Jusqu'à la dernière seconde.

Date 11-09-2013 23:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Tirée par une vieille haridelle fourbue, la charrette déboucha sur l'esplanade en sortant de la voûte encadrée de deux grossières statues de saints en prière. Les roues cerclées de fer faisaient un bruit grinçant et irritant sur les vieux pavés usés de la place du village.
La foule, qui était massée là depuis le lever du jour, semblait fatiguée et commençait visiblement à se lasser du spectacle répétitif qui se déroulait depuis le matin. C'était la quatrième et dernière exécution de la journée et, malgré le plaisir que les spectateurs y prenaient à chaque fois, il était sensible que la dernière exécution serait suffisante pour cette fois-ci.
La jeune femme, enchaînée sur la charrette, se tenait debout, bien droite et levait un menton arrogant pendant que ses yeux faisaient le tour de la foule d'où montait un grondement agressif. Elle tourna la tête vers le balcon-coursive qui dominait le front d'immeubles d'où la charrette venait d'apparaître et toisa avec ironie le seigneur qui se tenait assis au milieu d'un groupe de courtisans .
Il lui adressa un salut exagérément poli en levant sa coupe à son intention.
La charrette s'arrêta au pied des quelques marches en bois qui faisaient accéder à l'estrade de planches où était placé le billot.
Le bourreau se tenait en haut des marches, tout vêtu de rouge, la tête recouverte d'une cagoule aux bords frangés qui lui tombait sur les épaules et le thorax. . Des yeux noirs et mobiles détaillaient méchamment sa dernière victime de la journée, semblant prendre des repères et des mesures lui permettant d'oeuvrer au mieux.
Aussitôt, les gens d'armes accoururent et prirent place autour du lieu d'exécution, lances au pied, pointes penchées vers la foule.
Lorsque la jeune femme fut délivrée de ses chaînes et que deux soldats, la tenant chacun par un bras, la firent descendre sans ménagement du plateau, le grondement de la foule enfla. Quelques cris hystériques et des insultes jaillirent . Il y eut comme une vague d'excitation qui agita les rangs les plus prés de la condamnée.
Elle agita les bras pour se délivrer de l'emprise des soldats et aborda la première marche.
Si son visage exprimait noblesse et fierté, tout son corps semblait figé par la peur et l'appréhension.
En marquant un arrêt à chaque marche, elle semblait vouloir vivre avec recueillement chaque seconde qui la rapprochait de sa fin.
Le bourreau, appuyé des deux mains sur le manche de sa terrible hache, l'attendait sans impatience, sachant que la condamnée, dès lors, lui appartenait.
Il est possible qu'un sourire satisfait se cachait sous la cagoule. C'était le plaisir secret du bourreau.
La prenant fermement par l'épaule, il la poussa, malgré sa passivité, jusqu'au pied du billot.
Elle regardait ce billot depuis qu'elle avait commencé son ultime parcours. Les dernières victimes avaient perdu leur sang , sous le tranchet de la hache, et ce sang recouvrait entièrement le billot ainsi que de larges étendues sur les planches. .
Les cheveux de la condamnée avaient été tirés en un haut chignon qui dégageait une nuque longue et fragile, une nuque qui avait dû attirer bien des baisers et qui allait être sectionnée , dans un bref instant.
Le bourreau prit la jeune femme par les deux épaules , l'obligeant à ployer les jambes, puis à s'agenouiller . En écrasant son dos, il l'amena à poser sa poitrine sur le bord du billot, le cou tendu et la joue droite posée sur le bois poisseux du sang déjà versé.

Un sinistre roulement de tambour retentit alors. Les secondes semblaient s'étirer horriblement .
Elle voyait, sur le plancher qui était sous ses yeux, l'ombre du bourreau qui, immobile, attendait le signal du seigneur pour accomplir son oeuvre .
Les tambours s'arrêtèrent brusquement. La foule s'était tue . pas un seul bruit dans l'air.
elle vit, terrorisée, l'ombre du bourreau lever lentement sa hache, comme s'il étudiait les détails de ses gestes, restant suspendu un instant .

-" Coupez !! "
Le cri claqua dans le silence et, aussitôt, un brouhaha paisible se répandit sur la place.
Un petit homme grassouillet, en bermuda et T-shirt gris, des écouteurs sur les oreilles, sauta sur l'estrade tandis qu'une équipe de techniciens et de maquilleurs envahissaient les lieux.
On aida avec beaucoup de considération la jeune femme à se relever et, aussitôt, on s'affaira à lui nettoyer le visage , on lui posa une veste sur les épaules et on lui versa une coupe de champagne.
Le petit homme sautillait sur place, excité comme une puce.
- " Ah ! Célia ! ma divine ! tu as été merveilleuse, comme d'habitude ! Franchement, si je n'avais pas tant de métier, je crois que j'en aurais pleuré. "
Puis se tournant vers le bourreau qui, capuche retirée, ressemblait à une bonne brute innocente :
- " quant à toi, c'était limite . J'aurais aimé que tu mettes plus de coeur, plus de vie, dans ton personnage ! tu avais l'air d'être à une réception ! "
Il prit Célia par les épaules et l'entraîna à travers la foule qui s'écarta avec respect et un murmure appréciateur.





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