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Nouvelles confirmées : Se canta, que canta, canta per ma mia
Publié par Loriane le 28-06-2018 14:00:00 ( 2454 lectures ) Articles du même auteur
Nouvelles confirmées



La charrette bringuebalait sur la caillasse du chemin.
Ils passèrent devant la dernière maison en bas du village.
La longue façade dorée, en pierre de Cahors de la maison des Deltour faisait face au vieux jardin clos qui fut, il y a quelques siècles le verger du monastère isolé, centre spirituel du village, vieux monastère aujourd'hui devenu simple maison d'habitation.
Les villageois conservaient avec respect ces vestiges de beauté, il y avait là, quelques hauts et bas-reliefs. Dans le mur épais fait de lourdes pierres, s'ouvrait une porte basse, encadrée de colonnes doriques et surmontées d'un tympan portant la date de "1611" profondément gravée et entourée d'animaux fabuleux qui veillaient sur l'ensemble.
Tranquille et lent, comme tout ceux de son espèce, l'âne "baptistout" cahin-caha, abordait avant la grande descente du coteaux, le dernier virage, menant à la plateforme qui dominait la douce vallée du Céou.
L'animal semblait tout savoir de l'effort et de la longue pente qui l'attendait, car il stoppa face au précipice, peut-être aimait-il lui aussi cette vue magnifique ?
En bas, la rivière serpentait entre les champs, allongeant son ruban de peupliers tout au long de la vallée verte qu'encadraient les tertres secs couverts de pierrailles et de genévriers.
Les brumes épaisses du petit matin montaient lentement, elles quittaient la rivière et stagnaient pour un moment, à mi-hauteur de la vallée, tout en progressant lentement, très lentement vers le ciel qui commençait à se bleuter.
Hier, l'expédition à la rivière avait été décidée en s'appuyant sur les signes qui renseignaient depuis des siècles les paysans du cru, en effet le vent avait tourné, et on n'avait plus entendu les cloches de l'église de Bouzic qui, là-bas à l'ouest, savait à coup sûr, toujours prévenir de la pluie, mais en revanche depuis quelques jours, résonnait très clairement l'angélus venant du clocher de Saint Martial qui, lui, prédisait avec certitude, le beau temps pour le jour à venir.
Jamais au grand jamais, les vieux ne se trompaient, jamais ils ne se faisaient surprendre par une vilaine ondée sur les foins, ou par la sécheresse sur les plantations, ils savaient lire le message d'un ciel couchant tout rouge, qui précédait, les jours de trop grands vents, et évitaient ainsi prudemment ces jours peu favorables aux battages ou de dépiquage. Ils vivaient de la terre et du ciel, attentifs aux moindres signes que la nature leur livrait, elle était leur nourrice et leur maître.
" Ezilda, siá bona, ma filha, vai-t-en darrièr la gana deus Agrafuelhs, ‘massa de las pomas e de las peras per lo marendon
("Ezilda, sois bonne, ma fille, va derrière la mare des Agrafeuil, ramasse nous des pommes et des poires pour la collation".)
Le patois de la mère rocaillait avec musicalité, avec cet accent qui disait beaucoup de l'énergie et de la gourmandise de la vie de ces gens simples, simplement vivants..
Ezilda fila entre les deux bâtiments de pierres sèches, sur le passage herbeux qui menait aux vieux champs de la famille Malaval, elle remplit la grande poche de devant de sa blouse, de fruits, les plus beaux possibles, les moins cabossés, les moins gâtés, les moins visités par les guêpes ou les abeilles, puis, elle ne put s'empêcher en passant d'aller se pencher au dessus du mur derrière lequel dormait l'eau immobile, l'eau mystérieuse si verte de la grande marre remplie de végétation et qui servait de refuge aux répugnants crapauds, cet univers glauque et inquiétant la fascinait, elle s'éloigna de ce monde pour sorcière, et sitôt qu'elle fut revenue avec sa cueillette près de la charrette, le père donna le signal du départ en se levant du petit banc de bois qui servait de repos au promeneur et qui surplombait toute la vallée offrant une vue réjouissante pour le rêveur et les poètes.
Hue !!! cria la mère en fouettant l'arrière train de cuir épais de Baptistou, cet ordre fut donné d'un petit coup sec à l'aide de la branche souple de coudrier qu'elle venait de tailler avec son inséparable canif. Celui-ci son ouvrage fini fut vivement replié, et retourna s'engouffrer au fond de sa grande poche à l'avant de son tablier sombre de satin fermière.
L'âne, en bon âne rétif resta immobile, était-il rêveur devant le paysage, fatigué dès le matin ? Le sait-on mais il ne bougea point.
Le père sans précipitation vint à l'avant de l'animal et l'attrapant au mors, il l'encouragea de quelques mots de patois en le tirant sur l'étroite pente de cailloux; L'attelage réfractaire, de mauvais grès, hésitant, se mit en branle, et commença la descente dans la pierraille qui roulait en avalanche sous les sabots de l'âne.
Sur la plateforme de planches de la charrette, protégées par les ridelles, les grosses bassines de bois et de métal qui contenaient les linges à laver, s'entrechoquaient en rythme faisant une curieuse musique qui semblait faite pour la marche et stimuler à la fois les pattes et les pieds, et ainsi la route allait, et allait même parfois trop bon train.
Dans certains virages très aigus, la mère et Ezilda s'accrochaient de tout leur poids à l’arrière de la charrette, la freinant de toute leur force, afin de soulager l'animal qui devait fournir un grand effort pour ne pas verser dans le précipice.
Au long de la descente, ils avaient traversé le nuage de brume, et ils étaient maintenant à mi-hauteur, les près sous leurs yeux s'approchaient.
Le ruban de la route qui zigzaguait sous les tertres, et suivait la rivière était maintenant tout près.
Regardant vers le sommet, le père annonça :
"E te lo Janton, davala las bestias a la ribièra !"
(" Et té ! le jeantou descend les bêtes à la rivière")
Le coeur d'Ezilda sauta dans sa poitrine, en passant, tout à l'heure devant la bergerie elle avait été déçue de la voir fermée, elle craignait que le jeune homme soit allé garder ailleurs.
Depuis une bonne année, leurs jeux d'enfants avaient bien changés, les yeux bleus, les folles mèches blondes avaient éveillé en elle de curieux et tous nouveaux émois. Celui qui, au sortir de leur enfance était devenu pour elle un géant, fort et rieur, un travailleur charmeur, au caractère égal, jamais emporté, jamais coléreux, faisait battre son coeur sans qu'elle n'osa le laisser voir.
Elle s'en défendait même lorsque tous les adultes railleurs, les "mettaient en boîte" , les faisant tous les deux "piquer un fard", par leurs plaisanteries pas très fines et les illusions rigolardes sur leurs penchants secrets, c' était là depuis quelques temps le jeux de tout le village.
Ezilda tourna la tête, le père les yeux sur la pente regardaient les moutons s'éparpiller entre les petits chênes, entre les genévriers et les rares touffes d'herbes sèches qui faisaient malgré tout un lait abondant et bien gras pour les fromages frais de la ferme.
Les bêlements animaient le silence du vallon, ils s'amplifiaient, faisant vibrer l'écho d'un versant à l'autre, ils accompagnaient la descente du troupeau qui s'égaillait librement.
Soudain, les aboiements de Clairon et Trompette les deux chiens du troupeau firent s'arrêter le père qui dit en roulant le patois :
"An pres la traça, an sentit una lebre, lo diable me crama si podiái los segre, auriam un crane cebier."
("ils ont pris la piste, ils ont senti un lièvre, le diable me brûle, si je pouvais les suivre, on aurait un beau civet ")
Au moment de quitter la pente pour traverser, la route et entrer dans les prés, Ezilda sur le sentier de terre rouge était entouré de mûriers sauvages aux tiges pleines d'épines, elle tint une longue ronce qui lui barrait le chemin mais, maladroitement, elle la lâcha trop vite :
"Oh Bon Diu Ezilda quala colhona !"
(Oh ! boudi Zilda !! quelle couillonne ! ")
Cria la mère venue derrière, en essuyant une longue balafre sur son visage.
Ils étaient maintenant au pied du tertre, sur la route de la vallée.
L'âne Baptistout fêta l'arrivée au bas de la côte à sa façon : il s'arrêta tout à fait en levant sa grosse tête, les babines retroussées, il découvrit ses grandes dents solides et poussa une série de vigoureux
"hi-han, hi-han, hi-han ..."
Monsieur Baptistout manifestait et disait sa joie d'être arrivé sur le plat.
Et il savait que maintenant la traversée des près était la récompense.
Ezilda qui d'habitude surveillait avec crainte les grosses limaces rouges glissantes étalées sur les herbes humides, n'y prêta, cette fois, aucune attention, elle avait l'esprit distrait et ses yeux examinaient avec minutie le flanc du coteau, elle cherchait la silhouette du Jeantou, allait-il rester au pré ?
Allait-il remonter sur le pech ? L'avait-il vue ? Était-il dans l'étable quand il sont passés devant la ferme ? Les suivait-ils ?
Toutes ces questions la taraudaient et toute à sa rêverie, c'est d'un air absent que , dès l'âne détaché de sa charge, les bras de la charrette au sol, alors que la mère donnait à l'animal son picotin d'avoine et un seau d'eau fraîche, elle entreprit de débarrasser la charrette de sa charge et qu' elle commença à charrier les lourdes bassines emplies de linges sales jusqu'au pierres du gué. Elle était si étourdie et machinale dans ses gestes qu'elle ne ressentit aucun de ses efforts et travailla sans peine.
Les douze draps de lourdes toiles écrues flottaient dans l'onde pure, la mère en éclatant de rire devant son visage songeur, lui lança :
O Zilda coquine, es ton promes ? eh ‘trapa !
("Oh Zilda ma coquine, tu es bien vaillante ce matin, tu as vu ton promis ?" Eh! attrape ! )
et elle lui lança, un gros morceaux de savon jaune et sec et une énorme brosse de chiendent.
Le père avait décroché de la ridelle, le fusil et la ceinture de cartouches, il les avait appuyés au tronc du peuplier, puis la musette sur le dos, le pantalon remonté jusqu'aux genoux il rentrait dans l'eau froide, l’œil perçant traversant les frémissements de l'eau glaciale à la recherche des truites, des gougeons, des anguilles, ignorant les menus gardons qui filaient vivement entre les nénuphars sur les galets de la rivière, dans les frissons de l'onde transparente..
Les deux femmes, les jupes haut relevées sur leurs jambes fines et blanches comme l'albâtre, retenues à la taille par la longue ceinture, les cheveux noués en chignon sur le haut de la tête, le chemisier dégrafé pour permettre un efficace mouvement de va-et-vient du bras sur le linge à frotter avec énergie, se mettaient avec ardeur à l'ouvrage. Les jambes dans l'eau, elles prenaient appui sur les grosses pierres devenues pour une matinée des lavoirs de fortune.
Une fois savonnées et frottées les grandes pièces de draps allaient séjourner en rinçage dans le courant un peu plus bas, le travail avançait sans que jamais Ezilda ne cessa de surveiller, d'une oreille bien attentive, les bêlements du troupeau et son évolution.
La matinée avançait, l'entrain commença à faiblir, les libellules tournoyaient, les mouches et les taons se faisant de plus en plus agaçants, quand soudain, pour se donner du courage, la voix de la mère s'éleva fortement entre les peupliers, l'eau fraîche du ruisseau portait les sons comme le faisait la voûte de l'église à l'église le Dimanche:

http://youtu.be/gF01VE9yqlY
"Dejós ma finèstra, I a un aucelon., Tota la nuèit canta, Canta sa cançon...."

Ezilda repris le refrain en duo avec sa mère, les deux voix de femmes se mariaient à ravir, la juvénile hauteur de l'une accompagnait la profondeur de l'autre,:
Se canta, que cante, Canta pas per ieu, Canta per ma mia, Qu'es al luènh de ieu..

La beauté de l’unisson, enchantait tout le lieu, la joie des mots de patois portés par la rivière devait aller de Gaumiers jusqu'au moulin-bas; la mélodie n'avait pas cessé quand un son de flûtiau vint accompagner le chant.
La silhouette du Jeantou assis sur la berge d'en face se dessinait entre deux grands saules, il jouait de sa flûte champêtre sculptée avec amour, née de ses mains et sans cesse perfectionnée pendant les heures de garde du troupeau.
La mère leva la tête vers le visiteur musicien, et lui sourit, puis d'un petit air moqueur elle regarda Ezilda dont le trémolo s'était soudain accéléré.
Puis au loin, porté par l'eau, leur vint l'accompagnement d'un siffleur puissant qui maintenant reprenait avec eux le refrain, le père sortait de l'eau pour se joindre à eux.
Les lèvres bleues de froid ne l'empêchaient pas de siffler à plein poumons, il suspendit la musette frétillante à une branche de peuplier, puis il se frotta au soleil toujours en sifflant avec les autres. le chant continua, puis fut repris et repris encore, car ils puisaient là, énergie et plaisir, tous chantaient ensemble :

Aquelas montanhas, Que tan nautas son, M'empachan de véser, Mas amors ont son.
"Eh fadas !!! fasètz se’n anar las truchas !"
("Eh té !!!! fadas !vous faites partir les truites".)
Conclut le père avant d'aider les femmes à porter sur les près, les draps à sécher.
Peut-être bien que les truites encore dans le Céou étaient parties mais celles qui étaient dans la musette seraient mangées demain au vert-jus ou avec les amandes fraîches de l'amandier de l'enclos.
Le plaisir du chant, leurs voix heureuses étaient là, et alors, tous éclatèrent de rire.
Le Jeantou descendit de la berge, il traversa la rivière en faisant fuir les araignées d'eau qui glissaient sur l'onde, il vint les rejoindre et aida à l'étendage, qui était un travail fatiguant et qui est plus fait pour des muscles puissants.
La mère et Ezilda, en pleine action avait tout à fait, oublié le relâchement de leur tenue, et le père d'un coup d’œil sévère, et la voix sèche les rappela à l'ordre.
Elles s'empressèrent de remettre un peu d'ordre dans leur apparence, elles rattachèrent, corsages et cheveux, couvrirent leurs jambes et s'assirent sur la grande nappe de tissu à carreaux, sortie du gros panier contenant les victuailles.
Le Jeantou tout naturellement fut invité à se joindre à la collation, il aida le père à "tailler" les grosses tranches de tourte, la mère éplucha les aulx, et commença à en enduire la croûte de pain des frottes, puis elle gratta avec le canif bien aiguisé de frais, le gros morceau de lard blanc, bien gras, qu'elle étala sur le pain luisant d’ail.
Tous étaient en grand appétit et chacun accompagnait à son goût sa frotte à l’ail, de raisin, de noix, de pommes, de poires ....
La mère dénoua le gros torchon noué comme un ballot, et en tira les provisions.
L'anchaud de porc fut sortit de son bocal est coupé sur les tranches de pain qui formaient de solides assiettes.
Le père se leva et alla sortir de la rivière la bouteille de vin, qu'il y avait mise, dès leur arrivée, bien coincée entre deux pierres.
Le petit raisin de Baco noir du coteau faisait un vin musclé, rouge foncé, âcre et fort, un vin de paysan, sans manière, un gros rouge qui tâche, et qui laissait des ronds rouges sur toutes les tables de fermes alentour, mais un vin qui, si il emportait un peu les bouches délicates, préparait en revanche, des centenaires solides et décidés, des centenaires qui continueront de chanter les soirs d'hiver, assis dans l'âtre fascinés par la flamme, bien au chaud sur les grands saloirs de bois, ou dorment dans le gros sel, les jambons du cochon tué après Noël et qui nourrira la famille pour une année.
Sous le soleil qui chauffait les près, les mangeurs étaient presque rassasiés quand la mère sortit, en faisant des effets et des minauderies, sa belle surprise : la tarte de prune cuite en cachette, sous la cendre.
Elle montrait avec gourmandise le sourire heureux de celle qui sait la joie qu'elle fait à ses convives, elle manifestait ce plaisir que l'on éprouve à rendre heureux ceux qui nous entourent.
Elle avait la veille cueilli avec soin les prunes rouges de l'enclos, derrière le poulailler au milieu des ruches, et elle avait confectionné ce dessert comme l'on prépare les cadeaux de Noël;
"Eh te lo Janton ? lo tropèl es coijat deuriás los daissar al prat, los chens gardan, sès pas preissat, poriás m’ajudar a copar l’erba per los lapins abans de tornar montar ?"
("Eh té ! Té! le Jeantou ? le troupeau est couché, tu devrais les laisser au pré, les chiens gardent, t'es pas pressé, tu pourrais m'aider à couper de l'herbe pour les lapins avant de remonter ? " )
Le soleil était fort maintenant. Les silences s'allongeaient, les grandes toiles écrues, étalées sur le pré séchaient, quelques bâillements annonçaient la sieste.
Le père, à l'ombre des hauts peupliers, sortit son immense mouchoir de gros carreaux bleus, il noua un nœud à chaque angle et se le posa sur ses derniers cheveux encore sur sa tête, le crâne ainsi protégé, il posa son béret sur le visage après avoir glissait sous sa tête, sa veste roulée en boule, puis il s’allongeât de tout son long dans l'herbe chaude, il ferma les yeux, tout en sifflotant encore un moment, puis la mère le rejoignit, s’allongeât à son tour, et se blottit près de lui la tête sur son bras elle ne bougeait bientôt plus, son souffle léger parlait du monde de Morphée.
Ezilda à demie couchée n'osait se laisser aller devant le Jeannot , celui-ci se leva et s'éloigna lentement, il sembla hésiter puis se retourna pour l'inviter,
"Vene vau te montrar qualqua res"
("Viens je vais te montrer quelque chose ")
"Sabi pas"
("Je ne sais pas " )
"Mas fai pas la fada, i a pas de mal, los parents son aquí."
("Mais ne fais pas la sotte, il y'a pas de mal, les parents sont là")
Ezilda se leva, et suivit le Jeannot, ils traversèrent le Céou, il marchait plus vite qu'elle et grimpa prestement sur la berge, il tourna derrière le gros saule.
Elle n'était jamais venue de ce côté de la rivière, elle vit dans les prés du moulin-grand le troupeau. Les animaux étaient couchés à l'ombre des arbres, presque collés les uns aux autres, tout était calme, la nature, les parents, le troupeau, et même les chiens revenus de leur fugue chasseresse, tous dormaient sous le soleil de midi.
Elle se trouva soudain seule, immobile, inquiète, et un cri léger sortit de sa gorge quand deux bras solides l'enserrèrent.
Une bouche gourmande et chaude mangeait son cou de mille baisers, elle se laissa lentement emporter en arrière, dans le creux du gros saule, tout en protestant sans conviction, le profond trou dans le tronc, devenait une cachette, il avait été tapissé de foin doux, Jeantou l'attira contre lui.
Il la tenait serrée avec fermeté et sans brutalité mais de façon irrésistible, elle sentit son odeur, une odeur qui enivre, une odeur nouvelle, il sentait une odeur de pain chaud. Elle aimait tant le sentir.
Il l'a coucha avec douceur près de lui sur le sol de la grande niche de foin.
Ils étaient au sol, l'un contre l'autre immobiles, visage contre visage.
Nooon ! souffla doucement Ezilda, non, faut pas ! elle sentit la bouche sur la sienne, les yeux la surveillaient.
Elle avait une envie terrible de ce baiser, elle avait envie de ce corps, de le renifler, de le manger.
"Si vòles te maridi Zilda, si los parents damandan te maridi còssec,aqueste ser si vòles… Zilda espia me, Zilda t’aimi…"
"(Si tu veux je te marie Zilda, si les parents demandent, je te marie tout de suite, ce soir si tu veux .... Zilda regarde moi, Zilda je t'aime ... )"
Les souffles se mêlaient, les mains de Jeantou, exploraient, découvraient, elles étaient partout sur elle, déshabillaient son corps, le corsage ouvert elle subit les yeux fermés les douces morsures sur ses jeunes seins, son corps entier hurlait de désir.
"Noooon, nooon, oh !!! la la noon , humm...hummmm... "
Les gémissements suppliants disaient oui. Les yeux dans les yeux du Jeantou, elle suivait les mains qui franchissaient les limites de sa pudeur pour mettre le plaisir à la place, sans précipitation, sans contrainte, voilà qu'elle était nue, et qu' il était nu sur elle.
Longtemps, très longtemps il l'embrassa, la caressa, avec des gestes délicieux câlins et tendres, des gestes lents, et rassurants, sans cesser de la regarder, sans jamais fermer les yeux, puis attentive elle sentit son corps s'ouvrir, quand lentement, très lentement elle sentit en elle le corps de Jeannot entrer, entrer doucement, si doucement, toujours son regard planter dans le sien. Elle frissonnait d'extase, sous le regard ébloui de son amoureux.
Le saule les garda pendant un temps précieux, le temps de la découverte, le temps des serments et de l’éblouissement de l'amour.
Puis heureux comme jamais ils ne l'avaient été, sans honte, sans regrets, sans crainte, ni remords ils revinrent vers le parents toujours endormis.
La chaleur de l'après midi avait séché les draps.
Le pliage des lourds draps dura longtemps, l'herbe pour les lapins fut coupée, les grands bidons de fer furent remplis de l'eau fraîche et pure du Céou, l'âne fut remis dans les brancards, les regards se croisaient en frémissant, les mains se frôlaient, électriques encore du souvenir de la révélation de l'extase.
La montée dans les ombres longues du soleil au couchant, fut fatigante, les femmes poussaient souvent la charrette pour aider Baptistout qui peinait, pendant ce temps le père le guidait, le tenait fermement afin d'éviter qu'il ne renâcle à l'effort et que buté 'il ne refuse d'avancer.
Le Jeantou suivait avec le troupeau, il s'arrêta de temps à autre pour confectionner sur le chemin un gros bouquet de mauves, de marguerites sauvages, d'immortelles jaunes et d’œillets sauvages.
Les pas lourds de fatigue, arrivèrent en haut de la côte, le troupeau, avait accéléré la cadence et le bélier fatigué de cette longue journée, avait mené sa troupe à la bergerie, bien avant que les humains ne soient sur le replat.
Lorsque Les parents et Ezilda passèrent devant la ferme du Jeantou, celui-ci était là, devant la porte, à côté, ses vieux parents appuyés sur leurs longs bâtons de marche étaient assis sur la longue pierre à l'abri du mur.
Le jeune homme avait suivi les bêtes et avait pris le raccourci qui coupait les derniers virages, debout dans le chemin il attendait la charrette.
Il les avait prestement précédés pour les attendre, puis soudain, il vint vers eux maladroitement, avec la précipitation du timide qui se jette à l'eau; il donna le bouquet à Ezilda et soudain, jeta, de tout à trac en regardant les parents, parlant fort comme si il parlait à la cantonade :
"Ezilda quò’s ma promesa, paire, fai ma damanda, quand aurèm acabat de dintrar lo boirriu plantarèm lo mai d’esposalhas."
("Ezilda c'est ma promise, père, je fais ma demande , quand nous aurons fini de rentrer les regains nous planterons le mai des épousailles ")

Loriane Lydia Maleville

Traduction des dialogues en patois : Joan-Pau Verdier

Dejós ma finèstra
I a un aucelon.
Tota la nuèit canta
Canta sa cançon.
Refrain :
Se canta, que cante,
Canta pas per ieu.
Canta per ma mia
Qu'es al luènh de ieu.
Aquelas montanhas
Que tan nautas son,
M'empachan de véser
Mas amors ont son.
Se canta, que cante,
Canta pas per ieu.
Canta per ma mia
Qu'es al luènh de ieu.
Aquelas montanhas
Lèu s'abaissaràn,
E mas amoretas
Apareisseràn.
Se canta, que cante,
Canta pas per ieu.
Canta per ma mia
Qu'es al luènh de ieu.
. Baissatz-vos montanhas,
Planas levatz-vos,
Per que pòsque véser
Mas amors ont son.
Se canta, que cante,
Canta pas per ieu.
Canta per ma mia
Qu'es al luènh de ieu.


diverses versions de l'hymne occitan
http://youtu.be/ujU9mYTVcek version en français
http://youtu.be/gF01VE9yqlY
http://youtu.be/XOAZpmgKN5w
http://youtu.be/eGqZXgormtM militaire
http://youtu.be/8YTkzUOG2ao groupe officiel
http://youtu.be/0pOJl-iwD64 église
http://youtu.be/FO5ZQSftGCk vue pyrénéenes
http://youtu.be/xE2CnXyixqg
http://youtu.be/tto2ZPxIEbU au stadium de Toulouse

Précisions sur l'occitan :


Les dialogues en patois sont écrit en ce qu'on appelle une graphie normalisée et non en graphie patoisante.
Il faut savoir quelques notions : le A final se prononce O fermé
le O = ou
le ò = o
ex : sois bonne ma fille : siá bona ma filha :
se prononce : sio bouno ma filho.

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Auteur Commentaire en débat
wildpath09
Posté le: 24-05-2013 09:48  Mis à jour: 24-05-2013 09:50
Plume d'Argent
Inscrit le: 19-05-2013
De: pau
Contributions: 60
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
Autre lieu et pourtant aussi intemporel et bucolique que du Daudet!

Merci pour cette promenade/randonnée
pastorale écrite dans un style léger et donnant
l'impression de scènes cinématographiques.

Lecture facile et captivante tout le long du "périple".
Les personnages y sont bien tels qu'en réalité,
hors du temps, sans temps mort et même le repos
devient une occupation à part entière.

Merci!

Amicalement,
Wild
Bacchus
Posté le: 24-05-2013 16:13  Mis à jour: 24-05-2013 16:15
Modérateur
Inscrit le: 03-05-2012
De: Corse
Contributions: 1186
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
C'est une très jolie histoire, très bien écrite et qui laisse comme une odeur de foin chaud et de pâturage derrière elle.
La chanson me rappelle une nuit, dans les montagnes près de Pau. Avec un copain Palois et un autre de Bergerac, nous nous tenions par les épaules et, face à la vallée éclairée par la lune, nous chantions avec conviction et à tue-tête "Toulouse".
Oui..nous nous étions abreuvés, avant. Nous étions trois de la marine qui s'étaient retrouvés.
Loriane
Posté le: 24-05-2013 16:44  Mis à jour: 24-05-2013 16:44
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
J'ai pensé à toi après l'avoir écrite.
C'est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Vous aviez chanté "'Toulouse" ou l'hymne occitan ? les deux ?
Merci de ton passsage
Bacchus
Posté le: 24-05-2013 17:47  Mis à jour: 24-05-2013 17:47
Modérateur
Inscrit le: 03-05-2012
De: Corse
Contributions: 1186
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
Il s'agit de l'hymne occitan, en version Française,que j'avais appris dans mon enfance :
" Tou louseu, Tou ou louseu,
Rougeu fleuuuur d'été
Tu rendrais ja lou seu
Touteu leees ci tés "
Tu reconnais la musique ?
Iktomi
Posté le: 24-05-2013 18:24  Mis à jour: 24-05-2013 18:24
Modérateur
Inscrit le: 11-01-2012
De: Rivière du mât
Contributions: 682
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
Bien qu'étant un homme du Nord (de la Loire) j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte, je trouve que c'est rassurant de savoir que le français langue d'oïl n'est pas passé partout comme un Attila linguistique.

Bravo et merci.
Loriane
Posté le: 25-05-2013 00:08  Mis à jour: 25-05-2013 00:08
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
Non, je ne connais pas, je ne connais que celui que j'ai mis "Se canta." Je vais essayer de voir sur Youtube si je trouve
Grenouille
Posté le: 10-06-2013 21:59  Mis à jour: 10-06-2013 21:59
Plume d'Or
Inscrit le: 22-01-2012
De: Alsace
Contributions: 317
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
Au début, je ne m'attendais pas à cette histoire si joliment contée, c'est toute une ambiance, toute une époque, un paysage..
une belle histoire que je ne regrette pas d'avoir lue; merci
Loriane
Posté le: 11-06-2013 00:09  Mis à jour: 11-06-2013 00:09
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Se canta, que canta, canta per ma mia
Hi hi hi hi hi hi
Voui le repos est une activité à part entière
Merci
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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