| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Accueil >> xnews >> Étoile froide - Nouvelles confirmées - Textes
Nouvelles confirmées : Étoile froide
Publié par Donaldo75 le 09-07-2015 08:51:28 ( 820 lectures ) Articles du même auteur



Étoile froide


Eugène passa une journée difficile, perturbée par un énorme mal de crâne. Coutumier des migraines, il arrivait généralement à les contenir, à en minimiser les effets. Pourtant, cette fois-là, il en fut incapable. Sa souffrance dura quinze heures, du lever matinal au coucher, sans discontinuer.
— Va voir un médecin, lui avait dit Véra, sa collègue de travail au service comptabilité.
— Si ça persiste, je le ferai.
— Rentre chez toi, Eugène. C’est mieux ainsi.
— Non. Le chef comptable va me tuer si je quitte le bureau en pleine clôture mensuelle.
— Il s’agit quand même de ta santé.
— Je gère. Merci de t’inquiéter pour moi, Véra.

Eugène avait besoin de sa tête pour aligner des chiffres dans des colonnes et des lignes d’un ensemble de tableaux. Plus encore, il devait se concentrer pour en extraire la substance essentielle sous forme d’indicateurs de gestion, de soldes intermédiaires. Enfin, il était censé recouper ces informations avec les documents légaux, assurer que la somme des horizontaux équivalait à celle des verticaux. Travailler dans ces conditions, avec un marteau piqueur entre les oreilles, ne ressemblait pas à l’idéal du gestionnaire, loin de là. Pragmatique, Eugène avait souffert en silence et accompli sa mission de responsable de la consolidation de l’entreprise Pollentier.

Eugène termina son dîner par un cocktail chimique. Il avait couplé des antalgiques et des anti-inflammatoires, arrosé d’une bonne dose de verveine, dans le but ultime de pouvoir dormir sans entendre un bruit de perceuse venu du fin fond de son cortex cérébral.

L’étoile, bleue et froide, apparut sur le fond de l’écran. Eugène regarda à gauche puis à droite, à la recherche d’une explication, d’une assistance. Autour de lui, il n’y avait rien d’autre que des points lumineux, des figures géométriques et des tuyaux métalliques. La pièce ne contenait aucun siège, pas de table ou d’objet familier. De l’espace, uniquement.
— Notre matrice va mourir, déclara une voix aérienne, venant de partout et nulle part à la fois.
— Pourquoi ? Elle parait en pleine forme, immense et flamboyante.
— Détrompe-toi, Eugène. Elle brule de ses derniers feux. Déjà, elle a consommé son hydrogène. Bientôt, elle sera à court d’hélium et devra s’attaquer au carbone.
— Est-ce grave ?
— Fatal !
— Que va-t-il arriver ensuite ?
— Elle explosera.
— Nous serons loin d’ici, j’espère.
— C’est déjà le cas, Eugène. Nous sommes partis il y a longtemps.

L’étoile disparut de l’écran. A sa place, Eugène admira une petite sphère bleue. Il reconnut la Terre, berceau de l’Humanité, le monde où il était né. Sans savoir pourquoi, il en avait toujours trouvé la vue fascinante, depuis sa plus tendre enfance. Ses parents avaient encouragé son goût pour l’astronomie au point de lui offrir des livres sur les planètes, des manuels de cosmologie et des stages à l’observatoire local. Une carrière d’astrophysicien s’était alors offerte à lui, facilitée par ses capacités au-dessus de la norme dans les matières scientifiques. Malheureusement, le destin en avait décidé autrement et il s’était retrouvé enfermé dans une filière économique, plus dans la ligne du parti au pouvoir et de l’idéologie du moment. Ses rêves d’astrophysique avaient laissé place à la réalité d’une société occupée à survivre, à nourrir ses quatorze milliards de citoyens, à gérer ses ressources naturelles et à prier le ciel de ne pas s’éteindre dans le bruit et la fureur d’une crise financière.

Une nouvelle image apparut. Eugène aperçut des vallées et des chemins, des arbres fruitiers et des jardins fleuris. La nature s’offrit à sa vue dans toute sa splendeur. Eugène se surprit à en apprécier les couleurs, à reconnaître certains végétaux alors qu’ils n’existaient plus sur Terre depuis des années.

La pièce changea d’aspect et d’odeur. Les structures métalliques, les points lumineux et les figures géométriques laissèrent place à des plantes grimpantes, à des papillons multicolores et à des fleurs parfumées. L’air ambiant devint humide. Eugène aspira des gouttes d’une atmosphère inconnue, d’un nectar gazeux sublimé en essence.
— Aimes-tu cette sensation, Eugène ?
— Elle est agréable.
— A quoi te fait-elle penser ?
— Je vais dire une bêtise.
— Ce n’est pas grave.
— A ma naissance. C’est idiot, je sais. Comment pourrais-je me souvenir de mon premier jour ?
— Continue !
— J’ai l’impression de me rappeler des derniers instants dans le ventre de ma mère, avant d’ouvrir les yeux et de découvrir le monde.
— Est-ce bon, Eugène ?
— Oui. C’est formidable.

Eugène devint euphorique. Sa raison ne commandait pas à son intuition. Au contraire, elle lui ouvrait de nouvelles portes, une perception différente. En temps normal, sa conscience aurait du le ramener à la triste réalité, lui remettre en tête des faits et des chiffres, ceux de la procréation in-vitro et des mois passés en couveuse. Eugène, comme tous les enfants de sa génération et des précédentes, était né dans un tube à essais, loin de l’utérus maternel. Un ordinateur géant avait géré sa croissance, synthétisé des hormones, régulé un simulacre de liquide amniotique, implanté des concepts dans son cerveau naissant. Eugène avait été programmé par un logiciel sans failles, loin des notions de père et de mère, à l’abri des passions parentales.

Eugène sentit un contact sur son bras. Un magnifique papillon aux ailes rouges s’était posé sur sa peau et semblait apprécier la compagnie du jeune homme. Les deux communiaient avec la nature, l’espace et le temps. Plus rien n’avait d’importance. Le rationnel, le cartésien, s’effaçait devant le vivant.
— Te souviens-tu maintenant, Eugène ?
— Il me semble. Je vois des volcans, des montagnes et des océans. Je sens les effluves du vent marin, les fragrances des champs de tournesol et la moiteur tropicale. J’entends le bruissement des feuilles sur les branches, l’agitation frénétique des fourmis et des pucerons, le cri de la forêt.
— Veux-tu aller plus loin dans les souvenirs ?
— Tant que je ne revis pas la longue agonie de la Terre, la pollution, les guerres, bref les nombreuses maladies infligées par les hommes à leur planète.
— Je ne t’infligerai pas une version sensitive de ton présent, Eugène. L’avoir vécu te suffit.
— Merci.

L’écran afficha une nouvelle étoile, chaude, orange et tumultueuse. Eugène recula, de peur de se brûler. Ses pieds foulèrent un sol mouvant, une sorte de lave tiède, de magma en refroidissement. Le jeune homme regarda autour de lui. La nature avait entièrement disparu. A la place, se dressaient des rochers en fusion, des geysers et des nuages pleins de foudre. La pièce était devenue immense, presque infinie.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est avant le passé. Les origines.
— Les débuts de la Terre ? J’avais lu des chapitres sur la formation des planètes mais jamais je n’aurais imaginé un tel déferlement de fureur.
— Naitre est un acte violent, Eugène, même pour une planète ou une étoile.
— C’est beau !
— Si tu veux.

La chaleur baissa d’intensité. Eugène essaya de bouger mais ses pieds avaient fusionné avec le sol, comme les racines d’un arbre dans les profondeurs terrestres. Le paysage restait chaotique, mêlant gaz et liquide, éclairs et séismes, jour et nuit. Eugène frissonna.
— Comprends-tu, Eugène ?
— Je crois. Tu me fais renaître.
— C’est une interprétation bien humaine.
— Je n’en ai pas d’autre.
— Je ne t’en demande pas.
— Vais-je me réveiller ?
— Est-ce ton souhait ?
— Non.
— Pourquoi, Eugène ?

La question semblait puérile. En temps normal, Eugène aurait du dire oui sans réfléchir. Son éducation, ses repères sociaux, tout le poussait à survivre, à dépasser la matière en créant une autre matière, à opposer le fer au feu, le béton à l’eau. L’être humain était devenu un seigneur, confiné dans un espace sphérique par des lois physiques et des croyances religieuses. Il avait domestiqué les autres espèces, dominé les éléments, détruit les ennemis invisibles et redressé les esprits rebelles. L’homo sapiens était allé tellement loin dans la connaissance de son monde qu’il avait décidé de ne pas voyager dans l’espace, un effort inutile au regard des produits attendus si l’on écoutait les discours politiques. En fait, selon Eugène, du moins dans les franges de son subconscient, le civilisé se voyait en roi sur son globe et ne voulait pas redevenir simple sujet dans un royaume inconnu.
— Je n’ai rien à regretter, aucun parent à pleurer.
— Même pas ta collègue Véra ?
— Elle survivra.
— Connais-tu la suite ?
— Non. Je suis bien ainsi, à me mêler au magma.
— Pourtant, tu as vu l’étoile bleue.
— Oui. Elle dévore son hélium.
— Plus maintenant. Désormais, elle consomme du carbone et bientôt elle aura besoin d’oxygène pour son cœur de fer.
— Déjà ?
— Le temps est relatif comparé à l’esprit.
— Qu’importe ! Si l’étoile bleue doit manger mon carbone et avaler mon oxygène pour survivre, je suis prêt. J’en ai vu assez, il me semble.
— Ton sacrifice est inutile, Eugène. Elle explosera, une fois que son noyau s’effondrera. Une étoile n’a pas de cœur. C’est une vue de l’esprit de la voir en mère nourricière. Elle est alpha, tu es lambda.
— Amen !

Eugène ferma les yeux. Se réveiller n’était pas à l’ordre du jour, ni de la nuit. Né dans une alchimie génétique, fruit d’un programme de civilisation, il avait accompli sa tâche sans jamais défaillir, telle la fourmi laborieuse dédiée à la seule fourmilière mais condamnée à mourir de fatigue. Il pensa à son mal de tête, au bruit de la perceuse enfoncée dans son crâne. Eugène sourit en constatant la fin de sa migraine. Il sentit un liquide couler le long de ses oreilles et de ses narines, comme une petite rivière cherchant à se jeter dans la mer. Une douce saveur sucrée envahit son palais. Elle lui rappela son enfance, quand il léchait sa blessure après s’être coupé. Eugène se laissa aller à cette dernière image, loin de l’étoile froide, de la voix dans sa tête et de la sacro-sainte logique.

Article précédent Article suivant Imprimer Transmettre cet article à un(e) ami(e) Générer un PDF à partir de cet article
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
56 Personne(s) en ligne (17 Personne(s) connectée(s) sur Textes)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 56

Plus ...