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De Montpellier
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Le 8 juin 1903 à Bruxelles naît Marguerite Yourcenar
née Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour, écrivaine française naturalisée américaine en 1947, auteur de romans et de nouvelles humanistes , ainsi que de récits autobiographiques. Elle fut aussi poète, traductrice, essayiste et critique littéraire, elles fut la première femme élue à l'Académie française au fauteuil n° 3 en 1980, Ses Œuvres principales sont : Alexis ou le Traité du vain combat en 1929, Nouvelles orientales en 1938, Mémoires d'Hadrien en 1951, L'Œuvre au noir en 1968, Mishima ou la Vision du vide en 1980, elle meurt à 84 ans, le 17 décembre 1987 à Bar Harbor, dans l'État du Maine aux États-Unis,
Si elle fut la première femme élue à l'Académie française, cette vieille institution machiste le 6 mars 1980, c'est grâce au soutien actif de Jean d'Ormesson, qui prononça le discours de sa réception, le 22 janvier 1981. L'historien-poète et le romancier que j'ai essayé d'être : c'est ainsi que Marguerite Yourcenar tente elle-même de définir une entreprise complexe, variée dans son propos et dans son genre. La discrétion de son œuvre et de son existence, l'érudition et l'orientation plus particulière de ses travaux vers des thèmes historiques ou antiques n'ont pourtant pas empêché son succès grandissant comme romancière, poète, auteur dramatique, traductrice, essayiste et critique, notamment après deux romans qui l'ont rendue célèbre : Mémoires d'Hadrien en 1951 et L'Œuvre au noir pour lequel elle a reçu le prix Fémina en 1968. Elle est la première femme à avoir été élue à l'Académie française, en mars 1980. Reçue à l'Académie royale de Belgique 1971, première femme à pénétrer sous la Coupole française 1980, Yourcenar exhume ses racines familiales dans un cycle généalogique intitulé le Labyrinthe du monde : Souvenirs pieux 1974 évoquent les ancêtres maternels ; Archives du Nord 1977, l'ascendance paternelle ; Quoi ? l'Éternité 1988 demeure inachevé. On lui doit aussi un autoportrait, les Yeux ouverts 1980, fruit d'entretiens accordés à Mathieu Galey. Entrée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade, elle jette un dernier regard, à la fois curieux et apaisé, sur le monde et la mémoire dans les nouvelles de Comme l'eau qui coule 1982 et dans les essais du Temps, ce grand sculpteur 1983. L'historien-poète et le romancier que j'ai essayé d'être : c'est ainsi que Marguerite Yourcenar tente elle-même de définir une entreprise complexe, variée dans son propos et dans son genre. La discrétion de son œuvre et de son existence, l'érudition et l'orientation plus particulière de ses travaux vers des thèmes historiques ou antiques n'ont pourtant pas empêché son succès grandissant comme romancière, poète, auteur dramatique, traductrice, essayiste et critique, notamment après deux romans qui l'ont rendue célèbre : Mémoires d'Hadrien en 1951 et L'Œuvre au noir pour lequel elle a reçu le prix Fémina en 1968. Elle est la première femme à avoir été élue à l'Académie française, en mars 1980. Reçue à l'Académie royale de Belgique 1971, première femme à pénétrer sous la Coupole française 1980, Yourcenar exhume ses racines familiales dans un cycle généalogique intitulé le Labyrinthe du monde : Souvenirs pieux 1974 évoquent les ancêtres maternels ; Archives du Nord 1977, l'ascendance paternelle ; Quoi ? l'Éternité 1988 demeure inachevé. On lui doit aussi un autoportrait, les Yeux ouverts 1980, fruit d'entretiens accordés à Mathieu Galey. Entrée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade, elle jette un dernier regard, à la fois curieux et apaisé, sur le monde et la mémoire dans les nouvelles de Comme l'eau qui coule 1982 et dans les essais du Temps, ce grand sculpteur 1983.
Sa vie
Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour — de Craincourt, domaine acquis par la famille, qui l'ajouta à son nom — est née dans une maison de l'avenue Louise, à Bruxelles, d'un père originaire de la Flandre française appartenant à l'ancienne bourgeoisie, la famille Cleenewerck de Crayencour, Michel Cleenewerck de Crayencour, et d'une mère belge, Fernande de Cartier de Marchienne, d'une famille noble belge, qui meurt dix jours après sa naissance, la jeune Marguerite est élevée par un père aristocrate qui lui transmet son goût des voyages et de la culture antique, l'orpheline est nourrie d'indépendance et d'humanités par un père aristocrate, aventurier qui aime les lettres et s'instruit par la vie, nomade qui lui fait partager son cosmopolitisme. Il lui apprend le latin et le grec, l'emmène au théâtre, lui transmet sa passion pour la culture c'est tout naturellement ensemble qu'ils inventeront son pseudonyme. La jeune fille fait son entrée en littérature par la poésie, avec le Jardin des chimères 1921, bientôt suivi par Les dieux ne sont pas morts 1922, qui trahit l'intérêt pour Nietzsche, à une époque de réflexions empreintes de philosophie et de métaphysique, voire de mysticisme en 1938, les Songes et les Sorts traiteront de communication avec l'au-delà et de destin. Marguerite est élevée chez sa grand-mère paternelle Noémi Dufresne dont elle fait, dans Archives du Nord, un portrait à l'acide, par son père, anti-conformiste et grand voyageur; elle passe ses hivers à Lille et ses étés, jusqu'à la Grande Guerre, dans le château familial situé au Mont Noir dans la commune de Saint-Jans-Cappel Nord, construit en 1824 par son arrière-grand-père Amable Dufresne 1801-1875 et qui restera la propriété de la famille Dufresne jusqu'à la mort de Noémi en 1909. Michel Cleenewerck de Crayencour, le père de Marguerite Yourcenar, le vend en 1913, peu de temps après en avoir hérité. Le château sera détruit lors des combats de la Première Guerre mondiale villa Marguerite Yourcenar.
Installée à Paris 1912, elle apprend l'anglais à Londres, où elle se réfugie un an pendant la Première Guerre mondiale 1914, puis, après son retour en France, passe un baccalauréat latin-grec à Nice 1919. Elle fait son entrée en littérature avec deux recueils de poèmes : le Jardin des chimères 1921, qu'elle publie à compte d'auteur et qui sera bientôt suivi de Les dieux ne sont pas morts 1922. Ces premières publications sont signés Yourcenar, anagramme de Crayencour à l'omission d'un C près, qui deviendra son patronyme légal en 1947 lors de sa naturalisation comme américaine, en effet c'est à cette époque qu'elle invente, avec l'aide de son père, l'anagramme Yourcenar, qui deviendra son nom légal. Très rapidement, la jeune femme éprouve le besoin de varier ses sources d'inspiration. De 1921 à 1925, elle compose une vaste fresque romanesque, dont elle ne conservera que trois fragments qui paraîtront sous le titre La Mort conduit l'attelage 1934. Dès 1926, elle termine une biographie de Pindare publiée en 1932, inaugurant ainsi la veine des essais. Elle accompagne son père dans ses voyages : Londres pendant la Première Guerre mondiale, le midi de la France, la Suisse, l'Italie où elle découvre avec lui la Villa d'Hadrien à Tivoli ; elle l'observe, assiste à ses amours dont elle fera la trame de Quoi ? L'Éternité. En 1929, elle publie son premier roman, inspiré d'André Gide, d'un style précis, froid et classique : Alexis ou le Traité du vain combat. Il s'agit d'une longue lettre dans laquelle un homme, musicien renommé, confie à son épouse son homosexualité et sa décision de la quitter dans un souci de vérité et de franchise. La Monique du texte n'est autre que le grand amour du père de Yourcenar, par ailleurs ancienne condisciple de sa mère, Jeanne de Vietinghoff née Bricou fille d'Alexis Bricou 1825 ou 24-1877, négociant à Schaerbeek rue du Progrès, 121, déjà veuf en premières noces de Hermanie Koch et en seconde noces de Gesina Cornelia van Duura 1834/1835-1867. Après le décès de son père, en 1929 après qu'il a lu le premier roman de sa fille, Marguerite Yourcenar mène une vie bohème entre Paris, Lausanne, Athènes, les îles grecques, Constantinople, Bruxelles, etc. Marguerite Yourcenar est bisexuelle, elle aime des femmes et tombe amoureuse d'un homosexuel, André Fraigneau, écrivain et éditeur chez Grasset. Elle publie les Nouvelles orientales, échos de ses voyages, Feux, composé de textes d'inspiration mythologique ou religieuse entrecoupés d'apophtegmes, où l'auteur traite sur différents modes le thème du désespoir amoureux et des souffrances sentimentales, repris plus tard dans Le Coup de grâce 1939, court roman sur un trio amoureux ayant pour cadre la Courlande pendant la guerre russo-polonaise de 1920.
Approche biographique
La tâche d'établir une biographie de Marguerite Yourcenar pourrait sembler facilitée par la publication en 1974 et en 1977 de Souvenirs pieux et Archives du Nord : ces deux ouvrages devaient faire partie d'une trilogie autobiographique qu'aurait complétée Quoi ?, l'éternité, restée inachevée. L'auteur y tente de retrouver sa double origine, belge par sa mère, française par son père ; la narration proprement autobiographique sera cependant esquivée ; l'être que j'appelle moi s'efface au profit d'une patiente recherche généalogique, à partir de la naissance de l'auteur à Bruxelles et de la mort de sa mère, onze jours plus tard, des suites de l'accouchement, pour remonter de cette mère inconnue, née de Cartier de Marchienne, vers la famille de celle-ci. La démarche s'inverse dans le second volume, où il s'agit pour Marguerite Yourcenar de redescendre le temps, des plus lointaines origines d'une région qui deviendra plus tard la Flandre française, jusqu'à la personnalité marquante de son père, à travers le réseau complexe des alliances et des générations. Travail d'archiviste et de romancière qui laisse de côté les éléments autobiographiques qu'il faut collecter ailleurs. De son vrai nom Cleenewerck de Crayencour transformé en Yourcenar par l'anagramme du second patronyme, elle passera son enfance et son adolescence auprès de son père, entre le domaine de la famille paternelle, en Flandre française, et des séjours à l'étranger ou dans le midi de la France c'est à Aix-en-Provence qu'elle obtient son baccalauréat. Sa formation classique autant que ses goûts l'orientent vers les langues et les civilisations anciennes. En 1921, elle publie Le Jardin des chimères, un recueil de poésie. En 1929, son premier roman, Alexis ou le Traité du vain combat. Après la mort de son père, survenue la même année, Marguerite Yourcenar continue à voyager, en Suisse, en Italie, en Grèce, alternant la publication d'essais Pindare en 1932, de romans, Denier du rêve en 1934, de poésie, Feux en 1936, de traductions Les Vagues de Virginia Woolf en 1937. En 1939, elle gagne les États-Unis où elle enseignera quelque temps dans des universités et où elle choisira définitivement pour résidence l'île des Monts-Déserts, sur la côte est. En 1971, Marguerite Yourcenar a été reçue à l'Académie royale belge de langue et de littérature françaises et, en 1980, à l'Académie française.
Le sens de l'histoire
La diversité de l'œuvre, tant par ses thèmes que par les genres littéraires utilisés qui varient des aphorismes intimes de Feux au roman historique, peut être un obstacle à son approche, malgré le classicisme de son projet comme de son écriture. Sur les grandes lignes de sa démarche, Marguerite Yourcenar s'est expliquée à plusieurs reprises, notamment dans les préfaces écrites lors de la révision de certains ouvrages en vue d'une nouvelle édition. Plusieurs d'entre eux, en effet, ont fait l'objet d'une élaboration en deux temps, ou d'un remaniement ultérieur. Denier du rêve, qui représente un moment de révolte contre le fascisme italien et qui date de 1934, a été repris en 1959 selon une analyse quelque peu différente des événements historiques et des motivations des personnages ; la pièce de théâtre Qui n'a pas son Minotaure ?, composée en 1933, a été récrite en 1944 puis en 1957. Les Mémoires d'Hadrien, ébauchés avant la guerre, n'ont été menés à terme qu'en 1951. Quant à L'Œuvre au noir, qui sera publié en 1968, c'est la reprise et l'approfondissement d'un thème traité en 1934 sous la forme d'une nouvelle, D'après Dürer. Ces délais, ces relectures donnent lieu chez l'auteur à des analyses rétrospectives de sa démarche qui peuvent ainsi l'éclairer.
L'intérêt pour son propre passé d'écrivain, les scrupules éprouvés dans ce domaine témoignent que la forme définitive ne s'atteint que par une reconstruction de l'ancien : cette idée se retrouve, sur un plan général, dans l'utilisation si fréquente par l'auteur de thèmes, de personnages et de récits antiques. Ce mouvement de retour aux sources, de recherche d'un support dans des événements ou des textes antérieurs rejoint une tendance fondamentale de la tradition humaniste. Le point de départ, en effet, est presque toujours historique : Denier du rêve a pour centre un attentat antifasciste à Rome en l'an XI de la Dictature ; Le Coup de grâce relate un épisode du conflit russo-allemand dans les provinces baltes pendant la Première Guerre mondiale ; Mémoires d'Hadrien tente de cerner l'existence et la personnalité d'un empereur romain ; et L'Œuvre au noir emprunte à un certain nombre de philosophes, de médecins ou d'alchimistes authentiques du XVIe siècle les traits essentiels de son héros Zénon, dont la vie, les expériences et les préoccupations se trouvent ainsi soutenues par une réalité historique. Le romancier, écrit Marguerite Yourcenar, n'étudiera jamais avec assez de minutie passionnée le dossier de son héros. Mais il ne s'agit pas pour elle de prendre appui sur l'histoire afin de la romancer, de faire du passé le prétexte d'un bal costumé. Cette libre recréation d'un personnage réel ayant sa trace dans l'histoire, selon la formule qu'elle utilise pour Hadrien, peut être rapprochée de la démarche qu'elle effectue à propos de sa propre famille : démarche de compréhension du passé à force de sympathie imaginative, reconstruction, à travers différents moments du temps, de ce jeu compliqué de causes dont nous ressentons encore les effets. L'intérêt pour le passé est complexe, animé par des questions actuelles, conscient d'une fascination pour cette remontée vers l'obscur, l'abîme, la mort, ces spectres évoqués jalonnant une entreprise que l'auteur qualifie de quasi nécromantique ; mais porté d'autre part vers ce que ces existences et ces événements antérieurs présentent d'intemporel : documents humains toujours valables qui permettent comme dans Denier du rêve un glissement vers le mythe ou l'allégorie, saisissant dans la Rome de la dictature fasciste, la Ville où se noue et se dénoue éternellement l'aventure humaine.
Le poids du mythe
Le retour à l'origine n'est donc pas seulement une plongée dans l'histoire réelle. Le point de départ du travail littéraire, théâtral, romanesque ou poétique, peut être aussi bien la légende, ou, comme dans Nouvelles orientales, la fable grecque ou hindoue, l'apologue taoïste, la ballade balkanique, c'est-à -dire un texte antérieur, jouant le rôle des archives ou des arbres généalogiques pour les travaux d'historien. Mais l'utilisation du mythe, au-delà de sa diversité apparente, reconduit régulièrement Marguerite Yourcenar aux sources helléniques. « Toujours un fil grec court à travers la trame, qu'elle soit balte, espagnole, italienne ou hollandaise », remarque Carlo Bronne à son sujet. Nous touchons ici à une prédilection soutenue par cette conviction que « presque tout ce que les hommes ont fait de mieux a été dit en grec ». L'Antiquité n'a pas fini de proposer son modèle à la pensée, à la langue, comme aux rapports humains. C'est ainsi qu'un long essai sur Pindare précède le roman de La Nouvelle Eurydice qui déplace et renouvelle l'aventure d'Orphée dans un cadre contemporain ; modernisation du mythe que l'on retrouvera dans les poèmes de Feux, puis dans l'œuvre dramatique qui met en scène Alceste, Électre ou le Minotaure. Cette préférence a ses raisons. Le mythe n'a pas seulement une valeur esthétique, il véhicule une métaphysique de l'existence ; l'égale sensibilité à l'humain et au divin, le sens du tragique, l'importance de la lucidité, la valeur accordée à certaines formes de relation amoureuse mal tolérées ailleurs forment autant de thèmes que développera l'œuvre de Marguerite Yourcenar.
L'humain et le divin
C'est à l'empereur Hadrien que la romancière fait dire qu'il a lutté pour « favoriser le sens du divin dans l'homme, sans pourtant y sacrifier l'humain. Les Mémoires, présentés sous la forme d'une lettre fictive adressée au futur Marc Aurèle, sont écrits par l'empereur vieillissant, au seuil de la mort. Entamée pour l'informer des progrès de sa maladie, puis devenue délassement, cette lettre se transforme en examen de soi-même et bilan d'une existence féconde de chef d'État, d'administrateur, de militaire, de bâtisseur de villes et de murailles. Civilisateur, pacificateur, mais aussi philosophe, esprit ouvert aux sciences, à la magie, aux mystères religieux. Dès avant sa divinisation posthume, selon l'habitude de Rome à l'égard des Césars, cette apothéose de l'Empire, la multitude des tâches accomplies peuvent donner à l'homme le sentiment d'être Dieu. Rayonnement solaire du pouvoir bien exercé, même si par ailleurs les ombres du règne, les maladies du corps, l'emportement des passions, le suicide d'Antinoüs restituent l'empereur au monde humain.
La méditation sur le pouvoir du corps et des forces vivantes, sur le mystère de l'amour, du sommeil, des émotions rattache le personnage d'Hadrien à celui, fictif, du Zénon de L'Œuvre au noir. Philosophe, médecin et alchimiste, promenant ses curiosités et ses incertitudes à travers l'Europe du XVIe siècle, Zénon emprunte la plupart de ses traits à des personnalités authentiques, Paracelse, Érasme, Michel Servet, Ambroise Paré, Léonard de Vinci, Vésale, Campanella. La narration le suit de sa naissance illégitime à Bruges jusqu'à son suicide dans une prison de cette même ville, cinquante ans plus tard, traversant dans l'intervalle les événements marquants de l'époque. L'intérêt du XVIe siècle tient notamment à la saisie critique des rapports de l'homme au divin et à l'humain qui s'accomplit dans cette période : crises religieuses, hérésies diverses, écartèlements des esprits scientifiques entre deux voies, celle de l'empirisme matérialiste, et celle du panthéisme ou de l'hermétisme mystique des alchimistes. Ce que revendique le jeune Zénon : Il s'agit pour moi d'être plus qu'un homme, se transformera peu à peu en analyse et approfondissement de l'humain. Cette transformation des croyances et des habitudes mentales héritées des sciences antiques et de la théologie médiévale devient un équivalent symbolique de l'œuvre au noir, expérience alchimique de la dissolution des formes ; il s'agit bien en effet pour l'esprit d'une mort philosophique où vacillent toutes les anciennes structures et où se solidifient, en précipité calciné, les premières découvertes et les inquiétudes d'un esprit libre, même si le corps est promis au bûcher.
Lucidité et passion
Ce balancement entre le divin et l'humain se retrouve dans le difficile équilibre entre le goût pour la connaissance et les séductions de la chair. L'effort de lucidité d'Hadrien Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts se retrouve chez Zénon mais aussi dans les confessions d'Alexis ou d'Eric von Lhomond, le narrateur du Coup de grâce. Les difficultés rencontrées n'entravent pas seulement la démarche d'analyse, elles sont même un obstacle pour le langage : Le problème de la liberté sensuelle sous toutes ses formes est en grande partie un problème de liberté d'expression, écrit Marguerite Yourcenar dans la préface d'Alexis. Les susceptibilités et les interdits concernant la relation amoureuse touchent également la possibilité d'en parler. L'alternance de l'écrivain, dans la première partie de son œuvre, entre deux styles, celui de l'expressionnisme baroque, manière tendue et ornée, dont Feux donne une certaine image, et celui du récit classique tout en litotes, manifeste le désir de résoudre la difficulté. À cela, en effet, l'écriture peut apporter une solution, dans une langue progressivement dépouillée, à la fois circonspecte et précise, animée par le ferme propos de concilier sans bassesse l'esprit et la chair ; style de l'examen de conscience qui, comme elle le dit, réalise un compromis entre l'effort de clarté et l'épreuve de la passion. Le thème de la relation homosexuelle et de sa difficile expression développé par Alexis et par Eric devient ainsi chez Hadrien puis Zénon une tentative plus générale de sonder les mystères essentiels de l'esprit et du corps. L'écriture reflète alors cette tâche d'élucidation que, à travers les crises de l'érotisme, de la connaissance ou de la religion, les personnages de Marguerite Yourcenar s'efforcent d'accomplir. L'entreprise est en effet la même lorsqu'il s'agit de comprendre Piranèse ou Pindare, de traduire H. James, de scruter l'opacité des sentiments, celle des corps, ou celle du passé, qu'il soit historique, familial ou mythique.
Fin de vie
En 1939, dix ans après la mort de son père, l'Europe s'agite dangereusement. Marguerite Yourcenar part pour les États-Unis rejoindre Grace Frick, alors professeur de littérature britannique à New York et sa compagne depuis une rencontre fortuite à Paris en 19376. Les deux femmes vécurent ensemble jusqu'à la mort de Frick d'un cancer en 1979. Elles s'installent à partir de 1950 sur l'île des Monts Déserts Mount Desert Island, dans le Maine, qu'elles avaient découverte ensemble en 1942, et nomment leur maison Petite-Plaisance. Yourcenar y passera le reste de sa vie ; citoyenne américaine en 1947, elle enseigne la littérature française et l'histoire de l'art jusqu'en 1953. Sur la plaque funéraire de Marguerite Yourcenar. L'épitaphe est tirée de L'Œuvre au noir : Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le cœur de l'homme à la mesure de toute la vie. Son roman Mémoires d'Hadrien, en 1951, connaît un succès mondial et lui vaut le statut définitif d'écrivain, consacré en 1970 par son élection à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, et dix ans plus tard, par son entrée à l'Académie française, grâce au soutien actif de l'écrivain et académicien Jean d'Ormesson. Des romans historiques aux mémoires autobiographiques, l'œuvre de Yourcenar s'inscrit en marge du courant engagé de son époque et se caractérise d'abord par sa langue, au style épuré et classique, et aussi par son esthétisme et le désir d'affirmer la finalité de la littérature : la narration. Inspirée par la sagesse orientale, et surtout par la philosophie gréco-latine, la pensée de l'écrivain ne s'est jamais éloignée de l'humanisme de la Renaissance :
Yourcenar est la première femme à siéger à l'Académie française. Elle dit avoir longtemps hésité, pour le choix de son sujet, entre l'empereur Hadrien et le mathématicien-philosophe Omar Khayyam. Sa vie se partage entre l'écriture dans l'isolement de l'île des Monts-Déserts et de longs voyages, parmi lesquels des périples autour du monde avec Jerry Wilson, son dernier secrétaire et compagnon dont les photographies en couleur illustreront La Voix des Choses, choix de textes par l'écrivain.
Elle meurt le 17 décembre 1987 à Bar Harbor et ses cendres ont été déposées au cimetière Brookside à Somesville, un des villages de Mount Desert, à côté de la petite maison en rondins qu’elle avait louée avec Frick pendant les trois premiers étés du couple dans le Maine.
"Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres. "
— Mémoires d'Hadrien Yourcenar lisait couramment le grec ancien et le latin et connaissait parfaitement les textes antiques. Pour la rédaction des Mémoires d'Hadrien, elle s'obligea à lire ou relire tous les textes majeurs de l'époque d'Hadrien8.
Son abondante correspondance a été publiée partiellement sous le titre Lettres à des amis et quelques autres Gallimard, 1995 puis par ce même éditeur trois volumes parus à ce jour pour 1951 à 1963.
Å’uvres
1921 : Le Jardin des chimères poésie ; 1922 : Les dieux ne sont pas morts poésie ; 1929 : Alexis ou le Traité du vain combat roman, publié au Sans Pareil ; 1931 : La Nouvelle Eurydice roman ; 1932 : Pindare essai ; 1934 : Denier du rêve roma) ; 1934 : La mort conduit l'attelage ; 1936 : Feux poèmes en prose ; 1937 : Les Vagues, de Virginia Woolf traduction ; 1938 : Les Songes et les Sorts ; 1938 : Nouvelles orientales, nouvelles ; 1939 : Le Coup de grâce roman; 1947 : Ce que savait Maisie, d'Henry James traduction ; 1951 : Mémoires d'Hadrien roman ; 1954 : Électre ou la Chute des masques ; 1956 : Les Charités d'Alcippe La Flûte enchantée, Liège, poésies ; 1958 : Présentation critique de Constantin Cavafy 1863-1933, suivie d'une traduction intégrale des ses poèmes poésie, traduction; 1962 : Sous bénéfice d'inventaire essai ; 1962 : Ah, mon beau château étude historique sur le château de Chenonceau, repris sous forme de guide touristique en 1975 ?; 1963 : Le Mystère d'Alceste théâtre ; 1963 : Qui n'a pas son Minotaure ? ; 1964 : Hortense Flexner, suivi de poèmes choisis poésie, essai, traduction ; 1964 : Fleuve profond, sombre rivière poésie, traduction de negro spirituals ; 1968 : L'Œuvre au noir roman ; 1969 : Présentation critique d'Hortense Flexner, choix de poèmes traduction ; 1971 : Réception de Madame Marguerite Yourcenar à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique - Discours de M. Carlo Bronne et de Mme Marguerite Yourcenar discours ; 1971 : Théâtre I Rendre à césar, la Petite Sirène et le Dialogue dans le marécage, théâtre; 1972 : Entretiens Marguerite Yourcenar et Patrick de Rosbo entretien ; 1974 : Le Labyrinthe du monde. I, Souvenirs pieux récit ; 1977 : Le Labyrinthe du monde. II, Archives du Nord récit ; 1979 : La Couronne et la Lyre anthologie de poèmes traduits du grec ancien ; 1980 : Les Yeux ouverts : entretiens avec Marguerite Yourcenar de Matthieu Galey entretiens ; Comment Wang-Fô fut sauvé. 1980 : Mishima ou la Vision du vide, Gallimard, essai ; 1981 : Discours de réception de Madame Marguerite Yourcenar à l'Académie française et réponse de Monsieur Jean d'Ormesson discours ; 1982 : Comme l'eau qui coule Anna, soror…, Un homme obscur, Une belle matinée ; 1982 : Œuvres romanesques pléiade ; 1982 : ... Si nous voulons encore essayer de sauver la Terre conférence ; 1982 : Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gita-Govinda - L'Andalousie ou les Hespérides essai ; 1983 : Le Coin des "Amen" de James Baldwin traduction ; 1983 : Le Temps, ce grand sculpteur 1984 : Blues et Gospels poésie, traduction ; 1984 : Cinq Nô moderne de Yukio Mishima traduction ; 1984 : Les Charités d'Alcippe, poème; 1985 : Le Cheval noir à tête blanche conte indien ; 1987 : La Voix des choses recueil de textes illustré de photos de Jerry Wilson ; 1988 : Le Labyrinthe du monde. III : Quoi ? L'Éternité récit ; 1988 : Les Trente-Trois Noms de Dieu-Le Livre d'Adresse essai d'un journal suivi par poésie; 1989 : En pèlerin et en étranger essai ; 1991 : Le Tour de la prison essai, voyages ; 1991 : Essais et Mémoires Pléiade ; 1992 : Écrit dans un jardin poème illustré par Pierre Albuisson ; 1993 : Conte bleu - Le Premier soir - Maléfice contes ; 1994 : Poèmes à la nuit, de Rainer Maria Rilke poésie, avec une préface de M. Yourcenar ; 1995 : Lettres à ses amis et quelques autres correspondance ; 1999 : Radioscopie de Jacques Chancel avec Marguerite Yourcenar' entretien ; 1999 : Sources II essai ; 1999 : Marguerite Yourcenar : Entretiens avec des Belges entretiens ; 2002 : Portrait d'une voix entretiens; 2004 : D'Hadrien à Zénon - Correspondance 1951-1956 ; 2007 : Une volonté sans fléchissement - Correspondance 1957-1960 ; 2008 : Marguerite Yourcenar en questions questionnaire ; 2011 : Persévérer dans l'être - Correspondance 1961-1963.
Études biographiques
1990 : Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar : l'invention d'une vie Gallimard, 1990;. 1995 : Michèle Sarde, Vous, Marguerite Yourcenar : la passion et ses masques Laffont, 1995; 1998 : Michèle Goslar, Yourcenar. Qu'il eût été fade d'être heureux Bruxelles, Racine, 1998;
Études sur l'œuvre
Il existe plusieurs milliers d'études sur l'œuvre de Marguerite Yourcenar, disponibles dans les bibliothèques des associations yourcenariennes.
2002 : La Promesse du seuil : un voyage avec Marguerite Yourcenar de Christian Dumais-Lvowski, photographies de Saddri Derradji, coll. Archives privées Actes Sud; 2008 : Marguerite Yourcenar : itinéraire d'un écrivain solitaire, de Antoine Gavory, Flagrant d'élie 1980 : Marguerite Yourcenar Blot, Jean Blot éditions Seghers; Roman, histoire et mythe dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, actes du colloque d’Anvers mais 1990, Simone et Maurice Delcroix éditions Tours, 524 pages, 1995; Patrick de Rosbo, Entretiens radiophoniques avec Marguerite Yourcenar Mercure de France, 1972-1980; Philippe Dasnoy, Dans l’île du Mont-Désert chez Marguerite Yourcenar, documentaire de Philippe Dasnoy et Jean Antoine, diffusé en avril 1975; Les yeux ouverts, entretiens avec Mathieu Galey éditions Le Centurion Les interviews, 1980. Bérengère Deprez, Marguerite Yourcenar et les États-Unis. Du nageur à la vague, Éditions Racine, 2012, 192 p. Bérengère Deprez, Marguerite Yourcenar and the United States. From Prophecy to Protest, Peter Lang, coll. Yourcenar, 2009, 180 p. Bérengère Deprez, Marguerite Yourcenar. Écriture, maternité, démiurgie, essai, Bruxelles, Archives et musée de la littérature/PIE-Peter Lang, coll. Documents pour l’histoire des francophonies, 2003, 330 p. Donata Spadaro, Marguerite Yourcenar et l'écriture autobiographique : Le Labyrinthe du monde, bull. SIEY, no 17, décembre 1996, p. 69 à 83
La Fondation Marguerite Yourcenar
La Fondation Marguerite Yourcenar, sous l'égide de la Fondation de France fut créée en 1982, à l'initiative de Marguerite Yourcenar. Cette fondation a pour but de protéger la faune et la flore sauvages, et a contribué à la création d'une réserve naturelle dans les Monts de Flandre.
Autres actions
Le 24 février 1968, Marguerite Yourcenar écrit à Brigitte Bardot la lettre qui informera celle-ci de la cruauté du massacre des bébés phoques au Canada, et qui déclenchera par ce truchement une campagne mondiale de plusieurs années.
Articles connexes Famille de Crayencour Georges de Crayencour Stéphanie Crayencour Michèle Goslar Femmes à l'Académie française Villa Marguerite Yourcenar Musée Marguerite Yourcenar
Liens
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Posté le : 07/06/2014 23:12
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