| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Afficher/Cacher la colonne
Accueil >> xnews >> Encore une Gitane pour plaire au Soir... - Nouvelles - Textes
Nouvelles : Encore une Gitane pour plaire au Soir...
Publié par Vadnirosta le 25-03-2023 11:30:00 ( 258 lectures ) Articles du même auteur



Encore une Gitane pour plaire au Soir...




Ekaterinbourg, Russie, janvier 2020. 17 heures: Enfance du Soir. Un car dépose un voyageur à l'arrêt « Haies fleuries ». L'homme descend. Alors qu'il s'apprête à entrer dans l'auberge en bois mort, -je veux dire la Cabane- qui porte le même nom, il entend comme un râle: trois ou quatre
cochons dorment là d'un profond sommeil. « La Cabane 1 aux Haies 2 fleuries » est très éclairée. A
gauche, s'étend un comptoir défoncé sans fin. La barmaid est plus brune que brune et très grosse. Tout près de lui, l'homme aperçoit trois types mal rasés et aux dents manquantes en train de jouer aux cartes à quatre (?). A trois mètre, au comptoir, une jeune femme aux cheveux très noirs et très typée sirote un verre de vodka. Petit à petit, la conversation s'amorce tièdement. Un courant continu passe presq ue de suite. L'homme dit qu'il est photographe et qu'il fait le tour de la planète avec son sac à dos rouge. D'ailleurs, celui-ci figure toujours sur ses tirages. L'homme regarde autour de lui: il y a là un gars, sans doute plus qu'éméché et qui visiblement a achevé son naufrage: ses bras pliés sur une table rongée par les vers étayent un visage noyé par une solitude liquide, malgré l'assiette de
cacahuètes reposant aux environs. La jeune femme qui s'est présentée sous le nom de Rada 3, Rada
Niemets 4 , lui avoue tout bas qu'elle est Rrom et qu'elle se cache sous un faux nom. Elle ajoute qu'il ne faut pas l'ébruiter puisque les murs ont des oreilles. Puis, elle sort sept cigarettes. L'homme est un fumeur invétéré: il sait que ce sont des Gitanes brunes sans filtre. Comment a-t-elle bien pu se les procurer dans un pays aussi éloigné de cette douce France? Alors que Rada les aligne, son regard est surpris par des inscriptions au stylo sur chacune d'elles. Il lit: « Plus haut, toujours plus haut,/ Bras ployés au-dessus de la tête, / Entre nous des distances non terrestres/ Qui séparent./ Terres d 'azur! Fleuves célestes, / Là, mon ami est rivé/ A jamais . » Rada sort son vieux Zippo et allume le premier vers. Aussitôt, un mince mais sûr filet bleu sort de sa bouche et vient s'effilocher en vrac dans les pans épais des airs lourds de l'auberge. Notre homme est très cultivé. Il a d'ailleurs
une licence de lettres modernes. Il reconnaît de suite le poème tardif « Séparation » de Marina Tsvetaeva5. Mais pourquoi? Que font donc ici ces sept vers? Rada inspire une taffe, puis l'expulse nonchalamment: « C'est une histoire très longue; je vais vous la raconter... »
« La rue que vous avez empruntée pour venir jusqu'ici mène à la prison IK-2 d'Ekaterinbourg 6 qui est encore plus sur les hauteurs. La caserne, elle, est en bas, dans la vallée. Vous avez dû
l'apercevoir depuis le bus. Tous les jours, de bon matin, un camion emportait trois, quatre ou cinq prisonniers jusqu'à la colonie pénitentiaire 349/2 afin qu'ils soient tous torturés. On raconte aujourd'hui que parfois même six prisonniers les battaient à coups de poing, de pied, à coups de matraque et de bâton, à coups de torchon mouillé enroulé. Il paraît même que certains ont été violés: la petite pièce où avaient lieu ces sévices abritait une table métallique fixée au sol et munie de sangles. Durant l'après-midi , le convoi ensanglanté repartait en sens inverse et descendait la route jusqu'à la caserne, au plus profond de la vallée. Les femmes des hommes mais aussi les mères et les filles attendaient là, sur le chemin. Toutes s'étaient faites belles et gracieuses pour les accueillir. A l'époque, j'étais célibataire comme jamais. Aussi, j'ai décidé très vite de m'occuper des hommes isolés. Désormais, j'accompagnais les femmes jusque dans les ronces et les orties. J'ai


1= Elle est tenue par celle que vous saurez...
2Cf. les Maisons closes...
3Cf. « Les tziganes montent au ciel » de Lotieanu . (Cf. Annexe IX en fin de recueil.)
4= « L'étranger » Cf. le nom d'origine en Russie .
5= Célèbre poétesse maudite russe du XXème siècle.
6= Tristement célèbre colonie pénitentiaire ordinaire de Russie 349/2 appelée IK-2.

marché, me suis tordu les pieds et puis un jour , lors d'un convoi, Je suis tombée follement amoureuse d'un homme à la calvitie prononcée et qui portait des lunettes et qui louchait. Au fait, sachez aussi en passant que la femme qui vous a servi toute à l'heure n'est autre que ma mère. Elle a choisi ce lieu pour s'établir - mon père est parti car il ne trouvait pas l'amour au sens le plus noble du terme- et l'auberge est devenue chez elle peu à peu un lieu de « passage » pour tous les hommes de la région. Moi qui rêvais de sentiments et de pureté, moi qui étais dégoûté par de telles coucheries , je me suis réfugiée dans les livres (faciles!), surtout dans la poésie. J'ai écouté Loyko, Lida Goulesco; j'ai vu « Les tziganes gagnent le ciel » de Lotieanu, et par-dessus tout, j'ai lu à
outrance Alexandre Germano7 , le plus vieil écrivain en langue rrom. J'ai d'ailleurs adoré « Feldytko
bidal » (« La Douleur de Voyager »). Je rêvais de « Galun », de tziganes, voleurs de chevaux, de ce village de Gadze qui voulait tuer tous les romanichels du monde entier même si j'en suis moi-même une. J'ai encore plus aimé le livre « Rospchenybena dre gilia » (« Hitoires en chanson, en vers »). C'est de la pure poésie épique folklorique en prose! Un vrai régal ! Du coup, dans ma tête cognaient tous les mots-clés qui évoquaient Germano. Simultanément, l'auberge s'est bien vite transformée en lieu de « villégiature ph ysique » pour toutes ces femmes séparées de leurs époux.
Mais il y a un troisième début à l'histoire: Zoubaïr, Zoubaïr Gambotov 8

le prisonnier torturé sans
cheveux et à lunettes et qui louche. Zoubaïr était vraiment un intellectuel, un génie incompris. Pour vous dire, il avait écrit une pièce de théâtre à vingt ans. Cependant , on lui avait interdit d'écrire car ses livres étaient subversifs. Faut vous dire que le régime politique russe a toujours été jusqu'ici des plus autoritaires. Vous devez bien savoir que les Russes ont tout un arsenal en terme de prisons
diverses: il y a les KP29 et puis les IVS '0 et puis les Sizo 1 1 et puis enfin les Pfirsi 12• Bientôt, Zoubaïr fut emprisonné en compagnie d'artistes, d'intellectuels, d'agitateurs publics et d'opposants
politiq ues. J'ai dû d'ailleurs me faire refaire de nouveaux papiers puisq ue je suis Rrom et puisque le régime en place, xénophobe, persécutai t toutes les minorités ethniques. La première fois que j'ai vu Zoubaïr dans le camion, il m'a demandé une cigarette, et comme j'avais mes Gitanes en poche, je lui en ai tendu une et il a souri, IL A SOURI!, vous dis-je. Puis, on s'est vu ainsi trois minutes toutes les trois semaines. Et c'est là que j'ai eu l'idée d'écri re des mots sur les cigarettes. Pratiquement illettrée, j'ai choisi pour cela de simples mots « en vrac » concernant l'univers de Germano qui m'était si proche. Il y avait « Galun », « Gazun », « Surkica », « Jon Murzej », « Histoires en chanson , en vers », « Mâstak ».
A la septième clope, des évènements qui allaient bouleverser !'Histoire précipitèrent le pays dans le chaos. Des défilés de personnes s'organisaient aux quatre coins du pays. Toute la Nation était dans un état de réprobation aigüe. Le régime fut renversé et les prisonniers politiques relâchés . Quant à Zoubaïr, il vint un jour à l'auberge. Nous vîmes surtout que nous avions des points communs à foison. Aussi, je décidai bientôt d'aller l'accompagner à la Grande Ville qu'il aimait tant avec ses débats houleux à refaire le monde et puis son équipe de football formidable, à présent renommée. De plus , Zoubaïr désirait par-dessus tout achever sa troisième pièce. Quant à moi, je travaillais dans une brasserie et mon univers, ma clientèle, c'était à présent des intellectuels et puis des étudiants. Autre bonne nou velle: je pouvais maintenant porter mon nom véritable et je n'avais plus besoin de me cacher et de caméléoner ... Hélas, les fantômes du passé repassaient régulièrement dans le pauvre cerveau de Zou baïr. Il faisait très souvent des crises aigües d'angoisses avec des accès à des épisodes hallucinatoires redoutables et puis aussi de la persécution maladive. Pour sortir de ces états


7= Alexander Vyacheslavovich Germano, intellectuel, écrivain et poëte rrom de Russie du Xxème siècle.
8 = Fusion, condensé de Zoubaïr Zoubaïraïev, torturé et privé de soins médicaux en prison +Akra mat Gambotov, torturé et privé d'examen médical en détention.
9=Kamera predvaritelno go zakliucheniga (« Cellule de détention préliminaire »)
10 = lzolyator vremennogo soderjaniya (« Centre d'isolement temporaire »)
1 1 = Sledstvennii izoliator (« Centre de détention provisoire » qui dépend du Mini stère de la Justice)
12 = Pomechtchenya founksionnirouyouchie v rejime sledstviennykh izoliatorov (« locaux faisant office d'isolateurs pour les enq uêtes »)

transitoires, il s'enivrait de whiskey, de porto, de martini, et même de pastis ... Oui vraiment, à cette époque, nous nous aimions de façon très très désespérée ... »
C'est alors que l'homme-voyageur saisit son appareil photo qu'il portait en bandoulière et propose à Rada de l'immortaliser dans la Nuit - à contre-nuit plus exactement!-, avec seulement le rond rouge du tabac en ignition et puis la volute bleue continue qui se donne au Soir...
Rada poursuit: « Un jour, en pleine ville, Zoubaïr reconnut un de ses tortionnaires. Il devint fou et se jeta sur lui. Il était même en train de l'achever lorsqu'un officier de l'ordre public l'en empêcha en lui interdisant de faire justice lui-même. A partir de ce jour-là tout devint très différent. Les espaces entre les crises de Zou baïr s'amenuisèrent et il essuyait maintenant de violents orages irrépressibles. Parfois, il disparaissait même sans un mot. Désormais, je m'arrangeais pour faire comme lui: tomber dans la déchéance alcoolique. Une nuit, il vint au bar et me donna de l'argent en liquide: il voulait rejoindre un groupuscule de tortu rés comme lui et retrouver avec eux les anciens bou rreaux, et cela coûte que coûte... L'argent devait me servir à « tenir », le temps qu'il revienne.
En ville, comme dans tout le pays, tout s'occidentalisait. On passait d'un extrême à l'autre. Les privatisations incessantes augmentaient tandis que la pauvreté générale s'instaurait. Un libéralisme effréné contemplait une inflation sûre. Tout profitait aux plus riches, aux plus occidentaux . Le sexe devenait la première valeur marchande certaine. Un jour, -et cela devait arriver- je ne pus plus payer mon loyer et me retrouvai de ce fait et d'un seul coup à la rue. « Notre » argent n'avait plus aucune valeur, étant donné que les prix flambaient dans le pays . J'errais sur les trottoirs alors qu'un hiver très rude sévissait dans tous les recoins de l'espace... Un soir, alors que j'étais brûlante de fièvre, un homme m'a aidée, m'a remise sur le droit chemin. Je n'avais plus rien, seulement sept Gitanes
« poétisées » dans une boîte métallique. Sur le chemin du retour (je veux dire sur le chemin qui mène à la « Cabane aux Haies fleuries »), j'ai même été violée par un routier très très musclé: cette nuit-là, je compris ma mère et son discours libertaire sur l'amour physique. Voyez-vous, cher ami, à présent que je suis de retour à l'auberge, je ne suis guère plus qu'une pau vre âme brûlante livrée à l'attente et qui se consume encore un peu plus à la cigarette nouvelle , je veux dire que maintenant je fume Gitane sur Gitane et je crie même haut et fort : « Vive le libre-échange aujourd'hui en Russie !»
La Nuit entre Rada et l'homme-voyageur a été blanche d'histoires, blanche d'une nouvelle. Aussi, nous sommes actuellement déjà demain et il fait très beau. Le photographe montre à la jeu ne femme quelques-uns de ses clichés alors qu'ils sont assis dans quelque clairière ensoleillée d'Ekaterinbourg: un politicien allemand, une baigneuse de la Mer Noire, un ours des Tatras, une prostituée de l'hôtel Ostrava. Tous en compagnie du fameux sac à dos rouge... Rada s'endort. Tout près d'elle, l'EastPack rouge bien évidemment... Le soir venu, l'homme prend finalement congé de la jeune femme rrom et retourne à son périple sans fin. Il remonte dans le bus de la veille. Dans la camionnette, il ouvre sa sacoche professionnelle. Dedans, l'une des photographies a immortalisé Zoubaïr, un pistolet à moitié dissimulé dans sa ceinture. Il ressemble à un justicier tandis qu'une fausse blonde au corsage échancré et en minijupe s'appuie sur son épaule. Il ouvre aussi une enveloppe sur laquelle est inscrit le prénom de la destinataire « Rada ». Au dedans, un mot court, écrit à l'encre très très noire:
« Rada, Si ce n'est déjà fait, oublie-moi et pardonne-moi. Pardonne-moi de t'avoir aimée pour ne pas sombrer. Tu étais la vie, Rada. Mais aujourd'hui, ma vie est toute autre et ma compagne est la mort. Zoubaïr. » Aussitôt, l'homme fait brusquement arrêter le chauffeur entre deux arrêts et descend. D'un coup de Zippo, il brûle les documents, laissant les cendres à la Nuit noire. Puis il se met à marcher. ..
Il est maintenant quatre heures du matin: l'homme parvient à « La Cabane aux Haies fleuries ». L'entrée est éclairée. Rada ne savait pas qu'elle l'attendait. ..


Article précédent Article suivant Imprimer Transmettre cet article à un(e) ami(e) Générer un PDF à partir de cet article
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
71 Personne(s) en ligne (24 Personne(s) connectée(s) sur Textes)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 71

Plus ...