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Accueil >> xnews >> Le Mystère de la Chambre close (Suite) "Je ne suis pas tranquille" - Nouvelles confirmées - Textes
Nouvelles confirmées : Le Mystère de la Chambre close (Suite) "Je ne suis pas tranquille"
Publié par EXEM le 17-02-2015 03:03:28 ( 981 lectures ) Articles du même auteur




HUIT

Je ne suis pas tranquille


La chambre où m’a conduit Étienne n’est pas très spacieuse. Le Baron m’en avait averti. Le lit d’une place est confortable, et dans quelque position que l’on y soit, on peut contempler le portrait d’un personnage inconnu- probablement ancêtre du Baron-, posant dans un costume imposant. La table de nuit est placée commodément à longueur de bras. Et, un peu plus loin contre la même cloison, une commode offre de larges et profonds tiroirs, pratiques pour y ranger ses chemises et son linge de corps en vue d’un long séjour à ‘la Simonière’. Pour les autres vêtements, une armoire à glace bien agencée, se trouve contre le mur faisant angle droit avec celui de la commode.
Pour ma part, je ne suis ici que de passage. J’éteins donc le plafonnier, allume la lampe de chevet, et vais directement m’allonger sur le lit sans prendre la peine de me glisser dans les pyjamas que m’a laissés Étienne. Je ne suis pas tranquille.
Je contemple autour de moi, les ombres et les pâles lumières que réfléchissent entre eux, le miroir du dessus de la commode et la glace de l’armoire. Dans mon cerveau s’agitent mes propres réflexions, tournant autour de la « lettre bleue », cette mystérieuse lettre que chacune des personnes présentes ce soir à la table du dîner pourrait avoir écrite. Pour quelle raison ? Je n’en sais encore rien. Mais je le saurai. Pour l’instant, il s’agit de voir passer cette nuit sans que rien n’arrive au Baron. Jusqu’à présent, l’auteur de la lettre anonyme ne semble pas avoir mis à exécution ses menaces. Tout est calme. Je consulte ma montre. Une heure du matin. Je ne suis pas tranquille.
Peut-être devrais-je vérifier si le Baron n’a pas d’ennuis. J’hésite. Les portes de nos chambres ne sont séparées que par le long palier, et je crains de regretter plus tard d’avoir négligé de le traverser. Et puis, je ne suis pas tranquille.
Je saute du lit. Sans perdre une seconde, je me retrouve dans le couloir. Sur le sol, le long tapis étouffe le bruit de mes pas. Je marche sans me hâter. L’oreille tendue, j’avance, tâchant de ne point donner à ma présence une allure trop insolite. Au milieu du couloir, contre le mur à ma droite, se trouve un fauteuil à haut dossier de velours rouge orné de gros clous en cuivre blond, à têtes semi-sphériques. Arrivé au niveau de ce meuble d’époque, je suis en mesure de voir en détails la porte de la chambre du Baron. Le battant possède la solide épaisseur de celle d’une porte de prison. Ce détail m’intrigue. Pourquoi le baron s’enferme-t-il le soir dans une chambre si bien protégée. Craignait-il déjà quelque chose depuis longtemps ? La ‘lettre bleue’ n’est qu’une affaire récente, et la porte est ancienne. Je suis de plus en plus étonné. Pourtant, si je suis intrigué, je suis également rassuré. Au moins, derrière cette porte, le baron est en sureté. La serrure me parait être adéquate, et capable de résister dans le cas d’un coup dur.
Je passe donc le fauteuil du corridor, et me rapproche de la chambre, décidé, au risque de déranger le Baron, de vérifier que tout est en ordre. Arrivé à un pas de la porte, la main déjà presque tendue pour y porter un léger coup, mon cœur saute dans ma poitrine ! Je viens de voir la poignée se mouvoir ‘toute seule’. Elle tourne imperceptiblement, comme si un être invisible l’actionnait sous mes yeux écarquillés. La respiration interrompue par la surprise, mais prêt à réagir à tout instant, j’attends sans faire de bruit. J’attends que toutes ces secondes inutiles tombent et disparaissent dans le silence, faisant place à la réalité qui va suivre. Bientôt, le mouvement giratoire du bec-de-cane cesse. La porte tourne sur ses gonds. Un parfum de femme flotte dans l’air. Un parfum mûrit par le temps, un parfum qui a mis vingt ans à se transformer en une odeur que je reconnais. Une odeur musquée qui touche l’âme et réveille les désirs. La baronne Simone de Valfort fait son apparition.
Sous le pâle rayon de lumière qui tombe en biais sur elle, et en dépit de la fatigue qui tire les traits de son visage, je la vois encore plus belle. La nuit lui va bien. Nous sommes tous deux, surpris de nous y rencontrer face à face. A cette heure tardive, après une journée orageuse, nous aurions dû déjà nous trouver séparés par les portes du sommeil, plutôt que nous retrouver devant celle du Baron.
« Veuillez me pardonner, Madame, lui dis-je, si je vous ai fait peur.
-Juste sursauter. Ce n’est pas grave. Je suis un peu nerveuse en ce moment. Mais ! Vous n’êtes donc pas encore couché, monsieur Morsirisse ?
-J’étais venu m’assurer que Monsieur de Valfort est bien en sûreté dans sa chambre. »
La Baronne ne me répond pas tout de suite. Je me demande si j’ai été maladroit. De toute évidence le Baron se porte bien puisque son épouse sort de sa chambre, la mine satisfaite.
« Rassurez-vous, me dit-elle enfin, il va bien, et vous pouvez aller vous-même, vous reposer. Ou peut-être préféreriez-vous prendre un verre de cognac avant de vous mettre au lit ? »
La mention du mot ‘lit’ me trouble, et pour dignement éviter d’en reparler, j’accepte précipitamment l’offre de prendre un cognac. Nous retournons donc au petit salon qui est maintenant vide. Afin de ne pas déranger Étienne ou plutôt d’éviter d’être dérangé par lui, je fais le service moi-même.
« Madame la Baronne, lui dis-je en m’asseyant en face d’elle, si je puis me permettre, j’aimerais pouvoir vous poser une question. »
Elle me regarde en silence, mais je lis dans son regard qu’elle consent, sinon à me répondre, du moins à me laisser poser la question.
« J’ai remarqué que la porte de la chambre du Baron est d’une épaisseur qui ‘jure’ avec celle des autres portes. A-t-il des raisons de vouloir ainsi se barricader ?
-En effet. Mais ses raisons ne sont pas de celles que vous imaginez.
-J’avoue que, je suis à court d’imagination.
-C’est très simple, monsieur Morsirisse. Armand souffre d’‘hyperesthésie auditive’. Un terme médical qui signifie qu'il est exagérément, et anormalement sensible au bruit. Voyez-vous, cette porte n’est pas seulement épaisse mais renforcée à l’intérieur par un isolant. Il a aussi fait insonoriser les murs. Sa chambre est ainsi à l’abri de tout son. C’est une cave de silence. Une tombe. Un tombeau. Son lit est un cercueil.
- Je suis désolé. Ce n’est pas une morbide curiosité qui m’a fait vous pousser à me révéler la maladie de votre mari. Je ne désire que sa protection.
- Ne vous excusez pas. Ce n’est un secret pour personne. Comme vous l’avez si bien dit, mon mari se barricade chaque nuit, mais ce n’est pas contre un ennemi humain, sinon contre ce mal étrange qui vient l’attaquer le soir.
-Votre mari souffre-t-il d’une maladie de cœur ?
-Pourquoi me demandez-vous cela ? »
Je suis moi-même surpris d’avoir laissé échapper une telle question qui n’a rien à voir avec l’ ‘hyperesthésie auditive’ qui le fait souffrir. Je suppose qu’inconsciemment je désire toujours m’expliquer son ‘geste’, celui que j’ai surpris à la table. Cette main qu’il a portée à son cœur quand Dame Chaboix a questionné Juliette, ne m’a pas quitté l’esprit. Je me sens un peu ‘attrapé’.
« Pour rien, lui dis-je. Rien du tout. »
Elle me regarde étonnée, non pas par ma réponse, mais surprise de ma conduite. Ses gestes m’indiquent qu’elle se sent mal à l’aise. Elle recommence à lisser le pan de sa robe, me laissant de nouveau admirer sous le tissu qui s’étire, les détails de la ‘soie’ qu’il recouvre. Elle finit par retrouver son noble calme.
« Comme vous pouvez vous en douter, monsieur Morsirisse, il m’est pénible de parler de la santé de mon mari. Tout ce que je peux vous dire c’est que la maladie qui l’affecte est d’origine nerveuse. Quant à son cœur, je vous affirme qu’il est en parfait état.
-J’en suis sûr, Madame. Pardonnez-moi. Faites-moi confiance, tout va s’arranger. Jusqu’à présent, la ‘lettre bleue’ semble n’avoir pas eu de suites fâcheuses. Demain nous serons fixés définitivement. »
La Baronne se lève brusquement, m’obligeant à me mettre si vite sur pied que je trébuche presque sur ma canne que j’avais placée à mon côté et qui, je ne sais comment, a glissé entre mes jambes. Je retrouve heureusement mon équilibre, juste à temps pour prendre la main qu’elle me tend, ne sachant pas vraiment si le dessein de son geste est de me secourir, ou de me congédier poliment. Quoi qu’il en soit, la baronne ne laisse rien voir de ce qu’elle ressent devant ma maladresse. Lui parait-elle comique ou tragique ? Elle emportera ce soir son secret avec elle jusque dans ses rêves les plus intimes.
« Bonsoir Madame, lui dis-je. Permettez-moi de vous souhaiter un bon repos.
-Merci monsieur Morsirisse. Ne montez-vous donc pas dans votre chambre ?
-Avec votre permission, je vais demeurer un moment encore ici.
- Comme vous voudrez. »
Dans un doux bruissement de satins et de dentelles, elle se prépare à quitter le salon.
« Pardon ! Madame la Baronne. Encore un détail, lui dis-je. Je ne vous ai pas vue fermer la porte de la chambre du Baron après en être sortie ? Ne pensez-vous pas qu’il serait plus sage de la tenir fermée à clef ?
-Ce serait plus sage, en effet. Mais mon mari s’y oppose. »
Avant que j’aie pu lui en demander la raison, elle sort du salon, la tête haute comme un juge qui vient de rendre sa justice. Je retombe dans mon fauteuil. J’ignore vraiment ce qui pousse le Baron à ne pas tenir sa porte bouclée, mais je peux facilement l’imaginer. Si, comme me l’a dit son épouse, son lit ‘est un cercueil’, il ne désire tout de même pas y être enterré vivant ! Je pense néanmoins, qu’il devrait faire ce soir une exception. Je ne suis pas tranquille
Je me lève en m’appuyant sur ma canne. Je commence à ressentir la fatigue de la journée. Il me faut pourtant monter voir le Baron. S’il ne dort pas, je pourrais peut-être le convaincre de changer d’avis. Je dois agir vite. Une fois de plus, je grimpe les escaliers, et, une fois de plus je vais jusqu’à la chambre du Baron de Valfort. Je n’aurai qu’à entrouvrir la porte sans faire de bruit, afin de m’assurer sans déranger personne, que tout est normal à l’intérieur. Mais à peine ai-je mis la main sur la poignée, que je réalise que j’en suis encore pour mes frais. La serrure est bouclée. Je demeure sur le pas de la porte fermée, complètement bafoué, tâchant de comprendre ce qui s’est passé. Qui a donc actionné la serrure ? Est-ce la Baronne, en montrant se coucher ? Est-ce son époux qui a changé d’avis, et a sagement décidé de se barricader pour la nuit ? Il m’est difficile de le deviner. Sans hésiter, je colle l’œil au trou de la serrure, mais je n’y vois que des ombres indéchiffrables. J’y colle l’oreille, mais je n’y capte que des sons vagues et étouffés. Je suis prêt à abandonner, et retourner dans ma chambre. Mais, je ne suis pas tranquille.
Je dois m’assurer que le Baron va bien. Je ne peux prendre aucun risque. Tant pis, si je le réveille ! Maintenant, que je ne désire plus savoir s’il va bien, mais… s’il est vivant !
Je frappe à la porte. Aussitôt la voix du Baron se fait entendre au travers de toutes ses fortifications contre le bruit.
« Oui ! Qui est là ? »
Je n’en crois pas mes oreilles. Je suis enfin rassuré. Je lance, la bouche près du chambranle, pour me faire entendre sans trop crier:
« C’est Morsirisse ! Morsirisse, monsieur le Baron. Je voulais savoir si tout va bien.
-Oui. Oui. Merci. Tout est en ordre. »
Je continue de l’interroger, non pas pour lui poser des questions mais pour le faire parler ; juste une façon de vérifier au travers de sa voix s’il va bien. La voix dit bien des choses.
« Baron ! Vous n’avez besoin de rien ?
-Non. Merci. Vous êtes bien aimable.
-J’espère que je ne vous ai pas dérangé.
- Non.
-Alors, je vous laisse. Bonne nuit, Baron.
-Bonne nuit. À demain, Morsirisse.
- À demain, Baron. »
Je retourne dans ma chambre. Je m’allonge sur le lit. Je suis enfin rassuré, mais sincèrement ! Je ne suis pas tranquille.


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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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