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Nouvelles confirmées : Quentin Coursel (1ère partie)
Publié par tchano le 25-06-2016 14:41:15 ( 819 lectures ) Articles du même auteur



« Quentin veux tu me montrer ? Sur mon bureau, tu veux bien? »
Quentin fait « oui » de la tête.
Le « oui » que sa tête radote depuis près de quatre ans.
Il hoche cet indéfectible « oui », et c’est tout.

« Faites moi voir madame. Comment fait il ? »
La dame assise en face du médecin, pose ses mains à plat sur le bord du bureau, renverse la tête et demeure ainsi immobile le regard accroché au plafond.
« Bien! Bien! il cesse donc de bouger la tête ? »
« Oui docteur! »
« Ca ne se produit qu’avec cette musique me disiez vous? »
« Oui! notez docteur, je n’ai que les 3 disques que m’a laissé mon mari avec l’électrophone. Ce disque là, Tino Rossi et un nègre qui joue de la trompette… je ne me souviens plus de son nom. »
« Madame Coursel, il faudra lui faire réécouter cette musique et bien observer son comportement, relevez même les choses qui vous paraîtraient sans importance. »
« Mais il ne fait jamais rien d’autre ! »
« Recommencez madame! recommencez! Bien! à présent je vous laisse retrouver sœur Espérance pour notre prochain rendez-vous. »
Madame Coursel se lève, alpague le bras de Quentin pour l’entraîner vers un porte- manteau sur pied qu’elle déshabille d’un imperméable à peu prés beige et d’un caban à capuche bleu marine. Elle passe son imper et, avec quelque peine, elle bourre le caban avec le buste de son enfant. Cela provoque une remontée des épaules vers les oreilles et des boutons de manches vers les coudes. Ça lui fait les épaulettes d’un général de dictature et les bras en arceaux d’un caïd des nuits du port.
Elle serre la main du médecin dans le couloir.
Le médecin dit au revoir à l’enfant qui poursuit ses bégaiements de tête.

Après les volées d’étincelles lancées par les perches du trolley, après trente minutes de marche dans un tulle de pluie lente, les voilà enfin à la maison.
Madame Coursin suspend à la patère son imper et un fichu en plastic transparent qui a mémorisé des plis d’une impeccable régularité. Elle va chercher une serviette pour essuyer les cheveux de Quentin. Les hochements de tête de son enfant l’assistent dans cette opération, puis on est au repas.
A chaque cuillerée l’enfant interrompt ses mouvements de tête. Cela rappelle à la maman l’exercice de la musique.
Le repas terminé, elle arme le bras du « Ribet Desjardins ». Le tourniquet sonore emporte le saphir dans une rainure longue de quatre minutes 36 secondes. Quatre minutes 36 secondes de révulsion de tête et d’écoute par les yeux grands ouverts.

« Bonsoir docteur! Je vous remercie de me recevoir. j’ai demandé à vous voir rapidement car samedi soir en rentrant de mon travail j’ai entendu La Musique dans la maison. Dans la cuisine il y avait Quentin dans la position que vous savez, et ma belle-mère assoupie sur une chaise. Elle s’est alors réveillée et m’a demandé depuis quand j’étais rentrée et pourquoi j’avais mis de la musique. Je lui ai évidement répondu que ce n’était pas moi mais elle assurément. Ce qu’elle a fermement contesté. Ma belle mère à toute sa raison, docteur, alors vous comprenez ? Ce n’était ni elle ni moi … »

« Vous êtes en train de me dire que votre fils aurait mis en marche l’électrophone, et qu’il aurait lui-même choisit le disque ? »
« Ça ne peut être que ça docteur. »
« Intéressant Mme Coursel! intéressant! Quand devons nous nous revoir ? »
« Dans un mois. »

Sur le chemin du retour, les talons secs de Jocelyne Coursel s’en vont fébrilement émietter le bord du mois.

Et puis est arrivé un vent de dimanche. Un vent d’ici.
Ailleurs, de telles déflagrations blesseraient les maisons, lanceraient haut dans le ciel tous les tourments des arbres, leurs griffures effarées. Ils projetteraient les gens d’un mur de rue à l’autre. Leur mettraient dans les yeux des terreurs ataviques. Les corps, les biens, les cris et les odeurs finiraient dans un inextricable brouillamini.
Certes, ici le vent met de la houle à la danse des arbres, il emplit les espaces intérieurs de bruits de bateaux chahutés. Il fait sauter la mer par-dessus la corniche.Il provoque des spectacles de fenêtre. Il fait méditer aussi. Mais quand le vent s‘arrête tout est bien à sa place. Et c’est ainsi depuis toujours.

Le vent de ce dimanche happe les bords bouffants de La Musique des Coursel. La girouette est saoule mais la tête de l’enfant sans paroles demeure immobile.La Musique pianote sur sa peau, et pour la première fois l’énergie inlassable qui fait bouger sa tête, migre vers ses mains. Tandis que La Musique avance ses mesures, la tête de l’enfant se penche en avant, insensiblement. Ses paupières s’amollissent et un frémissement s’installe dans ses doigts. Ses mains ballottées par un courant lascif font des bruits de table dure.
A mesure que le bras cintré du tourne-disque va vers son point de retour, la danse élégante de ses mains semble inventer La Musique.

Les femmes de la maison assistent interloquées à cet enchantement.

Comme toujours, au vent du dimanche succède le vent du lundi puis du mardi.
Comme toujours au vent du dimanche succède l’odeur de travail de Jocelyne.
Quentin aime bien l’odeur de travail de sa mère. Sans doute parce que c’est sa mère qui la porte, qui la ramène à la maison. Il l’aime bien son odeur de travail, mais il lui préfère son odeur du dimanche. Cette odeur là, même l’alliance forcenée de tous les vents féroces de la terre ne pourrait l’effacer.

Tous les habitants du quartier savent reconnaître les ouvrières des entrepôts Dasquet. A leur odeur. Mais seul Quentin connait l’odeur du dimanche de sa mère.
Tous les habitants du quartier reconnaissent les ouvrières à l’odeur de poisson des entrepôts Dasquet. Mais l’odeur de mère d’une femme, pas même son amant le plus intime pourrait y accéder.
L’odeur du dimanche de Jocelyne appartient à jamais à Quentin.

La durée du vent d’ici est souvent réglée sur trois jours.
La durée de travail hebdomadaire des entrepôts Dasquet est, elle, rigoureusement calibrée. Six jours. Du lundi au samedi. Six jours, pas un de moins. Quand l’un des employés doit écourter sa semaine de travail, c’est le plus souvent pour des raisons fâcheuses.
C’est ainsi aux entrepôts Dasquet. C’est ainsi à la savonnerie, aux abattoirs, aux tuileries. Que l’on sente l’anchois, l’amalgame poisseux d’huiles et de soude, le sang chaud ou la terre cuite qui vibre en chant de verre, c’est ainsi!

Le contremaître a dit à Jocelyne qu’elle manquait trop souvent.
Les patrons apprécient peu qu’un employé puisse porter son odeur du dimanche un autre jour que le dimanche.

Après deux kilomètres de marche sous un soleil placide, après les gerbes d’étincelles jetées par les poings du trolley, quelques pas encore et l’institut.
« Bonjour docteur ! »
« Bonjour madame ! Bonjour Quentin ! »
Aujourd’hui le porte manteau sur pied demeure nu comme un frêle arbre mort.
Les mêmes chaises à la même place accueillent Quentin et sa mère.
« Vous me disiez dans votre lettre que votre fils semblait jouer du piano sur la table? »
« Oui! on dirait qu’il joue. Qu’il joue du piano. »
« Il s’agit là de mimétisme, madame. »
« Mimétisme ? »
« Oui, il imite un pianiste. Il a du voir un jour un pianiste jouer. »
« Mais… il n’a jamais vu un pianiste jouer que je saches. »
« Vous avez du oublier. »
« Non je ne crois pas. Heu…sur la pochette du disque il y a tout de même ce dessin qui représente effectivement un pianiste à son instrument. »
C’est un croquis, la caricature d’un homme infiniment maigre. Un homme-ficelle, le cheveux ondulé, le profil aquilin. Il est assis à son instrument. L’ombre démesurée de ses mains, prêtes à fondre sur la clavier, recouvre toutes les octaves.

« Il me parait peu probable que la pochette dont vous me parlez suffise à inspirer à Quentin une quelconque gestuelle pianistique, aussi sommaire soit elle. 
N’a-t-il pas plutôt un jour assisté à une représentation? ou une scène de cinéma ? »

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Auteur Commentaire en débat
mafalda
Posté le: 26-06-2016 01:46  Mis à jour: 26-06-2016 01:46
Plume d'Or
Inscrit le: 02-02-2013
De:
Contributions: 836
 Re: Quentin Coursel (1ère partie)
Bonjour tchano, me voilà happée par cette histoire très bien mise en forme et bien construite.
Pour ma part, j' ai hâte de connaitre la suite.

Merci, à bientôt de te lire.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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