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Nouvelles : Bangkok Boulevard
Publié par alexis17 le 26-04-2014 14:20:15 ( 1437 lectures ) Articles du même auteur



Bonjour, ce texte, même si totalement indépendant, reprend un contexte similaire à l'un de mes autres textes: Le Monde s'effondre.
J'espère qu'il vous plaira, sinon, dites moi pourquoi.
Alexis17


Des cris stridents et acérés émanaient inlassablement de la chambre adjacente, ne s’arrêtant qu’entre de brèves respirations, transperçant les murs plâtrés et les tympans horrifiés. Ces cris étaient insoutenables et Imogen avait dû s’asseoir dans un coin de la pièce, contre le lit, les mains sur ses oreilles, emmitouflée dans les draps plissés pour étouffer ces hurlements, en vain. Elle l’avait pourtant garrottée au lit mais la femme ne pouvait s’apaiser. « Ce n’est pas de ta faute si elle ne tient pas la route avec quelques amphétamines ; non, ce n’est pas ta faute. ». Imogen tanguaient d’avant en arrière, courbant son dos, repliant ses jambes, s’enfermant dans un balancement frénétique, s’isolant du monde, mais les cris transperçaient encore sa bulle oscillante et la poignardaient infatigablement.

Ivre d’une symphonie chaotique, Imogen enfila sa veste et se précipita au dehors, dans les rues saturées de Bangkok Boulevard. L’air était asphyxiant et les effluves aigres mais la foule tonnante couvrait enfin ces hurlements infernaux. Pourtant, assise sur le pavé crasseux, plongée sous les lumières criardes, encerclée par cette mélodie d’alcool, Imogen ne pouvait se libérer de ces vociférations éraillées dont les acerbes sonorités assaillaient son âme éplorée. L’image d’une silhouette beuglante, garrottée au lit et convulsant frénétiquement éreintait l’esprit d’Imogen en une vulgaire charpie de désespoir et de pleurs refoulés.

« Ce n’est pas ta faute si elle a voulu les prendre ces pilules ? C’est qui d’abord ? Ce n’est qu’un être humain dont tu peux te détacher en claquement de doigts, pensa-t-elle. ». Soudain, un talon s’enfonça dans son flanc, accablant lourdement sa tendre chair. Imogen releva la tête d’un geste vif, aperçut des bottes, des collants, une jupe, un corset, un manteau de fourrure et enfin s’arrêta sur ce visage carré à la barbe prononcée et aux yeux exorbités. « Eh, la demoiselle ! Bouge de là, tu fais fuir les clients, prononça la silhouette de sa voix grave ». Imogen déplia son corps élancé et se mit à remonter Bangkok Boulevard à la recherche d’un abri et de quoi lui faire oublier cette ombre aliénée aux braillements indomptés. « Demain matin, tout ira bien, se persuada Imogen. Oui, demain, tout ira bien ».

Égarée dans ce paradis artificiel, Imogen bifurquait de ruelles en boulevards mais retournait inlassablement sur Bangkok Boulevard et son aura mystique. Ce soir-là, les prostituées tapissaient les murs, adossées contre les gouttières, cigarettes au bec, elles attiraient le client de leurs longs décolletés et leurs courtes jupes. Leurs prunelles divaguaient sur les corps inassouvis et la foule affamée de chair se laissait captée d’un simple regard. Elles, ou ils, se mettaient en file et le client longeait la rue jusqu’à trouver une silhouette galbée capable d’assouvir ses désirs et ses vices.

Au fil de la nuit, les vapeurs opiacées s’épaississaient et transformaient Bangkok Boulevard en un large fumoir à ciel ouvert. « Tu veux de la cuisse ? Tu veux de la poitrine ? Toi, là, je te vois avec tes yeux de vicieux : tu veux la prendre par derrière ? Avoue-le ! Eh bien devine, cette jeune femme, elle se laisse faire pour à peine quelques billets ! Allez, reviens, j’ai les demoiselles les plus belles, les moins farouches et les moins chères de toute la rue, tu ne peux pas refuser cette chair à si bas prix ! Reviens ! ». Les crieurs étaient postés devant les chambres d’hôtels et présentaient leur marchandise encore imprégnée du parfum du dernier client. « Quel âge cette petite ? Seize ? Allez, je prends si tu me fais une petite ristourne. ». Toute la chair humaine se négociait ici : de la poule aux atouts d’or jusqu’aux ragondins aux moustaches fournies, tout se vendait et s’achetait.

Imogen, sachant que la nuit serait longue, décida de s’arrêter dans une étroite gargote dont les lumières tamisées l’abriteraient jusqu’au triste lendemain. Elle commanda une large chope de bière allemande et s’avachie contre sa maigre chaise, toisant de son œil absent les ombres de Bangkok Boulevard. En contrebas, une mince échoppe vendait cotillons et déguisements et Imogen s’amusait à deviner les futures apparences des clients. Une jeune femme décharnée ressortit en diablesse toute de cuir vêtue ; un binoclard rondouillard se métamorphosa en cowboy et son acolyte, un grand efflanqué, se grima en pirate éborgné ; les succubes défilaient par centaines, les séraphins par milliers, il y eu même un pingouin et deux tortues mais Imogen s’étonna de n’apercevoir aucun fantôme. « Quoiqu’il en soit, pensa-t-elle, ce magasin est la preuve, qu’en ce bas monde, les apparences ne sont qu’illusions, tout le monde se masque sous des déguisements, des faux-noms et des faux-cils. Pourtant, moi qui suis peut-être la moins maquillée de toutes ces silhouettes, je suis peut-être la plus malheureuse d’entre toutes au milieu de cette décharge d’intempérants. Peut-être que je devrais… ». Mais Imogen ne put finir sa phrase. Elle vida alors le fond de sa pinte et s’engagea de nouveau sur Bangkok Boulevard.


« Le monde s’effondre ! Le monde s’effondre et vous n’êtes qu’une bande d’inconscients ! Croyez-vous que le vice sera votre oubli ? Croyez-vous que profiter maintenant vous aidera à vous épargnez la souffrance de l’effondrement ! Pourquoi êtes-vous là ? Vous buvez, vous baisez, mais derrière ces illusions votre tristesse se dévoile à mes yeux ! Fuyez retrouver vos femmes et vos maris, embrassez vos enfants et cessez de vouloir oubliez ! Oublier est impossible, oublier n’est qu’illusion. ».

Plus la fin était proche et plus les crieurs pullulaient autour des tripots de Bangkok Boulevard. Mais, pour Imogen, ces hommes étaient les plus malheureux d’entre tous : avoir conscience c’est perdre son insouciance ; l’insouciance est une source de bonheur ! Pourquoi ne plus vouloir être jeune ? Etre enfant, se contenter de profiter du soleil et du chant des oiseaux. Mais Imogen aussi savait. Imogen essayait d’oublier cette silhouette hurlante, mais il était trop tard pour oublier. Bien trop tard.

« Regardes-les, eux, pensa Imogen. Tu étais comme eux. Oui, mais tu es allé trop loin. Tu écumais Macao Street, dévalais Bangkok Boulevard, allais de bar en comptoir, de bière en cocktails mais, ce soir, tu as tout perdu. Tu n’aurais pas dû lui filer ces amphétamines, tu le sais. Tu aurais dû… Tu as vu la souffrance et tu ne peux plus l’oublier. Bientôt nous souffrirons tout autant et le monde tombera dans le chaos éternel. Je voudrais redevenir une adolescente inconsciente, obnubilée par le détachement et la liberté. Je voudrais mais je suis devenue vieille fille avant l’heure ; je voudrais aimer et chérir sans penser à la perte de l’être cher ; je voudrais mais mon cœur n’est plus qu’un bloc de granite froid sur lequel se grave les cicatrices de la douleur. Oh, miroir, miroir qui est la plus triste d’entre toutes ? Oui, miroir, tu as raison, c’est bien moi. Moi, je sais. Moi, miroir, je meurs de mon savoir. Miroir, arrête de réfléchir car penser te mènera à ta perte. ».
Imogen haïssait son corps, haïssait son âme. En réalité, Imogen savait depuis bien longtemps mais elle se mentait à elle-même, s’était persuadée de son ignorance jusqu’à ce soir. Imogen enviait désormais ces idiots, ces tendres idiots ; Imogen voulait redevenir stupide, car stupide c’est libre. Mais Imogen savait et Imogen était enfermée dans son propre corps, sa prison de chair et de sang.


Imogen errait tristement sur l’amer béton, persuadée de n’être qu’une imperceptible démarche dissimulée par la foule, mais, au détour d’un carrefour, une douce voix se mit à la héler. « Eh ma jolie, tu n’as jamais été intéressée par les filles ? Pour toi, je te fais moins vingt pour-cent. Toi tu es une belle fille et pour les belles filles comme toi c’est moins cher. ». Cette voix, pourtant banale, envouta inexplicablement Imogen qui, en se retournant, découvrit un visage saillant mais fin, une femme au corps délicat et à la longue chevelure charbonneuse. Imogen s’approcha et se laissa prendre la main. « Sa peau est terriblement douce, pensa Imogen. ». Entrainée dans un sombre immeuble aux couloirs étriqués, Imogen longea les portes et dévala les escaliers jusqu’à une chambrette en sous-sol.
La pièce était oppressante : un lit, une table de chevet et une maigre cuisinette avaient peiné à s’encastrer mais l’on ne pouvait désormais marcher sans se heurter les orteils à un pied de meuble ou écraser une pile de vêtements chiffonnés. La lumière tamisée dissimulait partiellement l’entretien chaotique mais, étrangement, Imogen se sentait apaisée, comme lovée dans une étroite bulle protectrice, une cellule molletonnée et impénétrable.

« C’est quoi ton nom, demanda Imogen assise sur le lit. ». La jeune et étrange femme retira sa veste en cuir et la jeta sur l’accoudoir d’un vieux fauteuil en satin rouge, dévoilant une robe noire et moulante. L’obscur tissu étreignait sa poitrine, son bassin et sublimait son corps angélique. « Asia. Je m’appelle Asia. Mais, arrête de parler et laisse-toi faire. ». Asia s’assit à côté d’Imogen, colla ses cuisses contre les siennes et Imogen ne put s’empêcher de plonger dans son regard profond. Ses iris verdâtres étaient perçants mais Imogen discernait dans ce regard une certaine haine. Sur ce tendre visage, ses yeux apparaissaient comme des cicatrices, marques d’un amer passé. « Les yeux sont les portes de l’âme, médita Imogen. ».

Les lèvres d’Asia se rapprochèrent tendrement et Imogen ferma les yeux. Elle imagina la saveur de se baiser et spécula encore et encore sur le goût de son rouge à lèvres. Un frisson parcourut sa chair brûlante et la si délicate bouche d’Asia se déposa doucettement sur celle d’Imogen. Asia empoigna fermement sa cuisse droite et l’enlaça de son autre bras. Le suave baiser se transformait en une étreinte passionnelle, mais Imogen se sentait soudainement étouffée, oppressée et se leva subitement, repoussant d’un geste vif la prostituée.

« Non, je… Tiens, prends ton argent, je vais… Je ne peux pas… Tu étais très bien mais, je ne suis pas… Tu devrais… Je vais partir. ». Imogen se précipita hors de l’appartement et s’engouffra de nouveau dans Bangkok Boulevard.


Imogen haletait frénétiquement tandis que, dans une ultime course, elle arrivait à son hôtel. Elle traversa l’accueil, grimpa les escaliers quatre à quatre, ouvrit la chambre et se retrouva face à face avec la silhouette hurlante. Ses cris n’étaient plus que des plaintes nasillardes et ses convulsions s’étaient transformées en de brèves contractions. Allongée sur le lit, le poignet ensanglanté par la paire de menottes à fourrure rose, l’ombre ne prêtait pas attention à Imogen, statique devant le seuil. La silhouette tourna alors la tête. Au milieu de cette chevelure noire Imogen aperçut deux grands iris verdâtres, perçants, haineux.
« J’ai essayée de t’oublier ! J’ai erré inlassablement sur ce boulevard de misère mais tu revenais toujours à mon esprit. Lorsque je regardais toutes ces prostituées je ne voyais que toi, ton corps sculptural, tes mèches obscures et tes yeux d’émeraude ! Tu me hantes, mais pourquoi ? J’ai essayé de trouver une raison, mais parfois, dans ces cas-là, la raison est vaine. Je… Tu… Je t’aime ! Oui, je t’aime ! ».

Cependant, les yeux verdâtres de la silhouette semblaient terriblement absents et Imogen doutait que ses paroles fussent entendues.


Félicitation si vous êtes arrivé ici. Merci pour votre attention.
Si l'envie vous dit laissez un commentaire et je vous répondrai.
A bientôt.
Alexis17

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Auteur Commentaire en débat
maurizioB
Posté le: 27-04-2014 11:35  Mis à jour: 27-04-2014 11:36
Plume d'Argent
Inscrit le: 02-03-2014
De:
Contributions: 426
 Re: Bangkok Boulevard
Bonjour Alexis, haaaa toujours de la fumée, mais cette fois c'est l'opium. Toujours de belles femmes, qui déambulent dans les rues et dans les endroits sordides, toujours ces belles mais sauvages relations féminines.
Mais je vais te faire un aveu, lentement je prend plaisir à lire cette intrigue et j'aimerais bien suivre encore quelques péripéties de tes héroïnes et comment tous ceci vas t il se terminer
Encore merci et bravo
Amicalement, Maurizio
alexis17
Posté le: 27-04-2014 15:23  Mis à jour: 27-04-2014 15:23
Semi pro
Inscrit le: 16-04-2014
De: France, enfin, je crois
Contributions: 135
 Re: Bangkok Boulevard
Salut Maurizio, merci pour ton commentaire.
Justement, depuis peu de temps je me suis mis à essayer de faire naitre de nouvelles héroïnes dans ce monde qui s'effondre. Je pense cependant ne pas donner suite leurs histoires. Je pense que leur malheur, que ce court morceau de leur vie n'a pas besoin de suite. Je me suis cependant attaqué à une nouvelle histoire reprenant le même contexte, mais, une fois de plus, je pense me concentrer uniquement sur une nuit ou une journée. Je pense que ces courts moments représentent un instant de "grâce" (une atroce grâce) qui fait leur charme et je n'ose pas gâcher mon histoire en lui donnant une suite.
Merci encore pour ton commentaire.
Alexis17
maurizioB
Posté le: 28-04-2014 07:02  Mis à jour: 28-04-2014 07:02
Plume d'Argent
Inscrit le: 02-03-2014
De:
Contributions: 426
 Re: Bangkok Boulevard
Bonjour Alexis, garde bien ton style d'écriture, cela vas très bien et continue de nous emmener dans ces pays lointains
Amicalement, Maurizio
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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