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Nouvelles confirmées : Défilé gothique
Publié par Donaldo75 le 17-04-2016 19:52:45 ( 873 lectures ) Articles du même auteur



Défilé gothique


La musique électronique fusait de toutes parts, entre les pistes de danse, dans les alcôves, jusqu’aux toilettes. « Impossible d’échapper à cette cacophonie synthétique » pensa Malcolm. Les nostalgiques de la Nouvelle Vague, des années quatre-vingt et des postures alambiquées commençaient sérieusement à lui monter au nez. Eviter les quinquagénaires déguisées en Siouxsie Sioux, écarter les clones fatigués de Adam Ant, refuser les invitations à peine voilées formulées par des Marc Almond du pauvre, le tout dans un décor de crypte, entre gothique et précieux, ressemblait au parcours du combattant. Malcolm remercia le Seigneur de n’avoir pas connu l’époque où Depeche Mode rythmait les discothèques, quand le rock’n roll mourrait lentement sous les solos de guitares d’Angus Young et consorts, quand les critiques d’art ne juraient que par les synthétiseurs et le multicolore à tendance morbide.

Une sorcière aux cheveux rouges se posta en face de lui. Malcolm réprima un haut le cœur et tenta son meilleur sourire.
— Alors, beau ténébreux, qu’est-ce qui t’amène ici ?
— Mon métier, je crois.
— Tu es mannequin ?
— Oui !
— Tu viens pour le défilé de Norma Mac Guffin ?
— C’est ça !
— Dis donc, tu n’es pas très bavard. Tu t’ennuies avec moi ?

Malcolm hésita à lui répondre vertement, à lui expliquer pourquoi les grands-mères habillées en stars du post-punk ne le faisaient pas rêver. Sa bonne éducation ou un soupçon de charité chrétienne lui inspira une réponse diplomatique.
— Je suis timide, voilà tout.
— Curieux quand on est autant gâté par la nature. Décontracte-toi, mon grand, ici c’est le royaume de la fête, du champagne et du glamour.
— Pour moi, c’est juste un job.
— Viens avec moi, je vais te mettre à l’aise.
— Plus tard, peut-être.
— Je ne suis pas à ton goût ? Tu préfères les hommes ?
— Ni l’un ni l’autre. Je suis venu travailler, ce qui exclut la bagatelle.
— Tu vas t’en mordre les doigts, crois moi mon chou.
— Je sais. Une prochaine fois.
— Tu as un prénom ? Moi, c’est Madeleine.
— Je n’ai qu’un numéro de série. C’est long à épeler.
— Tu déconnes ?
— Non. Demande à Norma Mac Guffin.

Malcolm regarda Mamie Gothique. Visiblement, elle gobait son histoire. Le jeune homme en profita pour s’éclipser et se dirigea vers la grotte principale, le lieu des festivités. Il regretta de ne pas avoir avalé une pilule magique, un élixir chimique supposé transformer le spectacle des vieilles chouettes en carnaval coloré. Pour sa première sortie à l’eau claire, il avait choisi l’endroit idéal, un mélange d’Halloween pour séniles et de relooking extrême. Arrivé au pied du podium, il avisa une brunette de son âge, parée de l’uniforme propre aux relations publiques.
— C’est ici que je dois défiler ?
— Vue ta dégaine, je suppose que oui. Ton nom ?
— Malcolm. Et toi ?
— Megan. Tu as survécu à la drague des années quatre-vingt, Malcolm ?
— Je crois.
— C’est un bon début. Maintenant, le gros morceau consiste à te changer, à mettre des frusques d’un autre temps puis à montrer tes jolies petites fesses en marchant sur le tapis pourpre.
— J’ai l’habitude.
— Je te préviens, tu risques d’halluciner quand tu verras ta parure. A croire que le thème est le monde des corbeaux, et le parrain Stephen King.
— J’ai vu pire.
— Attends de voir.

Malcolm dévisagea Megan. Il se demanda pourquoi il avait accepté ce défilé. Norma Mac Guffin traînait une mauvaise réputation, mais elle payait bien, du moins selon les agences. On lui attribuait des pratiques satanistes, une tendance prononcée pour les orgies sexuelles et les trips à l’acide. Malcolm ne prêtait pas attention aux rumeurs, tant qu’il touchait le jackpot. Pour cette raison, et aussi parce qu’il était fatigué des cachets de misère, il n’avait pas su résister à l’offre alléchante. « Dix mille livres pour deux heures à tordre du cul, c’est inespéré » lui avait seriné son agent, le sémillant Gordon.

Malcolm suivit Megan jusqu’à la loge. Il trouva des mannequins affairés à se travestir en Néo-Romantiques, à enfiler des costumes à pourpoint et des chemises de dentelle. Son sixième sens lui souffla une alerte mais il choisit de l’ignorer. La séance d’habillage se déroula en mode automatique. Malcolm ne discuta pas avec ses pairs et personne ne chercha à établir un semblant de contact. Les habilleuses soufflaient leurs consignes comme dans une pièce de théâtre où de belles femmes et de beaux hommes servaient de décor à un spectacle de cigales fatiguées. Malcolm ne jugea pas les vêtements qu’on lui demandait de porter. A l’instar de ses compagnons porte-manteaux, il s’exécuta sans rechigner.

L’heure du défilé sonna sous la forme d’une annonce musicale, un vieux tube de l’Ecossaise Annie Lennox. Norma Mac Guffin apparut dans un nuage magnétique, plus déjantée que dans sa légende, vêtue comme une baronne de l’ère victorienne, montée sur échasses. Malcolm scruta les autres mannequins. Aucun ne réagissait au grotesque de la situation. La cause semblait entendue pour ces forçats du mannequinat, habitués aux soirées ubuesques et aux délires mégalomaniaques de la haute couture londonienne. Norma Mac Guffin se lança dans un discours incompréhensible, un mélange d’incantations religieuses et d’autosatisfaction surchargée. L’assistance applaudit à tout rompre chacune de ses phrases, dans un tempo frénétique. L’éclairage passa du pourpre au bleu foncé, des teintes peu rassurantes pour le commun des mortels mais déjà mille fois vues par les mannequins blasés. L’ambiance devint électrique et froide. L’air se muta en plasma. La musique siffla.

Malcolm avança sur le podium, en troisième position. Comme demandé par les habilleuses, il ne sourit pas, força sur le regard ténébreux et marcha de manière chaloupée. Le défilé suivit la routine classique, entre changements de parure, maquillage et dernières retouches. La mélodie électronique, rythmée par les percussions synthétiques, accentua l’impression d’artifice et de plaqué toc. A la quatrième rotation, Malcolm remarqua une rupture dans l’ordre de marche. La fille devant lui avait disparu sans qu’il s’en aperçoive. Malcolm se retourna. A son grand étonnement, il constata qu’il n’y avait plus que six mannequins, uniquement des hommes, au lieu des quinze de départ. Toutes les femmes manquaient à l’appel. Malcolm regarda l’assistance. Il vit des ombres, à l’apparence féminine, s’agiter en une danse frénétique et jeter des bouts de tissu au dessus de leurs têtes.

« Une meute de louves » rugit son cerveau. Le mannequin placé devant lui sombra dans l’obscurité et le laissa seul face au spectacle d’un public déchainé et plus du tout humain. Malcolm pensa à l’invitation de Madeleine et à sa remarque sibylline. Il regretta sa blague sur les numéros de série et son manque de discernement devant les avances de la grand-mère gothique. Le jeune homme eut juste le temps d’entendre Norma Mac Guffin annoncer les desserts. Le plancher craqua sous ses pieds, le plasma se transforma en sang et les ombres se jetèrent sur lui.

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 18-04-2016 07:32  Mis à jour: 18-04-2016 07:32
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Défilé gothique
Ou la ! Où il est tombé ? Une ambiance sombre à souhait et un suspense qui monte.

Merci Donald
Donaldo75
Posté le: 18-04-2016 21:52  Mis à jour: 18-04-2016 21:52
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Défilé gothique
Merci Delphine.
C'était un de mes derniers textes de la période gothique, celle commencée avec la nouvelle "Angelica".
A bientôt,
Donald
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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