Nous autres graphomanes

Date 22-03-2013 20:53:20 | Catégorie : Essais confirmés


J’incline à penser que l’écriture est trompeuse, à tout le moins qu’elle nous renseigne mal sur la personnalité de l’écrivant. En d’autres termes, on peut écrire de bonnes choses, de belles choses, tout en ayant autant de charisme qu’une holothurie. A l’inverse, de riches personnalités peuvent s’avérer incapables d’aligner deux lignes intelligibles. Mais comme il n’est pas de règle qui ne puisse souffrir de dérogation, on peut parfois croiser des êtres doués pour la vie ET pour l’écriture, mais aussi d’autres qui cumulent la double disgrâce d’être aussi insignifiants sur le plan humain que désespérants en matière d’écriture, lesquels semblent s’être donné pour but d’attirer l’attention générale sur ces peu enviables particularités.

A cet égard, les sites d’écriture sont de formidables révélateurs, les pseudonymes plus ou moins inspirés ou transparents derrière lesquels nous nous cachons n’y changent rien. Ces salons littéraires virtuels sont essentiellement des rendez-vous de graphomanes. En grande majorité, il s’agit de gens sincèrement épris de littérature, ne cherchant qu’à élucider le mystère du « malheur merveilleux d’écrire . » Mais parmi eux se sont faufilés les individus malchanceux que je viens d’évoquer, et dont il ne faut pas sous-estimer la capacité de nuisance.

C’est cette catégorie de graphomanes que j’ai choisi de désigner sous le vocable de « va-de-la-gueule » - en prenant quelque liberté avec la lettre de cette expression, mais dont je justifie l’emploi en soutenant que ces gens donnent souvent l’impression d’éructer bien plus que d’écrire. Le va-de-la-gueule version cybernétique est, fondamentalement, un imbécile convaincu de ne pas en être un mais tout aussi convaincu d’être, lui, cerné par les imbéciles. De tels déséquilibrés sont une véritable calamité pour les sites d’écriture, dont ils peuvent compromettre la survie déjà aléatoire.

La plupart de ces sites sont ouverts : c’est leur vocation mais aussi leur faiblesse. Aussi n’est-il pas rare de voir d’entreprenants va-de-la-gueule y faire momentanément ou durablement leur loi, prêts, pour attirer l’attention, aux plus piteuses et spectaculaires gesticulations. Quel bon sens y a-t-il, on se le demande, à se répandre de la sorte sur des sites qui ont pour vocation première de recueillir des textes et non pas leurs boursouflures ? Car que nous livrent-ils, en général ? Une prose bancale et surchargée, de plates intrigues dont on voit les boulons et dont on entend grincer les rouages, le tout écrit dans un idiome qu’on hésite parfois à reconnaître pour du français. Quelle indigence de moyens, quelle pauvreté d’expression, quel mépris des principes élémentaires de la langue !

Le caractère virtuel de tout ceci sauve sans doute de la honte, non toujours du ridicule, les auteurs de ces entreprises. Il les met rarement à l’abri de ma moquerie, souvent féroce, il est vrai. Injuste ? Outrée ? Parfois aussi. Appelons ça de la riposte graduée : j’ai lu des textes qui ne sont que des attentats contre la syntaxe, le bon goût… quand ce n’est pas l’intelligence du lecteur qui est prise pour cible ! Il en résulte que certains forums littéraires renvoient au vestiaire les considérations élevées sur le « malheur merveilleux d’écrire », et finissent par se résumer à des tirs croisés de qualificatifs malsonnants.

Au surplus, si les échanges d’amabilités par claviers interposés sont exempts de violence physique, ils n’en sont pas moins une certaine incitation à la lâcheté. C’est ainsi que lors de l’un de ces échanges, j’ai été invité à pratiquer un coït furtif avec un individu du même sexe. J’ai la conviction que l’auteur de cette insulte (au demeurant beaucoup plus jeune que moi) se serait senti très petit garçon et n’aurait jamais pris un tel risque s’il s’était trouvé face à moi (j’ai cinquante ans, je déplace cent-soixante-huit livres en ordre de marche, et je cours le dix kilomètres en moins d’une heure)…

C’est de m’être trop souvent exterminé le tempérament dans de longues et stériles passes d’armes qui m’a conduit à faire mienne cette maxime : « Laisse les gnomes de tout poil grimacer tant qu’ils veulent, et tourne-leur le dos : ton cul les contemple. » Se représenter ces gens – condamnés à nasiller leur hargne gratuite et malsaine jusqu’à la consumation des siècles - comme des Pygmées conceptuels qui sautilleront jusqu’à épuisement complet sans jamais voir les épaules des géants, est d’un grand réconfort.

« L’idée qu’on puisse écrire pour les autres, pour recevoir les éloges des autres, me fait horreur », notait Hélène Berr dans son journal. Il faudrait que nous songions à cela un peu plus souvent, nous autres graphomanes, et ceci nous concerne tous sans exception, les déséquilibrés comme les autres. Il faudrait être son premier et plus intraitable critique, et avoir de temps à autre la prudence de se contenter d’écrire pour son tiroir.




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