Volutes.








Ô cigarette !
Ma meilleure ennemie…
Ma pire amie…
Mère d’une douce et meurtrière fumée qui soigne mes destructions lentes…
Ma vie est un immense cendrier qui déborde, un charnier sordide perdu quelque part dans l’arrière-pays polonais…
J’habite à Auschwitz depuis dix ans. Je suis allé de chambre à gaz en chambre à gaz, de peur en peur, de maladie en maladie…
Mes poumons ont connu les volutes de tous les vieux crématoriums surannés bâtis par les nazis. Ils portent la noire empreinte digitale de Satan en fureur habillé en Führer, la trace d’un mal qui voyage de haut en bas, que je connais trop bien mais contre lequel je suis impuissant…
Ô mes nuages gris ! Êtes-vous filtres bienfaisants de mes joies lumineuses ou bien corps néfastes accélérateurs de voluptés ?
Ô ma plaie béante invisible d’où coule sans s’épancher le sang divin de la satiété, du plaisir assouvi…
Ô mon sang bouillonnant ! Tu afflues à mon extrémité intime sous les baisers chastes, sous les caresses buccales d’une vestale enivrante qui se consume à trop aimer viscéralement…
Ô mes mégots entassés là ! Ô mes cadavres d’une journée à trop souffrir, choir, boire…et me taire…
Ô cigarette !
Ô ma femme interdite, ma déesse !
Tu ne m’as jamais quitté…
Tu es bien la seule qui me soit restée dans ce panthéon d’or des voleuses de vie où s’entassent vacuité, solitudes, flux et reflux de souvenirs…
Ô cigarette !
Ô mon ennui consumé, mes désœuvrements partis en fumée…
Il faudra bien qu’un jour je claque la porte de notre Parthénon insalubre sinon tu m’enverras pour de bon parmi ta suite de barbus majestueux…