Mon sosie

Date 20-02-2013 00:09:22 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Oh comme il m'a empoisonné l'existence, celui-là !
J'avais dix sept ans. J'ai commencé à entendre parler de moi, c'est à dire, de l'autre, dans une fête foraine, un dimanche après-midi, au Havre. Une petite bande de blousons noires m'a interpellé en m'annonçant que le mec du dimanche précédent me cherchait....? ? Lui m'avait trouvé, mais pas moi, je ne l'avais jamais vu.. J'ai vu arriver un grand gaillard, blond, qui avait l'air de m'en vouloir beaucoup.
- " Ce coup-là, on va régler ça tout de suite.Pas question qu'on en reste là. "
J'ai essayé de savoir à quel propos il me cherchait des poux mais il a haussé les épaules, et je crois bien qu'il avait l'air de penser que je me payais sa tête.
- " Viens, il m'a dit, on fera ça là-bas. " Et, du menton, il m'indiquait un coin de la place Danton, peu fréquenté. Je lui ai emboité le pas en cherchant dans ma mémoire ce que j'aurais bien pu faire à ce gars-là.
Arrivés au coin de la place, il s'est arrêté et nous nous sommes retrouvés nez à nez.
Je n'ai jamais pu porter les premiers coups, dans une bagarre. Jamais. La plupart du temps, c'est avec le nez qui pisse le sang que la colère me vient ( me venait...) et là, j'étais vraiment méchant . Ce fut donc avec mon sang qui dégoulinait sur mon copain de rencontre que je me retrouvais assis sur sa poitrine, en train de le jambonner. Il a levé la main. OK, on arrête. je n'ai jamais été passionné par la bagarre, mais il se faisait que je venais d'un quartier où on ne me demandait rarement l'expression de grands sentiments.
Bizarrement, mon adversaire s'est relevé, à essuyé mon sang d'un revers de poignée et puis m'a tendu la main. Que je lui ai serré. Après tout, je ne lui en voulais pas : il s'était forcément trompé de gus.
Après quoi, il a tourner les talons et il est parti. Je ne l'ai revu qu'une fois, sur une autre foire, d'ailleurs. Il est venu me demander un coup de main pour une bagarre qui n'allait pas tarder. Je n'en avais nulle envie et, de plus, je venais de me trouver une jolie demoiselle qui acceptait mes tours de manêges. Elle m'a regardé en fronçant les soucils, mais elle est restée.
Elle a eu d'excellentes raisons de se méfier, et ce, malgré moi .
Le dimanche suivant, après le cinéma ( vous savez, balcon, dernière rangée au bout du mur ), j'ai joué les grands seigneurs en l'emmenant boire un ' gin-fizz ' dans un bar à la mode. Pourquoi un gin-fizz ? Bah, c'était proposé à toutes les devantures des endroits chics, alors va pour un gin-fizz.
On ne l'a pas bu ici, le gin-fizz.
A peine entrés dans le bar, alors que j'avais encore le bras arrondi pour tenir, avec classe, la porte à ma nouvelle conquète, la patronne, en furie, s'est jetée sur moi, son visage tout près du mien , et a éructé :
- " Ah ça non ! pas question que vous remettiez les pieds ici, après ce que vous avez fait hier soir ! "
Je ne m'y attendais évidemment pas et, pris de court, je crois bien que j'ai eu le comportement d'un coupable qui bafouille. Je n'ai pas insisté..pas la peine, c'était bien à moi qu'elle s'adressait ,qui que soit ce ' moi '.
De retour sur le trottoir, ma petite copine me regardait encore de biais, mais je voyais bien une petite lueur malsaine dans son regard. J'imaginais ses confidences à ses amies, dès le lendemain
Quelques temps plus tard, j'entrais dans un bar américain. Le 'Navy bar' , pour ne rien vous cacher.
Là, la patronne ne m'a pas viré : elle s'est mise à rigoler et m'a dit:
- " Alors ? ça va mieux, depuis hier ? " Faire plus innocent que moi, on ne pouvait pas.Elle a continué de rigoler en me disant que je pouvais bien faire ce que je voulais, l'important, c'est que je lui ai payé ce que je lui devais. Ben ça, c'est une chance ! Manquerait plus que l'on me présente les factures de mon autre ! Parce que, évidemment, il y avait bien longtemps que j'avais compris que mon sosie faisait les quatre cents coups dans la ville.
Je me commandais un verre et allais aux toilettes où se trouvait un autre consommateur.
Il m'a lancé un rapide coup d'oeil et son visage s'est éclairé d'un grand sourire moqueur.
- " Ben dis-donc ! tu te tenais une sacrée pistache, hier soir. Toi, quand tu déboules, t-y vas pas avec le dos de la cuillère ! "
Je me suis résigné et je suis parti voir ailleurs, dans un endroit où, par hasard, je n'aurais pas tout cassé la veille.

Le temps a laissé son manteau, de vent, de froidure et de pluie, et un samedi soir de printemps, il y avait " grand bal " dans ma cité. Je me dois de signaler que je n'ai jamais eu la veine de tomber sur un petit bal, ni ici, ni ailleurs. Un accordéon désaccordé et deux casseroles, ça fait un ' grand bal' . Un élecrophone aussi, d'ailleurs.
Seulement, si j'aimais bien faire la fête, j'assurais très sèrieusement ma semaine de travail; et, à cette époque, elle était de six jours, avec heures supplémentaires et des nuits, si nécessaire.
J'ai donc décidé d'aller me coucher de bonne heure, ne serait-ce que pour être beau et reposé, le lendemain, dans mon costar Prince de Galles et mon gilet rouge damassé.Oui oui, je vous assure : c'était la mode. Avec la petite touche qui tuait: les chaussettes rouges ! Non ...Les noires, ça a été un peu plus tard, avec le pantalon à ceinture espagnole et...mais là, je m'égare.
Je suis donc allé me coucher et mon père est parti au bal. C'était un danseur de tango et surtout de valse qui était très demandé. Et par des plus jeunes que lui.
J'étais plongé dans le sommeil quand je me suis senti secoué. C'était mon père qui était penché sur moi, l'air assez excité:
' " Ah ben ça, j'y crois pas ! figure-toi que je t'ai vu au bal avec une bande de marlouins et tu cherchais des crosses à tout le monde. Ce qui m'a étonné, c'est que tu ne portais pas tes vêtements. Mais je me suis dis: faut quand même que j'aille vérifier. Ben merde ! il te ressemble drôlement, ce mec !"
Il a été jusqu'à la porte de ma chambre et puis il s'est arrêté :
- " Dommage pour toi...il était avec une sacrée chouette poulette ."

C'est à peu prés la pèriode à partir de laquelle je n'ai plus entendu parler de mon sosie. C'est dommage..J'aurai bien voulu le rencontrer; je suis sûr qu'on aurait fait une sacrée équipe, tous les deux.












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