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Nouvelles : A chacun son dû
Publié par Salimbye le 13-10-2013 22:40:00 ( 897 lectures ) Articles du même auteur



A chacun son dû ( 1ère partie : suite )

C’était un homme d’une quarantaine d’années dont le corps était outrageusement défiguré par la misère. Très élancé, la peau parcheminée, le visage ridé, il souriait tout le temps en découvrant une bouche édentée. Il marchait pieds nus défiant les pierres et les épines qui jonchaient la piste.
Sans connaitre l’objet de la visite, il conduisit Hajja directement chez lui en lui souhaitant la bienvenue. La femme d’El Orch vint, à son tour, accueillir l’étrangère devant la porte et la fit entrer dans l’une des deux petites chambres qui formaient la maison. Les piliers de bois du plafond menaçaient de craquer d’un instant à l’autre. Elle étala une miteuse peau de mouton sur la natte sale et très usée qui couvrait le sol, l’invita à s’asseoir, puis elle partit préparer du thé.
Les trois ou quatre couvertures jetées dans un coin, l’obscurité qui commençait à couvrir les lieux laissaient planer une atmosphère de pauvreté et de malaise.
Après avoir bu le premier verre, Hajja se présenta :
« - Monsieur… », balbutia-t- elle.
« - El Orch, madame, et ma femme s’appelle Tahra »
« - Enchantée monsieur El Orch. Je m’appelle Hajja. Hajja Aicha ». Elle continua : « Avec cette sécheresse, il est devenu presque impossible de vivre par ici. Comment faites-vous pour supporter cette misère ? »
« - Vous avez tout à fait raison madame. Nous n’avons plus rien à faire ici. Comme beaucoup de mes voisins, j’envisage, moi aussi, de fuir ce bled où rôde la mort et d’aller me réfugier ailleurs. Je sais qu’il me sera presque impossible de trouver un travail ; mais je n’ai pas le choix. Ce qui me retient jusqu’à présent c’est ma femme qui veut que nos enfants partent avec nous. »
Hajja sauta sur l’occasion :
« - Vous avez des enfants ? Mais où sont-ils ?
« - J’en ai quatre : trois garçons et une fille. L’aîné est parti depuis quelques mois à Youssoufia, une petite ville qui se trouve à une vingtaine de kilomètres d’ici. Il ne sait rien faire, mais je suis sûr qu’il se débrouillera pour survivre. Quant aux deux autres garçons, ils travaillent en tant qu’apprentis chez un forgeron, à Jemâa Shim, un petit village à quinze kilomètres de notre tribu. Il ne me reste qu’une petite fille de dix ans. Elle s’appelle Mina. Elle est allée chercher de l’eau. Elle rentrera tout à l’heure ».
El Orch changea de sujet. Il parla des temps difficiles qu’il était en train de vivre. Il insista sur la misère de sa tribu, sur la sécheresse qui avait disséminé tout le bétail, sur le sort de son pays protégé et gouverné par ses propres voleurs. Il tenta de lui expliquer comment les citoyens se laissaient abuser par des arnaqueurs.
Voyant que le soleil allait bientôt se coucher, il proposa à Hajja de passer la nuit chez eux : Il faisait tard, et le bus qui revenait à la capitale ne passerait que le jour suivant.
La femme ne se fit pas prier et accepta l’invitation.
L’homme sortit pour attraper et tuer la dernière poule qui lui restait.
Après le diner, la citadine reprit la discussion :
« - Écoutez monsieur El Orch, je comprends votre situation difficile, mais à votre place, je réagirais autrement ».
L’homme resta muet. La grosse dame poursuivit :
« - Heureusement, Dieu vous a mis sur mon chemin et je vais certainement vous aider si vous écoutez mes conseils ».

Tout le monde se tut. Même la petite Mina qui ne faisait pas attention à la discussion, se retourna vers Hajja et la fixa des yeux.
El Orch était persuadé que les citadins savaient gérer les situations difficiles, mieux que les campagnards,.
La grosse dame continua :
« - Vous pouvez gagner une somme d’argent à la fin de chaque mois. Elle vous aidera certainement à subvenir à une bonne partie de vos besoins ».
Elle lui expliqua qu’elle connaissait une famille riche qui avait besoin d’une bonne, que le travail ne serait pas dur et que la petite serait traitée comme ses propres enfants. Elle ajouta que la famille en question était prête à l’engager pour une somme de deux cents dirhams par mois (l’équivalent de vingt Euros).
El Orch sourit. Deux cents dirhams par mois ! Il s’arracherait des griffes de la misère. Il ne quitterait plus sa campagne. Il achèterait des poules. Il vendrait des œufs. Plus tard, il aurait d’autres bêtes.
Sa femme, par contre, commença à pleurer silencieusement. Elle maudissait cette pauvreté qui s’acharnait contre elle et qui allait lui ravir son unique fille qu’elle aimait follement.
Elle aurait aimé dire à Hajja que rien ne pourrait la séparer de sa petite qui était en même temps son amie et sa confidente. Mais dans sa tribu, la femme n’avait aucun avis à donner ; surtout quand il s’agissait d’affaires. Elle se résigna donc et accepta sa défaite comme toujours.
Mina, elle non plus, ne voulait pas quitter sa maman, mais quand elle entendit Hajja dire qu’il s’agissait d’une famille riche et qu’elle allait être traitée comme un de ses propres enfants, elle commença à rêver. Elle se voyait déjà en train de jouer avec les enfants de ses patrons. Elle porterait des vêtements propres, elle aurait des chaussures neuves, elle mangerait à sa faim. La nuit, elle ne dormirait plus sur une natte usée, à même le sol.
Elle vivrait en ville !
Hajja tendit un billet de deux cents dirhams à son hôte en disant :
« - Ceci est une avance. Demain vous allez venir avec moi. Il faut que je vous montre ma maison afin que vous puissiez venir à la fin de chaque mois récupérer le salaire de votre fille. »
« - Entendu madame », conclut le père.
Les doigts tremblants, El Orch toucha pour la première fois de sa vie, un billet bleu de deux cents dirhams. Après l’avoir longuement contemplé en souriant, il le plia soigneusement et le fourra dans une petite poche au niveau de son cœur.

( à suivre )

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 14-10-2013 06:31  Mis à jour: 14-10-2013 06:31
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: A chacun son dû
Quelle histoire prenante. Cette petite pleine d'espoir, je pense qu'elle va vite déchanter. A 10ans, on est censée être à l'école mais la pauvreté est l'amie de l'ignorance.

A bientôt pour la suite ...
Loriane
Posté le: 16-10-2013 16:00  Mis à jour: 16-10-2013 16:00
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: A chacun son dû
Pauvre femme qui fait confiance à la justice !
Sous n'importe quel régime politique, c'est toujours une erreur, simplement parce que la justice est encore faite par des hommes;
Merci
aliv
Posté le: 16-10-2013 18:50  Mis à jour: 16-10-2013 18:50
Plume d'Argent
Inscrit le: 25-03-2013
De:
Contributions: 290
 Re: A chacun son dû
Une suite très prenante.
J'ai déjà de la peine pour la pauvre petite.
Je vais vite lire la suite.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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