom de la jeune femme a certainement influencé le choix de celui des héroïnes des trois derniers romans, Estella, Bella Wilfer et Helena Landless », au nom évocateur de Lawless, second prénom d'E, tous prénoms évoquant l'éclat (hèlè) de l'astre, l'étoile (stella), la beauté, la lumière. Leur tempérament volontaire représente, ajoute-t-il, une rupture par rapport à l'« idéal de douce sainteté » qu'incarnent Florence Dombey, Agnes Wickfield, Esther Summerson et Amit. De plus, « ses dernières œuvres explorent sans le moindre doute la passion sexuelle avec une intensité et une acuité sans précédents dans son œuvre ». Enfin, Le Mystère d'Edwin Drood a été inspiré par un fait-divers lié à la famille Ternan lorsqu'un des nombreux frères du père de Nelly, parti un jour en promenade, n'est jamais revenu.



Que Dickens ait passionnément aimé Ellen est établi, mais ce n'est qu'après la publication de Dickens et sa fille par Gladys Storey en 1939 qu'ont été connus les détails : Kate lui a confié que son père et l'actrice ont eu un fils mort à quatre jours, naissance attestée par l'entrée sibylline d'avril 1857 relative à Slough dans le journal de Dickens : « Arrivée et Perte ».
Il se peut qu'il y ait eu plusieurs grossesses, et Nelly aurait fait allusion à « la perte d'un enfant ». Gladys Storey ne corrobore pas ces dires, mais à son décès en 1978, divers documents ont été déposés au musée Charles Dickens, où répertoriés et analysés, ils confirment, selon Claire Tomalin, les faits révélés.
Le couple a vécu à Slough, Dickens se faisant passer pour « Mr John Tringham of Slough » ou encore « Mr Turnan », à Windsor Lodge, Peckham avec, là aussi, des noms d'emprunt, et en France près du Château d'Hardelot. Michael Slater note que le romancier a acheté pour Nelly une vaste demeure à Ampthill Square, St. Pancras, où elle a vécu de 1859 à 1862, ce que corrobore aussi Claire Tomalin,. Pendant toutes ces années, Ellen s'emploie à « se servir de ses cellules grises pour se cultiver », comme l'a confié Kate Perugini à Gladys Storey. Lors de leurs séparations, leur correspondance transite par W. H. Wills, de Household Words et All the Year Round, par exemple pendant la tournée américaine de 1867-1868.
Il n'est pas certain qu'Ellen Ternan ait volontiers accepté l'intimité d'un homme au-delà de l'âge d'être son père. Sa fille Gladys rapporte qu'elle parlait de Dickens en termes élogieux, mais le biographe Thomas Wright la décrit comme regrettant amèrement sa liaison, « commencée alors qu'elle était jeune et sans le sou s'accablant de reproches et s'éloignant de plus en plus de lui ».
D'après E. D. H. Johnson, elle se serait longtemps refusée. « Ellen, ajoute Thomas Wright, si elle a cédé, semble l'avoir fait sans chaleur et avec un sentiment chagriné de culpabilité ».
Il s'en remet au chanoine William Benham de Margate à qui elle se confiait: « Je le tiens de sa propre bouche, écrit-il, elle répugnait à la seule pensée de cette intimité »N ,.
Au temps de cette confidence, Ellen, devenue Mrs Robinson de Southsea, Hampshire, était retirée dans une petite ville de province, veuve des plus respectables. Lorsque Georgina a appris que Thomas Wright rassemblait des documents, elle s'est montrée très soucieuse que certains détails « de nature privée » ne fussent pas publiés à l'encontre de son beau-frère, à quoi il lui a été répondu qu'« il eût été cruel, en effet, de les révéler si prématurément » ; de fait, la biographie n'a paru qu'en 1935.


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Posté le : 09/06/2013 12:30
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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