
Où vont les albatros quand ils dormentÂ
Date 10-03-2023 17:57:33 | Catégorie : Annonce
| Où vont les albatros quand ils dormentÂ
A Charles A Allain.
Où vont les albatros quand ils dorment Combien d’anneaux d’or Saturne donne-t-Elle à mon âge Suis-je un sommeil ambulant Ou un ciel fâché, bruyant, démonté, houleux, toujours inerte dessous la terre…
Suis-je un éclair éteint, et un tonnerre tout silencieux, un feu de Saint-Elme, un feu d’enfer, un feu de joie ensommeillé, un feu crève-cœur remuant, un big-bang sans geste, édifiant la nécropole des mers australes, un big-bang sans bruits ni onomatopées, à jamais envieux d’un grand pas de lune jeune
Où vont les albatros quand ils dorment Dans quel océan s’efforcent-ils de s’échouer Où se trouve la nuit pleine qui les a ailés Qui a dit les coraux ne brillent qu’à la lumière diurne, qu’à la tiédeur d’un songe… Qui a dit le dormeur rêve Qui a dit le roi de l’azur tient l’alizé par la main et l’a toujours en poupe…
Où vont les albatros quand ils dorment Est-ce que l’on peut perdre ses ailes de géant pour une cane forcée Peut-on boiter de travers jusque dans son somnambulisme A-t-on encore la force de fumer quand on dort A-t-on déjà la faiblesse de voler plus haut que l’azur et plus bas que le granit…
Où vont les chiens de mer quand ils dorment Est-ce que la soif affamée du pêcheur connaît le repos Est-ce que la mer s’endurcit et enfle Entendez-vous le râle de l’eau et la vague à l’âme des esturgeons compatissants ; Peut-on clouer des niches ailleurs que dans du bois mouillé… Où vont les chiens de mer quand ils dorment Sont-ils toujours libérés sur parole* dans un paradis étoilé Nagent-ils encore, anxieux, parés d’un joli mot composé, ou montrent-ils du Ciel et de la nageoire (pour ne pas dire du doigt) leurs prédateurs insatiables Provoquent-ils la colère des flots en versant leurs embruns tristes dessus leurs restes en décomposition Sont-ils scellés prosaïquement au verbe Restent-ils à jamais terre à terre, inhumés dans un mémorial en friche, dans un fichier alphabétique qui s’éparpille Sont-ils perdus entre leurs lettres, livrés à eux- même au chaud de leurs trois pièces Sont-ils abandonnés en vrac, en meutes sauvages, dans la mémoire multiple d’un dictionnaire infaillible, sans réel (sup)port d’attache (maritime) entre CHIEN et CHIENDENT ou sont-ils au contraire remis à l’eau parce que composés, versifiés joliment au piano dans un milieu mouillé de mousse* …
Où vont les chiens de mer quand ils dorment Qui a dit la rousse** est belle avec ses taches Qui a dit Pauvre Lélian peut toujours se requinquer Qui a dit il y aura toujours un os, une fois passé par-dessus bord Qui a dit c’est la mer qui prend l’homme Où vont les chiens d’ivrogne quand ils crient « la mer à boire ! » Les roussettes boivent-elles la tasse à la terrasse noyée du Café des Bateaux ivres ?
Où vont les Léviathans quand ils dorment Qui a dit l’enfer n’est potentiellement accessible qu’après s’être endormi civilement avec sa chair Qui a dit la monstruosité n’appartient seulement qu’aux crépitements de feu chez Sade Qui a dit l’horreur ne revient jamais d’un cimetière Qui a dit l’horreur ne vient jamais d’un spectre, d’un revenant… Est-ce que l’ange peut pourrir lui aussi dans les joncs d’un marais en fermentation Peut-on lire l’enfer en mer du sud, tout près des hommes d’équipage Qui ose parler d’un attouchement de léviathan et omettre un viol antérieur sur Celui-ci… … ainsi que tous les cauchemars prêts à se ruer dans son cerveau meurtri…
Où va le mal quand il dort… Où vont les Léviathans quand ils dorment
Qui a omis de dire le mal progresse en léviathant…
* cf. la mémoire et la mer de Ferré.
Brignais, 28/01/2011.
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