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Accueil >> xnews >> Jambe en l'air : Mercredi 7 mai : Evasion de l'hôpital - Nouvelles - Textes
Nouvelles : Jambe en l'air : Mercredi 7 mai : Evasion de l'hôpital
Publié par couscous le 29-03-2013 10:40:00 ( 1187 lectures ) Articles du même auteur
Nouvelles



Pour une bonne compréhension, veuillez lire les chapitres précédents à partir du prologue.

Mercredi 7 mai : Evasion de l’hôpital

« Bonjour ! »
Déjà l’heure du thermomètre ! J’ai l’impression de m’être endormie il y a cinq minutes. C’est l’odeur du café chaud qui finit de me sortir de ma torpeur. C’est la même infirmière que la veille qui m’apporte le bassin rempli et tous les accessoires de toilette.
« Comment ça va aujourd’hui ?
- Ca va. Merci. »
Sauf que l’on dirait la réplique de la journée d’hier. Après ma toilette, elle me demande :
« Qu’est-ce que vous préférez pour ce soir ? Gouda ou pâté de foie ?
- Je sors cet après-midi.
- Ca m’étonnerait.
- Je vais négocier cela avec le docteur Lesage. J’ai mes raisons pour vouloir partir. Et votre dilemme gastronomique m’en offre une supplémentaire. Notez … le pâté en cas d’échec total des négociations. »
Elle coche une case sur sa liste et ressort. Un cachet avant la visite du médecin … tiens, le voilà justement. Va-t-il me redonner ma liberté spontanément ? Ou vais-je devoir lui forcer la main pour éviter les tartines au pâté ?
« Alors, comment vous sentez-vous ?
- J’ai connu des jours meilleurs. Au fait, quand comptez-vous me libérer ?
- Retirer votre atèle ?
- Non, me laisser rentrer chez moi.
- Il faudra environ deux semaines pour que les plaies externes cicatrisent. On pourra alors vous plâtrer. Tant que ce ne sera pas le cas, vous devrez rester. Nous devons surveiller qu’aucune complication ne se déclare.
- Mais, je veux sortir. Si je vous signe une décharge, c’est bon ?
- A vos risques et périls !
- D’accord ! (Il croyait me faire peur ?)
- Vous habitez seule ?
- Oui.
- Vous vous rendez compte que vous serez incapable de vous débrouiller pour de nombreuses choses ?
- Je m’organiserai.
- Je vous garde ici jusqu’après le week-end.
- Non, je veux sortir aujourd’hui. Ca ne changera rien. Je peux aussi bien me reposer chez moi. Ca me coûtera moins cher.
- Bon, il va falloir entamer un régime lait – yaourt – fromage. Si vous n’aimez pas, il faudra vous forcer pour reconstruire tout ça. Contactez aussi un service d’infirmières à domicile pour venir chaque jour changer vos pansements. Il existe également des services d’aides ménagères si cela s’avérait nécessaire. Est-ce que vous travaillez ?
- Oui.
- Dans quoi ?
- Je suis serveuse dans un café.
- On vous fournira une attestation d’incapacité de travail pour trois mois. »
Apparemment, il n’a pas rencontré la femme aux cheveux multicolores.
« Vous m’offrez de longues vacances !
- Ce ne sera sûrement pas suffisant, on avisera.
- Pourquoi ça ne le serait pas ? J’ai toujours entendu qu’il fallait trois semaines pour que les os se ressoudent.
- En cas de fracture simple, oui. C’est plus compliqué pour les fractures ouvertes et multiples.
- Combien de temps pour que je retrouve toutes mes facultés ?
- Comptez environ deux semaines pour cicatriser la plaie, six semaines de plâtre, deux semaines avec une attèle. L’usage de béquilles vous sera nécessaire environ quatre mois. Mais vous pourrez commencer la revalidation au retrait du plâtre. Ces délais s’entendent si aucune complication ne survient. Vous connaissez le programme maintenant.
- Donc, dans quatre mois, je pourrai à nouveau refaire tout ce que je faisais avant : courir, sauter, nager, grimper.
- Non, c’est le délai pour récupérer la marche. Pour la course et le reste, ce sera plus long. Donc, du repos, du repos et encore du repos. Vous attendrez pour faire votre ménage de printemps. »
Mais qu’est-ce qui me veut lui ? Je ne suis pas une femme d’intérieur. Je préfère sortir plutôt que d’astiquer les cuivres.
« Je veux vous revoir mardi prochain pour un bilan. C’est très important.
- Oui. (Bien mon général, à vos ordres !)
- On vous fera signer la décharge et vous pourrez sortir cet après-midi, après les soins.»
Oh non, je les avais oubliés ceux-là ! Lesage sort, l’air très contrarié.
Après le repas de midi, j’enfile déjà mon t-shirt. Heureusement, il est très long et, avec les couvertures, il cache le fait que je suis sans sous-vêtement car je n’ai pas osé demander à Paul de m’en ramener. A 14h, il vient me chercher mais le chariot de tortures n’est pas encore passé. J’ai parlé trop vite, le voilà. Paul est gentiment prié d’attendre dehors. Heureusement, sinon il m’aurait vue en tenue légère, ce n’est pas sérieux lors d’une deuxième rencontre. Je ne compte pas la première que je qualifierais plutôt de « rentre-dedans ». L’infirmière me questionne :
« C’est votre fiancé ?
- Euh, non.
- Votre frère ?
- Non plus. C’est mon bourreau.
- Quoi ?
- Rien, c’est une blague. C’est mon … cousin.
- Pourquoi est-ce qu’il vous vouvoie ?
- On vient d’une famille très aristocratique. »
Quand l’infirmière a terminé ma momification, elle m’aide à enfiler ma jupe, lasse ma chaussure gauche, puis laisse Paul entrer. Il me retrouve assise, dans l’expectative.
« On y va ? Je suis parqué devant l’entrée.
- De ma chambre ?
- Vous êtes comique. »
Je suis peut-être impayable mais j’ai un gros problème : comment parvenir jusqu’à son véhicule ? Plusieurs solutions : sautiller sur une patte, ramper, à moins que mon prince charmant ne me porte dans ses bras. Là, une femme en blanc m’apporte deux grandes béquilles. Vous savez, ces modèles qui vous arrivent jusqu’en dessous des bras. Je pensais qu’on en voyait plus que dans les films américains.
« Voilà, vous en aurez grand besoin. Voici aussi vos documents de sortie. Signez ici pour la décharge. N’oubliez pas de régler l’acompte à la comptabilité avant de partir.»
Je tends à Paul un sac en plastique (celui qu’il m’avait apporté la veille) contenant ma superbe chemise de nuit, ma chaussure droite découpée (en souvenir), mon T-shirt rose et mon sac banane. Il emporte aussi son bouquet de roses de la veille. Pour la première fois depuis deux jours, je reprends une position verticale avec l’aide de Paul. Mais ce n’est pas du goût de mon côté inférieur droit qui me l’exprime violemment. Je reste figée un moment.
« Vous pourriez aller lui dire qu’elle a oublié de me donner le mode d’emploi de ces machins. »
Paul sourit. Je prends alors appui sur mes deux bâtons. Pas facile de trouver son équilibre. Il me faut quelques mètres pour affiner ma technique : lancer mes deux jambes en même temps, en ne me reposant à l’atterrissage que d’un côté sans chavirer quand je repositionne mes béquilles plus loin. Dans le couloir, nous croisons Lesage qui donne ses dernières recommandations à Paul :
« Promettez-moi de la ramener dare-dare en cas de fièvre, douleur intense, saignement ou perte de connaissance. »
Paul acquiesce de la tête en ouvrant de grands yeux. Lorsque le médecin s’est éloigné, il me glisse discrètement à l’oreille :
« Vous êtes sûre que vous pouviez sortir ? Ils vous ont fait signer une décharge.
- Mais oui ! Vous savez, ils veulent toujours garder les gens plus longtemps pour récolter plus d’argent. »
Enfin l’ascenseur qui nous ramène au rez-de-chaussée. Je traverse le hall d’entrée. Des gens sont assis dans des fauteuils. Une femme me dévisage de haut en bas, tandis que son mari me sert son plus beau sourire. Je n’aime pas cette sensation d’être observée surtout dans des vêtements pas du tout assortis. Nous cherchons le bureau de la comptabilité. Il se trouve à côté de celui des admissions. Je sonne, un voyant vert s’allume. Paul m’ouvre. Nous atterrissons dans un petit local où une dame corpulente nous accueille. Je m’assieds sur le bord de la chaise.
« Je viens régler l’acompte.
- Votre nom et votre numéro de chambre, s’il vous plaît.
- MOREL, chambre 418.
- Vous payez comment ?
- Par carte. »
J’introduis le petit rectangle de plastique dans une machine, tape mon code secret en priant pour que le solde restant, cumulé avec mon découvert autorisé suffise à payer la somme demandée. Après un long moment, j’entends un bip et le message « SOLDE INSUFFISANT » s’affiche. Je deviens rouge comme une pivoine.
« Je suis désolée. Je pensais avoir assez. Mais je vous promets de passer vous régler demain. Gardez ma carte bancaire et ma carte d’identité en gage de ma bonne foi. »
A ce moment-là, ma jambe, posée sur le talon, me signale douloureusement qu’elle proteste contre la position que je lui impose. Il faut dire qu’elle a été habituée à plus d’égards depuis lundi. Paul se rend compte de ma souffrance.
« Il vaut peut-être mieux que je vous ramène dans votre chambre. La douleur faisait partie des symptômes alarmants signalés par le médecin.
- Il a parlé de douleur intense. Ici, ce n’est que mon lot quotidien ! »
Paul sort sa carte de banque de son portefeuille et l’introduit dans la fente de la petite boîte. Il tape son code et le paiement est directement accepté. Nous pouvons enfin sortir de là.
« Je tiens à vous rembourser à la maison. J’ai oublié de prévoir le poste « accident » dans mon budget mensuel.
- Ne vous en faites pas pour ça. C’est ma façon d’essayer de vous sortir du trou dans lequel je vous ai poussée. Venez. »
Je finis par atteindre péniblement le carrosse promis. C’est un ancien modèle de petite cylindrée rouge. Avec une telle couleur, on ne risque pas de remarquer les traces de sang de ses victimes. Je remarque que le pare-chocs arrière a disparu et que le coffre a perdu la moitié de sa surface. Sur le capot, il y a une bosse, je suppose que c’est la trace qu’a laissée ma tête. Paul m’ouvre la portière avant. Un regard suffit pour lui faire comprendre qu’il ne faut même pas essayer. Alors, il tente l’arrière gauche. Je m’assieds et demande un coup de main à mon taximan. Il m’attrape par le mollet. Je crie :
« Aïe ! Zone rouge ! »
Il s’arrête net.
« Je ne voulais pas vous faire mal.
- Il fallait y penser avant de me laisser traverser. C’est trop tard. En attendant, évitez le mollet … trop sensible ! C’est comme si vous me tordiez la jambe. Prenez plutôt l’attèle au niveau de la cheville. »
Il hésite avant de s’y coller maladroitement. Je me glisse alors doucement en arrière le long de la banquette. Quand toute mon anatomie semble être à l’intérieur, on se met en route. Mais à chaque coup de frein, il me faut retenir ma jambe qui menace de m’entraîner avec elle par terre. Je regarde la route afin d’anticiper les arrêts. On fait une pause à une pharmacie pour aller chercher tout ce qui est noté sur l’ordonnance. Je tends le papier à Paul avec un billet.
« Vous avez une vignette de mutuelle ?
- Non.
- Je m’arrangerai. »
Il ne prend que l’ordonnance et referme rapidement la portière pour éviter d’entendre mes protestations. Il ressort de l’officine avec quatre sachets bien remplis.
« Vous avez fait un hold up ?
- Non, j’ai pris en double tout ce qui pouvait l’être. Ainsi, vous serez tranquille plus longtemps. J’ai trouvé un arrangement avec la pharmacienne pour la vignette manquante. Elle a tout mis à mon nom.
- Combien je vous dois ?
- La promesse de vous soigner correctement. Ca suffira. »
Je reste muette. La voiture redémarre. Nous approchons d’un passage pour piétons où une jeune fille attend. Paul ralentit.
« NON ! Ne la laissez pas passer ! »
Surpris, il appuie à nouveau sur l’accélérateur. La fille nous dévisage d’un air mauvais.
« Vous exagérez. Je n’ai pas l’habitude de créer des accidents. C’était la première fois.
- Evidemment, il a fallu que ça tombe sur moi ! Je n’ai pas l’habitude non plus d’être renversée.
- Vous êtes mauvaise parce que n’y suis pour rien. Je suis aussi victime que vous dans cette histoire. Je me demande pourquoi ce type s’est enfui.
- Il avait sûrement peur d’arriver en retard à son rendez-vous ou d’être accusé de coups et blessures involontaires.
- Il ne doit pas avoir grand-chose à sa bagnole. C’était un mastodonte.
- Oui, il n’a sûrement pas grand-chose non plus aux jambes !
- Vous êtes vraiment une marrante.
- C’est vrai, j’aurais dû faire une carrière de comique. J’en serais pas à devoir servir dans un café répugnant.
- Vous êtes serveuse où ?
- Au Grincheux. Dans les sept nains, c’est celui qui ressemble le plus à mon patron.
- Vous aurez l’occasion de ne pas y aller pendant un certain temps.
- Pas de travail, pas d’argent aussi.
- Vous avez droit aux indemnités de maladie.
- Pas quand on travaille au noir.
- Mais, vous ne pouvez pas servir des clients dans cet état !
- Je ne sais pas. J’ai jusqu’à vendredi pour y réfléchir car je ne travaille que les week-ends. Ah, on arrive chez moi. »
Je crains d’avance l’opération « Sortez-moi de là ». Tout au bout de mes pieds se trouve la porte donnant sur la chaussée. Comme c’est une rue à grand trafic, j’opte pour le côté trottoir. Paul me saisit sous les bras et me tire. Le pauvre ! Encore une chose pour ma liste : maigrir de quelques kilos pour éviter un lumbago à ceux qui veulent me soulever. Je pose ma jambe gauche à terre et termine de sortir le reste de mon corps avec l’aide de Paul, non sans mordre sur ma chique. Ma voisine est à sa porte et observe avec intérêt. Cette femme est au courant de tout ce qui se passe dans le quartier. Je la surnomme « la commémère ».
« Alors, quel malheur vous est arrivé ?
- Un chauffard.
- Il faudrait tous les mettre en prison ces délinquants.
- Vous pouvez appeler la police tout de suite parce que c’est lui.
- Et vous montez dans sa voiture ?
- Il fallait bien que quelqu’un me reconduise. Allez, bonne journée Madame Brouche. »
J’imagine déjà ce qu’elle va raconter aux autres voisins : « Vous vous rendez compte ! Elle sort avec un criminel en cavale ! ». Je ris en ouvrant ma porte.
« Ne faites pas attention au désordre ! Ah oui, c’est vrai. Vous êtes déjà venu hier.
- Où ça le désordre ? Je ne vois rien. »
J’observe la pièce. Tout est rangé : plus de vêtements qui traînent sur le divan, plus de verres sur la table, l’évier est vide et il y a même des fleurs dans un vase sur la cheminée. Je reste trente secondes bouche bée.
« Je comprends maintenant pourquoi vous avez mis autant de temps à me ramener mes affaires.
- Le bouquet, il vous plaît ?
- Oui beaucoup.
- On peut mettre le deuxième dans le même vase. Allez vous allonger. »
Sur mon canapé, il a mis un oreiller et une couverture.
« J’ai pensé que vous aurez du mal à gravir vos escaliers pendant quelques temps. Alors je vous ai installé un lit d’appoint.
- C’est bien pensé. Merci.
- Je vous ai positionnée de sorte que vous puissiez voir la télé.
- Je ne suis pas très accro au petit écran.
- Quelque chose me dit que vous allez le devenir. Il y a peu de passe-temps lorsqu’on doit rester allongé.
- Je suis très inventive. »
Mais avant de me coucher, je vais fouiller dans mon armoire. J’en sors un livre intitulé « Comment réussir dans la vie en 10 leçons », aux éditions Arnaques et compagnie. J’aurais besoin d’au moins vingt leçons et d’un professeur particulier car rien n’a fonctionné. C’est dans cet ouvrage que je cache mes économies. J’aurais dû lui préférer : « Comment devenir riche en 10 leçons » mais il était sold out. Je sors deux billets que je tends à Paul :
« Voici pour l’acompte, la pharmacie et le carburant pour hier et aujourd’hui.
- Vous surestimez mes frais. Gardez-les, vous en aurez besoin.
- Je n’ai pas envie de discuter. Prenez-les. »
Et je fourre les billets dans la poche de sa veste. Il m’aide à m’installer comme un pacha dans les fauteuils. Le moelleux des coussins adoucit un peu mon mal.
« Pourriez-vous m’apporter de l’eau ?
Il ramène un verre et une bouteille. Ma soif étanchée, il me dit :
« Je dois vous laisser, je repars au boulot. Voilà mon numéro de téléphone. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi ! Je passerai vous voir demain. »
Et il sort en claquant la porte. J’ai oublié de lui demander son métier. Je fantasme alors en le pensant agent secret étranger (il a un peu le type méditerranéen) en mission pour retrouver une arme nucléaire volée par des terroristes belges (ça doit exister). Ou peut-être est-ce un grand avocat ? Je ne pense pas, avec la voiture pourrie qu’il a !
J’ai encore la bouche sèche. Je soulève la bouteille et découvre les billets que Paul a discrètement glissés dessous. Que faire ? Si je les lui rends, il sera peut-être vexé. J’ai besoin de cet argent, il ne faut pas se cacher la vérité.
Je dois aller aux toilettes. Pas facile de trouver une bonne position. La meilleure solution est de laisser un marchepied pour me permettre de pouvoir être complètement assise sur la lunette. J’en ai justement un qui traîne dans la cour. Je le pousse jusqu’à la toilette et y pose un coussin pour en parfaire le confort.
Ensuite, je retourne m’installer dans le canapé. Ma jambe pèse une tonne et personne n’est là pour la soulever. Je cherche la meilleure façon de la prendre : par l’attèle ? Non, le mieux, c’est de croiser mes mains sous le genou et de basculer mon buste en arrière pour faire contrepoids. Je n’y parviens pas tout de suite. Comment des gestes aussi simples peuvent-ils devenir presque impossibles à cause d’un seul membre blessé ? Enfin allongée, je cogite.
Zut ! Il faut que je téléphone à Bernard, mon moniteur d’auto-école, je suis sensée prendre ma dernière heure de conduite avant de passer mon permis pratique à 10 h demain. Heureusement, le combiné est à portée de main. Je décommande le tout et on reporte à plus tard.
Me voilà seule et interdite de sport : la pire des punitions. Si on m’avait prédit cet accident, je ne l’aurais jamais cru. Tout le monde pense que les malheurs n’arrivent qu’aux autres. C’est une façon de pouvoir affronter son quotidien sans trop se poser de questions. Lorsque quelque chose se produit, c’est la faute à « pas de chance », la fatalité. Personnellement, je considère plutôt ce genre d’épreuve comme un signal. Maintenant, il me faut le décoder. Ma vie n’est-elle pas un modèle ? Loin de là ! La sonnette d’alarme a été tirée et mon train s’est arrêté brusquement. Je ne peux pas rester en gare indéfiniment. Y a-t-il un autre aiguillage possible ? Cet homme a-t-il un rôle à jouer ?
Toutes ces considérations s’embrouillent dans ma tête car mon esprit s’assoupit. Je ne résiste pas et glisse vers une sieste fortement réclamée par mon corps tout entier. A mon réveil, je n’ai aucune notion du temps écoulé. En tout cas, d’après mon estomac, on doit approcher l’heure du souper. La première étape consiste à se lever. Mais je comprends rapidement, qu’avant toute manœuvre supplémentaire, j’ai grand intérêt à faire l’inventaire des sacs de la pharmacie. Ca me rappelle le chariot de torture de l’hôpital. Je trouve une petite boîte au drôle de nom mais le terme « antalgique » me parle et me promet le réconfort. Un cachet ingurgité avec le reste d’eau dans mon verre et j’attends que ses effets se fassent ressentir. En espérant que Lesage n’aura pas eu la mauvaise idée de me prescrire un placebo pour me faire revenir rapidement dans son service. Après un quart d’heure, je constate que mes craintes ne sont pas fondées et que je peux enfin envisager d’aller me restaurer. L’expression est grande pour un souper bien frugal avec ce que je trouve dans mon frigo et qui ne nécessite aucune préparation complexe. Ca se résume en un reste de salade de riz agrémenté d’une demi-tranche de jambon. J’en viendrais presque à regretter le pâté de foie qui se morfond dans une assiette posée sur le plateau de la chambre 418 et que personne ne mangera !
Tant pis pour la vaisselle ! Je ne rêve que de me recoucher. Je prends au passage ma chemise de nuit gracieusement offerte par l’hôpital. Debout, je laisse glisser ma jupe par terre. Pour le reste, je me change dans le canapé. Il est maintenant près de vingt heures. Que faire à part allumer la télé ? Paul avait raison de me positionner dans le bon sens. Le journal télévisé est quasi inévitable. Ce ne me remonte pas le moral ! Des guerres, des attentats, des accidents … mais on ne parle pas du mien. Par contre, une vedette se plante en vélo et elle fait les gros titres ! La météo annonce des températures estivales et un temps superbe pour les jours à venir. Idéal pour sortir mon vélo … dans d’autres circonstances bien entendu. Ensuite, j’ai droit à une comédie romantique américaine : de bons sentiments, des acteurs magnifiques, des gens aisés financièrement, un coup de foudre impossible qui parvient à se faire reconnaître par l’entourage comme une bénédiction. Je ne peux m’empêcher de penser à Paul. Il est clair qu’il ne me laisse pas indifférente. Cette sensation ne m’avait pas titillée depuis longtemps. Etrangement, je me sens en sécurité à ses côtés nonobstant le fait qu’il m’ait renversée. Je suis heureuse qu’il ait également flashé sur moi. Je le verrai demain … il me l’a promis. Le soleil qui se couche voit ma douleur grandir à nouveau. Nonchalamment, j’éteins la télé, avale une seconde pilule et m’endors en visionnant le visage rassurant de Paul.

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 29-03-2013 22:46  Mis à jour: 29-03-2013 22:46
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Jambe en l'air : chapitre 3
Ma première impression : mais c'est moi !, cette manie de se sauver de la clinique en signant des décharges, c'est moi ! Et cette habitude fout toute ma famille en rogne, mais rester enfermée avec des malades , non!
Aux personnes qui me font toujours la morale en me disant que je ne suis pas raisonnable, j'explique que la clinique, l'hôpital sont des endroits très dangereux, la preuve ils sont remplis de gens en mauvais état.
Lecture très sympa.
une coquille :
Citation :
parce c’est lui.

La suite ...
Merci
couscous
Posté le: 30-03-2013 06:25  Mis à jour: 30-03-2013 06:25
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Jambe en l'air : chapitre 3
Très heureuse que tu puisses t'identifier à Delphine; Elle est corriace et têtue, comme toi apparemment. A suivre donc.
Merci pour ton commentaire et la correction ...
Iktomi
Posté le: 05-04-2013 16:09  Mis à jour: 05-04-2013 16:09
Modérateur
Inscrit le: 11-01-2012
De: Rivière du mât
Contributions: 682
 Re: Jambe en l'air : chapitre 3
Je ne reviens pas sur ce que j’ai écrit précédemment mais pour cet épisode juste un reproche : tu excelles dans les dialogues, d’accord, raison de plus pour ne pas nous en infliger quand ils sont inutiles à la compréhension et à la progression du récit, exemple : le coup de fil à l’auto-école.
couscous
Posté le: 05-04-2013 17:31  Mis à jour: 05-04-2013 17:31
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Jambe en l'air : chapitre 3
En fait, le dialogue avec l'auto-école est utile beaucoup plus loin dans le texte mais il est vrai qu'il n'est pas indispensable.

En tout cas, merci de commenter.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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