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Nouvelles : Des chiens et des hommes
Publié par till le 11-11-2022 18:20:00 ( 395 lectures ) Articles du même auteur



En odeur de cachalot




Après avoir traîné un double glaucome pendant dix ans le commissaire Timagre était devenu aveugle. C'était un fin limier de la PJ de Paris qui n'avait pas songé un instant à prendre sa retraite. Il n'aurait plus d'yeux, il avait un tarin. Il n'y verrait plus clair, il aurait du flair. On ne prend pas sa retraite à cinquante-cinq ans. Aussi joua-t-il des pieds et des mains avec sa hiérarchie. La police ne fourmillait-elle pas de capitaines atypiques, l'une était autiste, l'autre femme de ménage. L'un était en fauteuil roulant, l'autre... Un aveugle ne détonnerait pas dans l'affaire.

Le ministre de la justice acquiesça. Cela mettrait un peu de couleur au 63 Quai des orpailleurs. Son fidèle Janvier lui était ôté au profit de l'inspecteur Novembre, échalas à l'oeil exorbité qui serait son porte-voix sinon son sémaphore. Son bras lui servirait de canne blanche. Les bancs de Paris seraient ses havres verts

On lui laissait son grade, on changea ses dossiers. Peu importaient les affaires pourvu qu'il conservât sa pipe en bruyère, son gros par-dessus noir et son beau feutre mou et qu'il pût à loisir enfoncer les mains dans ses profondes poches qui lui servaient de moufles. C'est ainsi qu'il se retrouva à la tête de la brigade des chiens écrasés.

Or depuis quelque temps si le bâtard sans valeur proliférait à déféquer sur les trottoirs de Paris, on voyait disparaître les chiens d'aveugles, les gros toutous des Alpes aux allures de nounours et les chiens à collier doré des habitants du XVIè, de ces chiens qui valent une fortune tant leur pedigree s'allonge comme un ticket de supermarché à la sortie du bureau. Tous ces gens-là ont le bras long qui mirent bientôt la presse en émoi.
''Le Parisien'' : Il est où le gentil p'tit Youki de Gotainer ?
''Le Monde'' : On a volé le descendant du corgi du Général de Gaulle. Où est passé Rasemotte IV ?
''L'Equipe'' : Pénurie de bergers ! Que sont devenus les premiers de cordée ?
''La Croix'' : Qui en veut aux Saint Bernard ?
Jusqu'au ''New York Times'' Le staff en crise !
Le préfet s'émut et Jules Timagre flanqué de son nouvellement fidèle Tim Novembre, voix de basse et œil aux aguets, fut chargé de retrouver celui qu'on appela dès ce jour Le Chéri Bibi des canidés.

La tactique de Timagre était celle de la patience, s'asseoir et attendre, ne pas spéculer, l'affaire se résoudrait d'elle-même. Encore fallait-il savoir où s'asseoir. C'est là que sa science des bancs publics intervenait. Il ferait systématiquement les herbages du XVIè, terrains de chasse du mystérieux prédateur. Insignifiant pour tromper sa vigilance, l'oreille en alerte pour recueillir la moindre observation, le toucher même pourrait lui être utile si un toutou impudent venait lui renifler les jambes, le goût aussi de concert avec le nez. Il pouvait détecter à plus de cent mètres quand il rentrait chez lui tantôt le pot-au-feu, tantôt la blanquette de veau ou le veau mandarin que lui concoctait sa chère Marie-Louise, championne encore de la choucroute de son Alsace natale, du cassoulet toulousain, des raviolis napolitains et du couscous marocain comme du poulet marengo. Ce qui nous reste de meilleur de nos victoires et de nos défaites militaires, c'est encore la cuisine et ses recettes.

Chaque jour de la semaine Novembre le conduisait au banc qu'il avait choisi, parc de Passy, Square Alexandre, Jardin de la Porte de Saint Cloud et Jardin d'Acclimation, où Jules Timagre semblait sommeiller trois heures de suite sur ses bancs attitrés et se fondait dans la ville, caressant le cabot qui venait lui renifler les mollets. Les chiens sont un nez, ils sont de véritables réceptacles à odeurs, des cavernes nasales, incontrôlables dès qu'un fumet puissant pour eux seuls les attire sans faillir. Timagre en était supérieurement conscient. Assis sur son banc il devait devenir un chien s'il voulait résoudre cette affaire. Mimétisme et boule de gnome !

Rentré dans son bureau après deux mois de traque, il écoutait son dictaphone. Sa voix à lui qui ponctuait et la voix de ceux qui l'abordaient. Un chien justement s'était frotté à lui, ridiculement petit, de ces chiens de manchon, gentil pékinois ou charmant bichon, qui avait tenté en vain de grimper sur ses genoux. Il avait été surpris car ces chiens-là sont propres, sentent parfois les fruits rouges, la pêche ou la vanille. Or celui-là sentait la crotte ! Etait-il allé se rouler dans le caca pour s'imprégner de l'odeur d'un autre ? Alors qu'il le grattouillait une fragrance peu commune avait chatouillé la narine de Jules. ''Fille de l'éther'' ! Corgèreus ! Un parfum coûteux, peu commun, avec des notes de fleurs blanches additionnées d'ambre qui en faisait une eau musquée aux notes de sous-bois. La femme de qui émanait cette fragrance dynamique s'assit à son côté dans un froufrou de robe qui volette.

- Vous avez fait connaissance avec Altesse, c'est un privilège ! Elle ne fait pas ami-ami avec n'importe qui. Je vous vois venir régulièrement avec un ami qui vous guide jusqu'à ce banc où vous passez l'après-midi sans en bouger. Vous ne regardez pas non plus le spectacle de la rue. Je propose des chiens aux déficients visuels. Nous pouvons nous arranger si vous le désirez, je propose des prix très avantageux. Réfléchissez-y ! Je serai dans le coin la semaine prochaine et nous verrons si nous pouvons nous arranger. Vous seriez ainsi plus indépendant.

L'amazone était partie. Jules Timagre était dans l'expectative. Il ne voulait pas de ce piège incomplet. Quelle était la méthode de la Dame au parfum pour voler tous ces chiens ? De plus quelque chose l'intriguait dans la composition de cette essence, il suivait depuis plusieurs années un parcours de compositeur-parfumeur en prévision de sa cécité future. Il avait des notions de chimie et un vrai don olfactif. L'arôme était beaucoup trop puissant pour un parfum de femme, il avait décelé des fragrances d'orange sanguine et de menthe poivrée, une senteur de cuir, ajoutées au musc cela donnait un empyreume voisin des champignons saprophytes, de sous-bois déliquescent. Cela sentait, Le policier frissonna, le pourri. Une pourriture de fougères aux relents de vomi. Propre à attirer les chiens, ceux-ci ne mangent-ils pas leur dégorgement comme leurs excréments ? Un macho aurait hésité à porter ce parfum-là.

Le commissaire débrancha son dictaphone. Demain serait un autre jour. Il ne se rendrait pas au rendez-vous de la dame au musc et de son Altesse. Il demanderait à Tim de lui lire l'actualité canine du moment. Si 'Tout chien'' ne suffisait pas, ils iraient faire un tour sur Internet. Ils chercheraient la date des concours, viviers du voleur. D'ailleurs le malfaiteur s'était fait oublier, Jules pressentait un mauvais coup. Restait à savoir où et quand. Comme à son habitude le pandore laisserait mûrir. Sans trop réfléchir.


Bras dessus bras dessous les deux compères firent les concours. Histoire de humer l'air. Un père ordinaire avec des lunettes fumées et son fils déambulant. Après le Paris Animal Show de la Porte de Versailles, ils passèrent par Compiègne où ils firent chou blanc.


La narine du commissaire Timagre palpita alors qu'ils pénétraient dans le parc des expositions à Villepinte. Paris avait obtenu l'organisation de l'Euro Dog Show pour l'édition 2022 et le Comité Français de Sélection avait décidé une répétition générale pour les éleveurs français et leurs pensionnaires. On a beau parfumer de neuf, une odeur de chien reste une odeur de chien ! Et l'odeur de crotte qui règne dans ce genre d'endroit sembla à l'enquêteur plus insistante qu'à l'habitude.

« Trouve-moi un endroit où m'asseoir et laisse-moi là » dit-il à son subordonné quand il sentit un parfum musqué taquiner ses cellules olfactives. L'aboiement joyeux d'Altesse plus crottée que jamais qui vint soudain se frotter contre ses jambes exacerba ses sens. De nouveau cette odeur d'excréments... Il en était là de ses réflexions quand il La sentit venir au nuage de musc qui l'enveloppa soudain. ''Fille de l'éther'' - toujours - renforcé par un Poca Rebanna, l'amazone s'annonçait à vingt mètres à la ronde avec cet ajout masculin ! Mais il avait autre chose... de plus puissant. C'est à cet instant précis que l'illumination lui vint : Ambre gris ! Altesse était à la fois un vecteur et un prétexte. Chien de manchon, elle permettait à la dame selon qu'elle retournât ou non une cache de plastique aménagée dans cet étui de mains de démultiplier l'odeur du vomi de baleine, ammoniac et matière fécale à laquelle aucun chien ne résiste. Instinctivement coprophages ils suivaient la dame avec avidité dès qu'elle libérait cet effluve imparable tels les rats suivant le joueur de flûte de Hamelin. Il lui suffisait d'attendre à proximité d'un de ces vastes enclos qu'un maître s'absentât pour assister à un colloque, on communiquait à cet instant sur la Covid et sa transmission aux Canidés, et déléguât son champion à un garçon de box pour que la dame pût sévir impunément avec une relative facilité ; elle avait toujours Altesse comme leurre en dernier recours.

Timagre joua l'ahuri quand elle l'aborda, prétexta des troubles de mémoire pour endormir sa méfiance, fit mine de bâiller et attendit le retour de Tim son acolyte. C'est ainsi qu'elle fut prise sur le fait alors qu'elle se dirigeait vers une fourgonnette siglée S.P.A. emmenant dans son sillage un superbe lévrier afghan suivi d'un labrador et d'un fringant caniche nain.



De retour dans son foyer, assis devant une paella où proliféraient brimborions de seiches et tronçons de calamars propres à l'ambre gris, le commissaire Jules Timagre se demandait si le goût immodéré qu'il avait pour la viande faisandée n'était pas sa part de canidé, lui qui se régalait de lièvres putréfiés qu'il laissait verdir huit jours dans les cabinets au fond de son jardin.

Marie-Louise, bon petit soldat, souriait.

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Auteur Commentaire en débat
Freddy
Posté le: 24-12-2022 16:41  Mis à jour: 24-12-2022 16:41
Aspirant
Inscrit le: 10-11-2022
De:
Contributions: 26
 Re: Des chiens et des hommes
Commentaire a till Freddy
Till j’ignore pourquoi mon commentaire sur des chiens et des hommes ne vous est pas parvenu alors je l imprime dans l’espoir qu il vous arrivera simplement car dans ce pays de l’impossible tout est possible
Sincèrement till j ait passe un moment à rire en lisant malgré mon incompréhension parfois due
D’abord aux contextes différents ou l’on vit et par la richesse de votre culture et de de vocabulaire hors
Portée de mes capacités.
Je regrette till votre choucroute alsacienne fait certes partie de votre patrimoine mais la nôtre que ma mère commandait durant les fêtes chez un traiteur local est meilleur que la vôtre, le cassoulet je l’adore je l achetais à prix d’or dans un supermarché dans des boites de conserves quant au poulet marengo
Dont je me souviens parfaitement la recette de cuisine de ma mère dépasse largement la vôtre. Voyons till un peu de tact vous connaissez mon nationalisme profond alors ne vous occupez pas arbitrairement
Du votre et accaparez tout
Quand a la race canine un peu de respect voyons modérez votre vocabulaire et n outrepassez pas
Vos limites car je l’aime beaucoup alors ne vous attardez pas sur son odeur car celle des rues est surtout celle que je préfère et que recueille alors s’il vous plait ménagez ma sensibilité.
Excusez-moi de plaisanter till mais je reconnais que j’ai passé un bon moment à m’amuser en lisant vôtre texte. Dans l’espoir peut être illusoire que ce que j’écris vous parvienne
Amicalement de Beyrouth Freddy et bien entendu mon chaton caramel
FREDDY
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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