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Nouvelles confirmées : Poupée déglinguée
Publié par Donaldo75 le 18-06-2016 20:18:48 ( 949 lectures ) Articles du même auteur



Poupée déglinguée


XXX avançait sans comprendre. La foule s’amassait autour d’un podium où défilaient de jeunes femmes trop grandes, trop maigres et vêtues de tissus déchirés. Une musique métallique rythmait leurs pas, dans une cacophonie de notes perdues au milieu des sonneries des téléphones portables et des discussions enflammées. Aucune d’elles ne semblait prendre un quelconque plaisir à exhiber son corps décharné, son visage émacié, comme si l’espace et le temps ne comptaient plus, un avant-goût de mort annoncée, une dernière marche avant la tombe et l’oubli. Il refoula une envie de vomir. Humain sans mémoire collective, individu effacé dans un anonymat programmé depuis sa naissance, XXX voyait le monde à travers un prisme à deux dimensions, dénué de toute profondeur. Pour ses pairs, la Terre était devenue plate, un long chemin vers l’horizon lointain du Grand Nulle Part, avec une droite et une gauche qui s’étiraient en lignes directrices, un Nord symbole de richesses et un Sud habité par les pauvres. Les XXX venaient du centre, un carré dans une mosaïque de quadrilatères limités, où tout était acceptable dans le respect des règles morales érigées autour des verbes POSSEDER, VAINCRE et CONSERVER. Il se rappela ses cours d’éducation civique, à l’école de la république.
— Posséder, c’est exister, déclamait en boucle l’institutrice devant une assemblée de petits XXX assis bien droits devant leur pupitre.
— Vaincre, c’est la condition de notre survie, dans un monde où les pauvres veulent voler nos emplois, corrompre nos valeurs et engrosser nos femmes, répétait constamment le directeur aux parents d’élèves, lors des nombreuses réunions de suivi éducatif.
— Conserver, c’est assurer le futur de l’espèce, affichait en quatre par trois les règlements intérieurs, dans les lycées et les collèges, les centres de redressement et les prisons, les magasins et les entreprises.

Il s’approcha du podium puis se faufila entre les hommes d’affaire occupés à vendre des actions en industrie cosmétique et les femmes de mode soucieuses de bien paraître. Personne ne porta d’attention au XXX habillé de noir et de gris, signe d’une classe sociale trop moyenne pour signifier le moindre danger. Il s’arrêta contre la rambarde et observa les mannequins, plus jeunes que dans son imaginaire de papier glacé et de panneaux numériques. Il se souvint de sa dernière année d’études, quand une de ses condisciples avait décidé de quitter la voie décidée par la société, pour voler de ses propres ailes dans le mannequinat.
— Quelle idée de se lancer dans une telle aventure, avait alors remarqué un camarade de classe. Tu ne possèderas jamais rien, hormis ton corps, que tu loueras à des fabricants de culotte jusqu’à la fin de ta jeunesse.
— Je serai libre, et c’est bien là l’essentiel, avait-elle répondu vertement. Vous êtes des esclaves, condamnés à manger sur commande, à consommer les produits règlementaires, à vous endetter sur des générations, sans chercher à comprendre pourquoi vous vivez et comment tout cela va finir.
— Tu seras une marchandise, dans un commerce de façade. Quand les premiers signes de la vieillesse apparaitront, tu termineras dans une poubelle, comme un jouet démodé, une poupée déglinguée dont personne ne voudra plus entendre parler.
— Je l’aurai décidé moi-même, contrairement à vous.
— Tu ne décides de rien.
— Je vous plains, pauvres fourmis aveuglées.

A ce souvenir lointain, XXX frissonna. Il se demanda si, parmi les jeunes femmes exposées dans le défilé, se trouvait son ancien condisciple. La logique le ramena à la réalité, celle des années passées, de ses presque trente ans, un âge trop avancé pour les mannequins de podium, des corps interchangeables devenus synonymes des standards de beauté et des crèmes antirides. Il regarda les visages fermés, interdits au sourire, fardés et maquillés, des vitrines pour la consommation de masse et les promesses d’un lendemain d’opulence. Un coude lui percuta les côtes. Il se retourna et vit une quinquagénaire brillante comme un sapin de Noël. Elle discutait au téléphone, dans la cacophonie ambiante.
— Ce défilé est mortel, disait-elle à son interlocuteur invisible. Les filles sont mal fagotées, moches, sans saveur. La collection est horrible. On se croirait à un enterrement. KKK n’est plus que l’ombre de lui-même ; ça se ressent dans ses créations.

XXX eut envie de crier, de défendre les jeunes femmes, ces pauvres cigales parties de la fourmilière pour trouver la lumière des étoiles numériques, pour gouter à un semblant de liberté, même fugace, avant de revenir dans le rang comme tout le monde. Il détesta sa voisine, son apparente richesse, le symbole d’une société à deux vitesses où des millions de fourmis se fatiguaient à la tâche au nom de la survie de l’espèce. Son poing se serra, signe d’une révolte sous-jacente malgré des siècles de conditionnement. Il détourna sa colère, chercha une raison d’espérer. Il se rapprocha du podium et tenta d’accrocher un regard, celui de la grande blonde filiforme en train de défiler au son d’une mélodie uniforme. Il l’imagina différente, loin de son rôle de squelette ambulant et dressé pour la curée. Il la vit petite fille aux cheveux dorés, perdue dans ses rêves de prince charmant et de château médiéval, à apprendre la valse à ses doudous, à parer ses poupées pour le bal royal, à coudre des robes et des pourpoints.

XXX changea de dimension. Il se trouvait désormais sur une scène de théâtre, loin des paillettes, avec la jeune femme vêtue de bouts de tissus mal cousus.
— Tu es sortie du podium, commença-t-il pour lancer la conversation. Maintenant, tu peux sourire, revenir au naturel.
— Nous jouons tous une pièce. Même si je te souriais, ce serait fabriqué.
— Essaie, pour voir.
— Pourquoi ? Je ne te plais pas dans la collection de l’illustre KKK ?
— Ce n’est pas ça, la réalité.
— Si. Tu ne veux simplement plus la voir.
— Le monde n’a pas toujours été composé de fourmis. Avant, il y avait des cigales, comme toi. Elles enchantaient la forêt. Tout ceci n’a pas disparu parce que des générations de fourmis ont suivi leurs reines, bâti des fourmilières, transformé les ronds en carrés.
— C’est là ton erreur, ma petite fourmi. Je ne suis pas une cigale, juste une fourmi de plus, un peu moins laborieuse que toi mais quand même ouvrière. Les seuls ronds que je connais, je les porte sur ma tête lors des défilés, sous forme de chapeaux, pour des reines fatiguées de pondre à la chaine des milliers d’esclaves programmés pour la survie de l’espèce.

XXX ouvrit de nouveau les yeux, surpris de s’être un instant laissé abuser par une illusion de bonheur. Il chercha du regard la grande femme blonde, sans succès. Le défilé était terminé, les mannequins avaient rejoint leur loge, les clients s’étaient dirigés vers le cocktail de fin de soirée où des litres d’alcool parfumé les attendait pour clôturer une opération réussie. Il reprit définitivement ses esprits, sortit son terminal mobile et commença l’inventaire, la seule et unique raison de sa présence au royaume des vainqueurs, des possédants et des conservateurs.

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Auteur Commentaire en débat
saulot
Posté le: 21-06-2016 16:02  Mis à jour: 21-06-2016 16:02
Plume d'Or
Inscrit le: 23-06-2012
De:
Contributions: 445
 Re: Poupée déglinguée
C'est une histoire triste mais assez émouvante, que veux dire les termes en quatre par trois au fait ? Je n'ai pas compris le sens de ce morceau de phrase.
Donaldo75
Posté le: 21-06-2016 23:52  Mis à jour: 21-06-2016 23:52
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Poupée déglinguée
Merci saulot.

Quatre par trois est le format d'affichage, donc en mètres, des publicités sur les murs.

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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