C’est parce que Nicolas Flamel a voulu suivre la voie tracée par Arnaud de Villeneuve qu’il a lui aussi échoué. Je veux bien croire que le fait de s’être rendu en Espagne et avoir parlé avec Maitre Canches, fameux Savant Juif de son époque s’il en est, lui a permis d’aller plus loin que ses collègues. Mais de là à supposer qu’il a réussi à toucher du doigt l’Immortalité, il y a un gouffre que je ne franchirai pas. Lui non plus n’a pas détenu de Vasque et de Baphomet, d’après ce que je sais. Et tous ceux qui, comme Pasqually, Papus, Saint-Germain ou Cagliostro, sont persuadés qu’il a vaincu la mort, se trompent. Ce ne sont que des charlatans qui ont abusé les bonnes gens de leur époque.
- Alors, ai-je répliqué, comment expliquez-vous le témoignage de ces personnes qui affirment l’avoir croisé. Ce ne sont pas tous des affabulateurs. J’admets qu’ils ont exagéré les faits dont ils ont été les témoins. Mais leurs dépositions vont toutes dans le même sens. Sachant qu’ils ont vécu à plusieurs décennies de distance et qu’ils n’étaient pas au courant de ce a quoi avaient assisté les autres, il y a là quelque chose qui m’échappe.
- Je ne me l’explique pas non plus. Ce que je peux affirmer par contre, c’est que le Traité d’Abraham le Mage, puisque c’est cet ouvrage qui est, depuis tout à l’heure, au cœur de notre discussion, a effectivement été en possession de Bohémond de Terdieu. Il a fait partie des documents Cathares qu’Amiel, Hugo, et Boitevin ont transmis aux Templiers avant de se séparer. Bohémond de Terdieu et ses Frères l’ont effectivement emmené avec eux lorsqu’ils ont quitté la Commanderie de Belcaire. Mais aucun d’eux ne le détenait lorsque Bohémond de Terdieu a croisé la route d’Arnaud de Villeneuve.
Je ne suis donc pas d’accord avec vous quand vous suggérez que celui-ci l’a offert Nicolas Flamel, ou qu’il l’a revu une vingtaine d’années après pour lui dire d’entreprendre le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle afin d’entrer en contact avec Maitre Canches.
- Dans ce cas, si ce que vous dites est vrai, qui a remis ce traité à Nicolas Flamel ? Comment celui-ci a-t-il su qu’il lui fallait montrer certains des feuillets du Livre d’Abraham le Mage à Maitre Canches ? Pourquoi, dans ses Mémoires, n’a-t-il pas souligné le fait que les indices qu’il avait recueilli auprès de lui étaient inefficaces. Comment aurait t’il pu deviner, lui qui ne possédait ni Baphomet ni Vasques, que toute expérimentation Alchimique sans eux était improductive ? Cela aurait évité aux Alchimistes lui ayant succédé dans cette Quête du Grand Œuvre, de commettre les mêmes erreurs. Je suis persuadé que s’il n’a rien marqué à ce sujet, c’est qu’il ne désirait pas le partager avec d’autres.
- C’est votre avis. Ce n’est pas le mien, a répliqué Aÿcart. D’ailleurs, je vous rappelle que mon domaine de compétence ne s’étend pas au-delà des dernières heures de l’Ordre du Temple. Je ne suis pas un spécialiste de l’Alchimie ou de la Kabbale. L’expert, ce serait plutôt vous, Vÿrgile ! ».
Évidemment, je n’ai pas révélé à mon invité que j’étais le détenteur d’une Vasque dénommée « Reliquaire ». Que celle-ci a été fabriquée à partir d’informations surgies d’on ne sait où vers 1760 par Martinez de Pasqually et de Guilhem Van Haguen ; dont le pseudonyme est Yliath le Nécromant. Je ne me suis pas exprimé sur le fait qu’ils ont manipulé celle-ci dans le but de percer les Secrets du Grand Œuvre. Je ne lui ai pas spécifié que, l’un comme l’autre auraient été à l’origine d’une secte ayant pour titre « les Vrais Chevaliers Maçons Élus ». Je ne lui ai pas avoué que cette Communauté a étendu son influence dans tout le Languedoc entre 1760 et 1780 pour mettre au jour des documents Alchimiques inédits destinés à les aider.
Comment aurai-je pu lui confier que, si je m’intéressais tant aux tenants et aux aboutissants de tous ces mystères, c’est que l’habitation de Nicolas Flamel située rue de la Ferronnerie, se trouve non loin de l’immeuble où je loge ? Comment aurai-je pu admettre devant lui que l’un des Disciples Pasqually et d’Yliath le Nécromant, Gaétan Viguier, a participé en compagnie de Cagliostro à plusieurs réunions Maçonniques dans la crypte jouxtant les caves du 42 rue des Anciennes Loges ? De quelle façon aurais-je pu lui démontrer, sans le terroriser plus qu’il ne l’avait été en apercevant le Baphomet trônant dans un angle de mon bureau, que mes investigations étaient nécessaires pour répondre à ces questions. Comment aurais-je pu le rassurer sur le fait que mes recherches sont purement spéculatives et intellectuelles. Ou comment aurai-je pu lui démontrer que mon désir n’est pas de découvrir le Secret du Grand Œuvre ou de la Pierre Philosophale ?