La femme de ma vie.









C'est généralement avec des points d'interrogation que je termine les phrases faisant référence à la femme de ma vie...
Comment s'appelle-t-elle?
Souffre-t-elle?
Travaille-t-elle? Etc...
Souvent, lorsque je suis seul, je m'invente des réponses. La plupart d'entre elles baignent dans un pessimisme total...
J'imagine par exemple une jeune fille d'une médiocre beauté mais dotée d'une sensibilité exacerbée.
Je la vois prostrée dans un hôpital psychiatrique, le regard tourné vers un carrelage inquiétant. Elle contemple la seringue plantée au creux de son bras rachitique. Elle est enfermée là depuis d'interminables années où l'effort se réduisait à rester en vie.
Auparavant, elle vivait dans la rue, parmi la lie immonde de nos villes toutes vêtues de gris.
En tordant le cul, elle aguichait les passants sur le boulevard Rochechouard à Paris, non loin du Moulin Rouge, promenant ainsi son chagrin jusque dans la couche d'un lupanar. Sa vie se résumait à faire jaillir un peu de rêve dans la tête de ceux qui ont perdu leur femme...
Un jour ou l'autre, je rencontrerai fatalement cette demoiselle paumée et elle sera mienne. Je lui apprendrai à manier le pinceau et le verbe; elle m'apprendra l'art de faire de mauvaises rencontres, l'art de mal aimer, l'art de brûler par tous les pores.
Elle consentira à poser nue pour moi. Ses plus beaux portraits naîtront de mes doigts effilés et feront le thème inépuisable de ma nouvelle exposition qui attendait de voir le jour depuis des années...
Nous ferons l'amour dans des draps sales, au milieu d'un désordre chaotique. Je respirerai l'odeur de ses cheveux gras, l'odeur de sa peau qui a trop voyagé.
Le dimanche, nous irons pousser la chansonnette au Jardin de Ville de Grenoble. Elle sera vêtue d'un treillis militaire, et moi, j'arborerai fièrement la gavroche. D'un tour de manivelle, nous ferons enfin valser le monde, nous chasserons les gros nuages lourds, nous ferons enfin fondre les pierres grises de la Cité...