| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Afficher/Cacher la colonne
Accueil >> xnews >> Ma France à moi – Partie 7 – Nice - Nouvelles - Textes
Nouvelles : Ma France à moi – Partie 7 – Nice
Publié par christianr le 29-03-2016 20:50:00 ( 1424 lectures ) Articles du même auteur



Cette histoire met en vedette Weird Al:

Cliquez pour afficher l

Ma France à moi – Partie 7 – Nice

Il était tôt. Le ciel était encore en mode nuit. On avait l’impression qu’on avait fait erreur sur l’heure de départ. Mais non, nos réservations pour le TGV étaient bien pour 5 h du matin. Étant insomniaque, pouvoir m’endormir était une bénédiction en soi. Devoir me réveiller autant de bonne heure était un grand sacrilège. Cela provoquait souvent ma fureur, ou du moins ma mauvaise humeur. Ma mère, à l’époque bénie où je n’avais pas à me soucier de quoi que ce soit, en avait été victime plus d’une fois. Si elle avait le malheur de me lever avant midi, la tempête de sacres*1 s’abattait sur elle.

Cette fois-ci, la colère des dieux avait été apaisée avec le fait qu’on prenait le train. Ce n’était finalement qu’un petit prélude avant le retour à l’univers des rêves. Je m’assis confortablement, me préparant pour le rituel d’ascension. Il fut vite interrompu, car, grande surprise, on eut comme voisins les Allemands punks de la soirée d’avant. Même en ayant voulu les ignorer et dormir malgré cela, ils étaient trop bruyants pour que je le puisse. Je me suis résigné à socialiser. Vu mon état, je fonctionnais en automatisme. J’étais le robot que la société aurait bien souhaité que je sois. Mes réponses étaient vides et sans réflexion, je n’apportais rien de constructif aux conversations et j’entendais ce qui se disait sans écouter. J’étais un figurant.

Les punks nous quittèrent à un arrêt, le nôtre étant plus loin. C’était mon cue*2 pour somnoler enfin. Mes amis avaient compris qu’il valait mieux me laisser faire, même Éric. Le sommeil lourd fit paraître l’arrivée comme instantanée. Il faisait maintenant clair, et l’on put voir au-dehors qu’on avait encore changé de paysage. En une semaine, on avait passé de la citadelle française, à une ville germanique pour finir dans un panorama digne des tropiques. Les palmiers nous donnèrent l’impression de nous être trompés de pays. Cette impression s’accentua quand on sortit à l’extérieur. La chaleur nous frappa d’un coup de poing à travers notre corps entier. Je suais comme une vieille femme en ménopause. Le poids de la température nous forçait à nous plier. Notre sac à dos sembla avoir pris davantage de masse. On marchait comme le bossu de Notre-Dame. Un jeune homme parut comprendre notre douleur et nous offrit une bière. Sur le coup, on hésita, car on était dans un lieu public, et même la bière qu’il nous tendait n’était pas enveloppée dans un sac en papier. On lui fit la remarque et il nous dit tout surpris : « Vous n’avez pas droit de boire d’alcool où vous voulez ? » On lui fit signe que non. Saisissant qu’on ne risquait rien, on accepta l’invitation malgré l’heure matinale. La bière avait un goût différent. Une saveur d’interdit. C’était plus qu’un rafraîchissement, c’était une expérience. Je pouvais voir en direct ce que le conditionnement social m’avait fait. Même si je savais que c’était permis désormais, je sentais tout de même un malaise à l’intérieur de moi. J’avais l’impression d’être amoral. Je me rassurais en regardant aux alentours. Personne ne semblait se scandaliser de ce qu’on faisait. Cette situation détonnait dans mon cerveau. C’est comme si je rêvais tout cela. Il y avait une bataille entre mon conscient et mon inconscient. Eh oui, tout ça pour une bière !

Après avoir remercié notre bon samaritain, il fallut se décider à se rendre à notre arrêt d’autobus, qui était à quelques rues plus loin. La chaleur fit vite évaporer de nos corps la bière ingurgitée. La marche fut pénible. Éric n’en pouvant plus enleva son chandail, il était maintenant torse nu. On remarqua quelque chose d’étrange. Tous les gens autour de nous portaient des manteaux ! D’ailleurs, des vieillards assis sur un banc nous regardaient l’air perplexe. C’était bien octobre pour eux, mais pour nous c’était comme l’une des journées les plus chaudes de nos étés ! C’est là qu’on vit qu’on était de vrais Nordiques. J’avais envie de dire aux p’tits vieux que nos igloos tofferaient jamais la run*3 ici, mais j’avais décidé de laisser faire. On arriva finalement au fameux autobus. Notre auberge à Nice se trouvait sur une montagne : le Mont-Boron. Le bus quitta le centre-ville et se rendit vers celle-ci. La voie commença à être franchement étroite. À un point que de chauffer un autobus dans celle-ci tenait de l’art. Le véhicule devait parfois reculer et avancer pour tourner dans une rue. Cela devenait de la haute voltige. J’étais encore heureux de ne pas conduire. Et puis bang ! Notre transport frappa un autre autobus en avant de lui. Il remit ça par deux fois : Bang ! Bang ! Mes amis et moi, nous nous regardions, ne comprenant pas ce qui se passait. Ensuite, on observait les passagers. Cela nous sauta aux yeux immédiatement. Une absence totale de réaction. Tout était normal. Certains continuaient à lire leur livre, d’autres somnolaient dans leur coin. Aucune once de panique ou de questionnements. Chez nos comparses de voyage, il ne se passait rien. Il fallait croire que de rentrer dans les véhicules était de coutume dans ce coin de pays. Nos démolitions-derby leur auraient semblé donc bien monotones.

On arriva à notre auberge en un seul morceau. La vue à partir de celle-ci était à couper de souffle ! On était très haut sur la montagne et l’on pouvait voir Nice en entier incluant la mer. Dès lors, Nice portait bien son nom, surtout si on le prononçait en anglais. L’immeuble en elle-même ressemblait plus à une maison de campagne qu’a un hôtel. Cela ne me déplaisait pas. On pénétra à l’intérieur. À l’accueil, on eut une apparition. Un homme avec des cheveux roux frisés, une moustache et de grandes lunettes nous accueillit austèrement. On l’avait tout de suite baptisé Weird Al*4. La ressemblance était trop frappante. Malheureusement, s’il était un sosie physique, on ne pouvait en dire autant de sa personnalité. Il était loin d’être aussi drôle. Il était en fait extrêmement antipathique. Je crois qu’il se faisait chier sérieusement dans son boulot. J’avais toujours l’impression qu’il nous traitait comme des enfants ritalinés. Toutes les consignes qu’il nous donnait étaient sur le ton de reproche. À cause de cela, il resta avec son sobriquet. Il n’avait désormais plus droit à son nom de baptême. On aurait dit que de l’appeler Weird Al lui enlevait toute autorité.

Après s’être installé dans notre nouvelle chambre, on décida qu’on voulait commencer par aller à la plage. On avait eu très chaud après tout. On reprit l’autobus de la mort pour se rendre en ville. Notre chemin nous amena vers la promenade des Anglais, une très grande avenue remplie de passants. L’air salin de la Méditerranée nous chatouilla les narines. On arriva à la plage, je fus surpris de voir qu’elle était parsemée de cailloux et non de sable. Cela ne me semblait pas des plus confortable pour s’étendre. Je me sentais déjà faire le fakir. Après s’être installé, ce n’était pas si mal. Les roches étaient rondes et plates, c’était comme se coucher sur un plancher. Et puis, il y avait la vue. Je ne parle pas de la mer en tant que telle. Je parle des monokinis. Au Québec, il y a deux endroits où l’on peut admirer des seins. Dans les camps de nudistes (mais pour y être, il faut être nus aussi) et dans les bars de danseuses. Si pour un Français voir des poitrines dénudées de femmes sur une plage est plutôt banal, pour nous c’est tout un show ! Mais bon, comme on ne veut pas avoir l’air de pervers (on ne s’assume pas à ce point-là), on développe des techniques. Il y a bien sûr les lunettes fumées. On peut faire semblant d’observer le paysage. Dans mon cas, je regardais à travers mon livre. Il a fallu que j’arrête, car après un certain temps, le corps envoie des signaux qui brisent toute subtilité. Après avoir bien abusé de la vue, nous retournions à l’auberge, puisqu’ils étaient l’heure du souper. On avait prévu d’aller souper dans un grand restaurant français. On s’était bien sapé pour l’événement. Avant de sortir, Weird Al ne perdit pas l’occasion de nous faire remarquer les heures de fermeture à sa façon bien à lui, soit désagréable. On décida de faire comme d’habitude, soit d’en rire.

Il s’agissait d’un resto avec terrasse en plein centre-ville. On prit la terrasse évidemment, car pouvoir manger à l’extérieur en octobre est quelque chose de très rare pour un Québécois. Tout était délicieux, jusqu’au dessert. J’avais vu au menu une crème brûlée. J’avais envie de savoir ce que cela goûtait donc j’avais choisi cela. Je n’avais et je n’ai toujours pas vécu une extase gustative aussi forte. C’était comme se shooter de l’héroïne, j’en voulais d’autres. L’expérience avait été tellement puissante, que maintenant, si je vais dans un restaurant je regarde systématiquement s’il n’y en a pas de disponible. Même si j’en mange à chaque fois que j’en ai l’occasion, rien ne bat la première fois. Ne me croyez pas, mais ce fut l’une des choses que je me rappelle le plus de mon voyage : la première crème brûlée.

On se promenait un peu dans Nice, et l’on vit un parc public très fréquenté. De nombreux palmiers et fontaines rendaient l’endroit très agréable. Les gens s’y assoyaient en buvant du vin ou de la bière. On les imita, en allant acheter de l’alcool dans un commerce. De retour au parc, on riait comme des adolescences qui avaient fait un mauvais coup. C’était le paradis. Tous les soucis que j’avais à Strasbourg s’envolèrent. J’avais définitivement repris goût au pays. Il se faisait tard et on réalisa qu’il ne fallait pas trop faire fâcher Weird Al. On reprit la route et c’est là qu’on aperçut une cabine téléphonique. Je n’avais pas du tout utilisé ma carte d’appel depuis que je l’avais acheté et vu l’heure qu’il était, on s’était dit que c’était peut-être une bonne idée d’appeler nos parents. On était plutôt chaudasse*5, donc on voulait transmettre notre bonheur à ceux-ci. Je laissais d’abord la place à mes amis. Vint mon tour ensuite. Je commençai par ma mère (car mes parents étaient séparés depuis mon adolescence). Quand elle entendit ma voix, elle parut inquiète : « Christian ? C’est toi ? T’es où là ? » « Ben je suis à Nice, en France ! », que je lui annonçai tout joyeux ! J’avais par la suite compris la raison de son inquiétude. Je n’avais jamais été un gars de téléphone. Habituellement, si je téléphonais c’est que c’était important. Elle avait cru que je la contactais parce que j’étais à l’hôpital ou en problème. Après l’avoir rassurée, je lui marmonnai quelques expériences de voyage. Et puis, il y a eu mon père. Lorsque j’avais appelé, c’était sa blonde*6 qui avait répondu. Elle m’avait déclaré qu’il allait être très content d’avoir de mes nouvelles. Le mot était faible. Il pleurait à l’autre bout de la ligne. C’était comme si j’avais été gardé en otage au Moyen-Orient. Je vous avais dit que mon père était anxieux de nature ? Je m’imaginais déjà le retour au Québec.

On était de retour à l’auberge et Weird Al n’y était pas. Sa présence ne nous manquait pas. On alla tout de suite se coucher. Le lendemain, on se réveilla et la température était maussade. On en profita pour nettoyer nos fringues qui commençaient à sentir la date d’expiration. À la différence des établissements traditionnels, celui-ci lavait les vêtements des résidents. Il suffisait de le leur donner. On avait mis notre linge dans des sacs à ordures. On les avait ensuite laissés à l’accueil, soit à l’inévitable Weird Al. Remarquant le volume, il grognait que c’était un sac par personne. On fit donc amener les sacs restants par des locataires qui n’avaient pas à le faire cette journée-là. On trouvait qu’il avait l’air de s’ennuyer, valait mieux l’occuper. Malgré que ce fût très nuageux, on décida d’aller se promener dans le centre-ville. Malheureusement, peu de temps après notre sortie de l’autobus, il se mit à pleuvoir. On aperçut un cinéma, le Rialto, et l’on prit la décision immédiate d’y aller. On s’était dit que tant qu’à aller visionner un film en France, autant opter pour une œuvre française. Nous avions donc choisi « Le pacte des loups ». On l’avait tous apprécié pour différentes raisons. De l’action pour Éric, de l’histoire et du fantastique pour Martin et moi. Après le film, la pluie était toujours de la partie. On retourna alors à l’auberge. Il y avait une petite épicerie fine non loin de celle-ci. On acheta différents ingrédients pour se faire un somptueux repas, ainsi que du bon vin.

Le vin nous amena vers la soirée et on finit avec de la bière. On sympathisa avec de jolies Norvégiennes. Mes amis étaient fumeurs, les deux filles aussi. Comme il était interdit de fumer dans l’établissement, on souhaita tous se pointer à l’extérieur continuer la conversation. Vu l’heure qu’il était, on ne pouvait plus sortir sans quoi on serait resté pris sans pouvoir revenir, Weird Al oblige. Il y avait une terrasse accessible, on saisit donc nos consommations et on décida de poursuivre là-bas. Il pleuvait encore, mais ce n’était qu’une petite mouillasse*7. Weird Al nous voyant faire, il nous arrêta : « Je ne veux pas que vous fassiez des saloperies ! » On lui demanda de se calmer, qu’on allait faire attention. Au-dehors, on parla gaiement malgré le temps. Et puis, il arriva ce qu’il devait arriver. Martin échappa sa bouteille de bière par terre. La pluie avait rendu celle-ci glissante et elle lui glissa des mains. Martin angoissa : « Ça y est ! Weird Al va tomber sur mon cas ! » L’alcool et les filles me donnant du courage, je lui déclarai : « J’ai pas peur de Weird Al. Laisse-moi chercher un balai. » J’arrivai devant lui et je lui expliquai calmement la situation. Il me rétorqua en criant : « Je le savais ! Je vous l’avais dit ! » Je lui réponds : « Les nerfs ! Au moins c’est pas toi qui vas nettoyer, tu peux continuer de rien faire. » Il me passe le balai en m’ordonnant bien de le retourner. J’avais fait mon bon soldat et j’avais ramassé les débris et remis le balai. On revint au bar de l’auberge quand on vit que la salle au complet était silencieuse si ce n’était qu’on entendait un annonceur de nouvelles parler à la radio. En portant attention, on était en train d’annoncer que les États-Unis entraient officiellement en guerre contre l’Afghanistan…


*1 Jurons québécois
*2 cue= le signal
*3 Toffer la run= expression qui signifie : survivre jusqu'au bout
*4 Humoriste américain connu.
*5 Chaudâsse= État joyeux un peu avant d'être saoul.
*6 Blonde= petite amie, on le dit même si la personne n'est pas blonde.
*7 Mouillasse = Pluie très fine

Article précédent Article suivant Imprimer Transmettre cet article à un(e) ami(e) Générer un PDF à partir de cet article
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 08-10-2012 19:13  Mis à jour: 08-10-2012 19:13
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Ma France à moi – Partie 7 – Nice
C'est tellement distrayant, c'est écrit avec humour et cela se lit avec plaisir.
Sur l'écriture, "malgré que" n'est pas correct en français sauf suivi immédiatement du verbe avoir, bien sûr il peut être toléré suivi du subjonctif mais il est préférable d'utiliser quoique, ou bien que.
Le personnage de cerbère de Weird est drôle.
J'ai beaucoup apprécié cette analyse des conditionnements et les références morales qui nous font culpabiliser pour un comportement sans grande gravité, difficile d'échapper à son éducation !
merci pour ton beau voyage et ton regard critique.
Merci
christianr
Posté le: 13-10-2012 03:11  Mis à jour: 13-10-2012 03:11
Plume d'Or
Inscrit le: 17-03-2012
De: Boisbriand, Québec
Contributions: 125
 Re: Ma France à moi – Partie 7 – Nice
Citation :
Sur l'écriture, "malgré que" n'est pas correct en français sauf suivi immédiatement du verbe avoir, bien sûr il peut être toléré suivi du subjonctif mais il est préférable d'utiliser quoique, ou bien que.


J'ignorais. Je surveillerais la prochaine fois. ;)

Merci encore pour tes gentils commentaires!
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
63 Personne(s) en ligne (24 Personne(s) connectée(s) sur Textes)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 63

Plus ...