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Annonce : A l'école buissonnière des arbres ...
Publié par Vadnirosta le 20-03-2023 09:33:23 ( 114 lectures ) Articles du même auteur



A l'école buissonnière des arbres ...








Début septembre 1990. Mon école de campagne m'en nuie avec ses exercices de mathématique irrésolvables, ses dictées interminables aux participes passés écrits au hasard, ses cours de sport où il s'agit toujours de courir au plus vite sur l'ellipse d'une piste d'athlétisme. Je perds le goût d'en boucler à tout prix le tour sans même un regard jeté à la lisière. Plutôt que de m'appesantir sur la performance et la vitesse, je préfère cueillir l'aventure aurorale à travers champs chez quelque grand-mère isolée. Je déteste les longues tables de multiplications et puis ces chiffres qui s'ajoutent et se retranchent. Je hais les tableaux noirs et blancs aux écritures trop régulières d'entre les lignes. J'ai aussi une aversion toute particulière pour tout ce qui se calcule avec la plus grande exactitude, pour tou t ce qui se dit le plus correctement possible dans u n espace clos. J'ai toujours rêvé de buissons plutôt que d'école, d'oies sauvages* plutôt que de cochons-dindes, de dépaysements totaux plutôt que d'un atlas mondial. J'ai toujours voulu partir là où personne ne part. Aujourd'hui, c'est vendredi mati n et ça fait déjà trois jours-lumière que je traîne mon ombre dessous toujours le même pupitre éclairé artificiellement. Dessous toujours le même pupitre en plastique plutôt qu'en bois, et qui ne dépassera jamais du rang. Aujourd'hui c'est vendredi matin. Le week-end est proche. J'ai le droit à la carte hebdomadaire du cours de géographie et j'ai l'obligation coutumière de la remplir, avec bien sûr les noms de tous les chefs-lieux départementaux. Jaune, rouge, bleu et même vert délimitent les régions de France. La carte semble fleurir corne un arc-en-ciel et pourtant il n'en est rien . Et c'est déjà bien suffisant pour essouffler toute une curiosité. Alors je tourne les feuilles de l'ouvrage jusqu'à la double page d'une mappemonde mise à plat . Aujourd'hui c'est vendredi et le week-end est déjà trop loin. Aussi, alors que la marmaille planche sur l'interrogation écrite, j' appuie sur les pays de mes rêves, sur mes terres les plus rêvées ...

Pour chaque pays une évasion végétale, un flash forestier, une hallucination visuelle, un arbre qui observe du haut de sa conscience et appelle doucement un autre par un murmure .
Le Mexique s'éclaire avec son cyprès de Montezuma à Tule. Cet arbre énorme est enraciné fermement dans la terre au beau milieu de troncs de dimensions et de formes innombrables : droits ou courbés, tordus, penchés, trapus ou minces, lisses ou noueux et branch us. Que faire, mon Dieu, d'un tel mastodonte en bois ? A quoi pourrait bien servir tant de papier ? Même un travail acharné du dessin, même un surmenage artistique sur dix ans n'aurait jamai s besoin de tant de bois. Pourtant le Peintre « dévoreur de papier » est là à proximité de tous ces troncs qui tiennent massivement tout un feuillage. Des enfants en bas-âge jouent à cache-cache dans les méandres fascinants de cet arbre sans âge, ce cyprès d'une autre ère. Un couple d'amoureux s'embrasse éperdument non loin. L'homme lâche dans l'air un bouquet de ballons en baudruche très légers. Un jeune orphelin triste, appuyant ses bras croisés sur le tronc, sanglote « dans l'arbre » parce qu'il ne trouve plus le chemin le plus simple, le raccourci qui mène à naguère. Le Peintre est là. Le Peintre aux cyprès tortueux . Enfin ressuscité , il a posé son chevalet sur cette scène. Des voix cognent et hurlent dans sa tête :
« Finie la Maison Jaune ! Finies les toiles invendues ! Finis les corbeaux noirs sur les blés de ma tête ! Finie l'oreille coupée ! Bonjour les splendeurs naturelles de la Mésoamérique ! » Aujourd'hui, le Peintre veut faire enfin fortune même s'il mourra encore et toujours comme il vivra. Très très envieux de ce géant pour tant de robustesse, le Fou brosse aujourd'hui Le vieux cyprès de Montezuma à Tule : étoiles d'hiver et tendre enfance qui succède au Champ de blé aux corbeaux.
Le Fou peint alors que de très riches et avides collectionneurs et puis des paparazzis affamés affluent déjà pour lui voler des mains ce nouveau chef-d'œuvre, pas même encore achevé...
Le Mexique appelle le Japon et son plus vieux cèdre de l'île de Yakushima et tout le monde hall ucine et tout le monde hallucine ... Appelé Jômon Sugi, l'arbre déploie ses mille et u ne irrégularités et l'on devient fou rien qu'en le regardant. Son tronc d'un autre âge nous indique tous les complots tramés au fil des ans de façon inintelligi ble. A la fois hostile et insensé* *, il laisse tomber des branches et dresse des racines au-dessus du sol au bonheur du Peintre torturé qui a laissé ses voix du Nord quasi inertes sur tous les sentiers tortueux de la Provence. Mais le Japon en redemande et le Peintre restera tou rmenté à l'image de tous les séismes qui bousculent quotidiennement la région et que la tectonique enregistre avec la plus grande précision sur l'échelle sollicitée de Richter. A pas de géant, le « dévoreur de tubes » enjambe les océans pour se faire tout petit devant le Jômon Sugi tant cet ogre de tous les records mérite un écriteau -peut-être une plaque!- et puis aussi une toile encore pl us extraordinaire que le simple chef-d'œuvre naturaliste . Figurant dans le catalogue complet des plus grands paysages et peintures de plein-air, cette Œuvre dernière d'une idiote minutie (qui ne donne que l'illusion de la réalité!) a patienté jusqu'à maintenant , jusqu'au Peintre et ses trente-sept plus une bougies. Aujourd'hui , Vincent est ici, au Pays du Soleil Levant. Lui qui aimait tant les estampes japonaises, le voici qui croque le Jômon Sugi sous tous les angles. Car il sait qu'un style perdure après la mort. Car i l sait aussi que la réussite ne se gomme jamais, qu'il dispose encore de trente-sept années pour réaliser Le chef­ d'œuvre parmi tous les chefs-d'œuvre, Les corbeaux sur le Jômon Sugi.
Avec l 'idée de faire revenir le Peintre des Tournesols sur le sol de notre vieux pays, je me dépêche d'appuyer sur le bouton hexagonal « France » et voilà que se mettent à clignoter tous les états du monde , des plus pauvres aux plus démocratiques, des plus étendus aux moins grands ; tous je vous dis, tous se mettent à s'alanner en musique comme les gyrophares d'une ambulance qui mènerait au dehors d'une indigestion végétale aigüe. Une souche morte internationale se dresse désormais parmi les füts verts ou gris de mousse et d'excroissances visqueuses ou pelucheuses. Une souche en état de décomposition . Une très vieille souche envahie par la mousse et le mycélium***. De délicieux insectes xylophages s'attaquent voluptueusement à une partie infime, très exactement la couche entre le bois et l'écorce. Ces insectes-là doivent sans doute manger goulûment ce liber vu leurs mandibules effrayantes . Ainsi, petits longicornes et scolytes se servent autant qu'ils le peuvent tandis que le Peintre fou se sert lui-même dans ce « repas (au) complet » pour croquer au mieux les lignes noires des champignons ainsi que les galeries des scolytes. Par ailleurs, le Peintre est aussi follement fasciné par le développement sur la souche humide des lichens et des fougères. Qui mieux qu'eux est le mieux à même pour prophétiser les vieux tombeaux des nobles âmes chancelantes, qu'elles soient tour à tour pauvres hommes de lettre et peintres de génie naviguant dans les glaises jolies . Vincent guette la prochaine pluie diluvienne : il attend comme un Messie l 'eau de pluie pour ses infiltrations profondes à l'intérieur de la souche, pour la pourriture alléchante du bois qui la fera éclater. Vincent guette les nouveaux prédateurs : quand est-ce que les carabes viendront consommer vermine, larves et limaces ? Il ne faudra rien omettre dans le tableau, surtou t pas les becs robustes des oiseaux venus creuser la matière pour atteindre enfin les profondes galeries, pour surligner les sillons et les failles des esprits les plus dépravés. En outre, ilfaudra accueillir comme il se doit tous les crapauds, tous les tritons, tous les lézards, tous les mille-pattes, tous les cloportes car ceux-là nous inspirent généralement la répulsion et font fermenter pour nous l'éloquence la plus triviale. Il faudra guider Vincent jusqu 'à la fascination pour le rebut et lui promettre de pouvoir accéder enfin à la vente en ne gardant que la quintessence pestilentielle , l'Ordure à encenser, le Cloaque scintillant. Force est de constater que Vincent a très bien suivi le mouvement. Il l'a si bien si mal prolongé qu'on l'entend conclure ainsi : « le bûcheron louchait sur un gros tronc ... »****

Cette réflexion pour le moins subtile de Vincent a le mérite de me faire oublier pour un temps ma psychose chronique et de me faire renouer pour de bon avec la réalité, avec l'interrogation écrite de géographie . Je regarde autour de moi: mes camarades de classe ont déjà bien avancé dans l'exercice ; de partout , les cartes de la France sont presque pleines à ras-bord. Il est déjà bientôt midi et je m'apprête à rendre copie blanche. Que faire, mon Dieu, que faire ? Finalement, je décide de dessiner en très grand deux arbres extraordi naires situés dans deux départements du territoire français : les Côtes d'Armor et la Marne. Guidé par mon imagination maladive et puis aussi par un souci sans relâche de peindre ce que je vois, je reproduis parfaitement au crayon le chêne de Tronjoly dans la commune de Bulat-Pestivien , le chêne le plus vieux au monde avec ses 1500 ans et ses 12 mètres de circonférence. J'insiste sur les lourdes branches les plus basses, celles qui partent dans tous les sens et qui donnent à l'arbre tordu l 'orguei l de tenir autant de place et puis aussi la fierté d'être le plus sans âge. Je choisis à présent la ville de Verzy près de Reims pour son faulx, son hêtre tortillard. Je dessine non sans nervosité les premières branches qui sont les plus grosses et qui zigzaguent dans l 'air, offrant les méandres les plus étonnants. Puis je taille mon crayon et reproduit précisément le « tapis branchu » du dessus qui constitue un vrai régal pour les amateurs du barbecue, tous ceux qui sont à la recherche de petit bois. Soudain, la sonnerie de midi retentit alors que je fignole les plus petites terminaisons feuill ues de ce curieux « arbre respiratoire ». Voilà que la maîtresse passe dans ma rangée, sans doute intriguée par mes deux dessins biscornus et feuillus. Vous fumez déjà à votre âge ? Quelle drôle d'idée ! Tâchez la prochaine fois de recracher la fumée au lieu de l 'emmagasiner égoïstement dans vos branches. Sachez par ailleurs que vous êtes complètement hors-sujet, monsieur Gardon. J'ai demandé des mots et non des traits ! Allez expirer toute cette fumée entre midi et deux et n'oubliez pas qu'en hiver tombent les feuilles des arbres . ..



*= Cf. Le merveilleux voyage de Nils Holgersson de Lagerhof.
**= Cf. le terme psychiatrique.
***= Ramifications d'un champignon dans tous les sens sous forme de filaments très fins.
***= Contrepèterie.


Yohann Gardon, décembre 2013, Brignais, pour atelier d'écriture « Chemin de traverse ».



















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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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