Préhistoire

Date 30-07-2013 04:00:00 | Catégorie : Nouvelles


Préhistoire

La journée s'achevait. On ne devinait plus que les derniers ormes qui se qui jetaient leurs silhouettes de chaque côté du chenal. La brume du soir tombait, noyant les bords de la Rance que nous suivions dans ses méandres, brume grise à l'est mais dorée et lumineuse vers l'aval où le soleil devait se coucher sur une mer brillante où nous l'admirions si souvent, et qu'on aurait pu presque deviner pour peu qu'une brise chasse l'ombre naissante.

Tout était calme, doux, comme ouaté par le brouillard s'épaississant de minute en minute. On respirait l'haleine humide des eaux stagnant sur les marais, dans chaque repli de la berge que nous frôlions par moment.

On rêvait de forêts inviolées, de terres vierges... Etait-ce la pénombre ? étaient-ce les odeurs ? ou le cercle étréci qui limitait la vue ? C'était plutôt, sans doute, l'étendue marécageuse dans laquelle le bateau glissait sans bruit. Et des ombres passaient, à fleur d'eau, mouettes, échassiers à la pêche, presqu'invisibles, mais présents.
Atmosphère étrange, prenante à la fois et inquiétante. Rien de plus isolant que le brouillard : on se croit seul et loin de tout quand il nous enferme dans son filet.

C'est là que, scrutant la pénombre, dans un demi-rêve, nous découvrîmes une chose innommable, jaunâtre, immobile qui semblait nous guetter, un cou qui paraissait immense, surmonté d'une tête petite, aux angles aigus qui approchait.
Moments d'appréhension, d'angoisse... la peur nous tient à la gorge et l'esprit cherche une explication mais se fige : quelle est cette bête monstrueuse tapie dans la vase et qui guette notre passage ? Le cou est hérissé d'une crête dentelée, la tête nous fixe, grise et floue dans la brume.
Quelque être préhistorique qui subsiste dans ces profondeurs fangeuses.....

Mais nous, qui sommes-nous ? où sommes-nous ?

Dans cette ambiance humide et sombre, dans cet enfermement, au centre de cette nature invisible et grouillante, avons-nous quitté notre temps ? Sommes-nous remontés vers les ères perdues jusqu'à rejoindre les monstres broutant des fougères géantes ? Les yeux agrandis, l'esprit perdu, l'imagination galopante, un reste de raison nous force, essayons de comprendre, de deviner...
Voyons, pensons sainement : je suis là, tu es là, nous sommes ensemble, partis pour une petite promenade sur la Rance; la Rance, elle existe ! Nous venons de Dinan, nous allons vers Saint-Servan... nous avons fait dix fois ce petit voyage... Que nous arrive-t-il aujourd'hui ? un rêve ? un cauchemar ? Il faut nous réveiller, sortir de ces voiles gris et mouillée... mais cette bête affreuse qui nous suit de son regard vide.....

Il a fallu un coup de vent subit et violent, une brusque bourrasque venue de la mer, pour nous rendre l'esprit clair et le bon sens; la bête immonde et bizarre, jaune et hérissée, vous en voyez tous les jours d'automne, dans les champs de Beauce ou de Bretagne où les prés sont proches des rives : un élévateur à maïs, ces machines à long col qui déversent tout le jour leurs moissons de grains dorés dans les camions qui les suivent.... !
Celle-là rêvait, sans doute, dans le brouillard, sa journée achevée.
Rien que de l'imagination.
Dommage.....






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