Passang est accroupi

Date 03-06-2014 20:40:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Sur un carré de pelouse naturelle et rase, accroupi est Pasang, prés de sa maison.
Sa maison constitue un grand cairn creux de pierres amoncelées.
A plus de 3000 mètres d’altitude, depuis l‘arrivée des ancêtres, des mains de toutes tailles ont déposés tour à tour, leurs récoltes de pierres pour l’édifier et l’agrandir.
Depuis qu’ils se sont arrêtés ici, au XIIème siècle de notre ère, toutes les âmes de la lignée de Pasang ont vénérés et craints les dieux et les démons des Hauts.
Ici, les Hauts transpercent et dépassent le ciel des oiseaux.
Comme partout dans le monde, la pauvreté accroupie les hommes.
Qu’il fasse une pause ou une quelconque besogne prés du sol,
le pauvre est accroupi, les jambes toutes repliées, la plante des pieds à plat
et le séant très bas.
La soumission et l‘adoration mettent souvent les hommes à genoux, la pauvreté les accroupie.
Et cela devient parfois, pour qui a la vie rude, une posture d’humilité.
Les moins pauvres, pour figurer une sorte d’élévation, ou bien parce qu’ils ont le postérieur plus lourd, se tiennent accroupis sur la pointe des pieds, les fesses sur les talons.
D’ailleurs les moins pauvres peuvent difficilement tenir la position accroupie,
celle de l’humilité.
Accroupi est Pasang prés des choucas et de ses dieux.
Prés des aïeux et de son fils.
Pasang ne le sait pas, mais le prix qu’il a payé depuis trois ans,
pour que son fils aille à l’école, est très précisément de:
-11 402 kilos de faix acheminés sur son dos.
-6 748 kilomètres de poussière, de pierre, de glace et de neige,
foulées par le cal de ses pieds.
Et c’est aussi l’équivalent de 14 fois et ¼ l’Everest gravi à bonne allure.
Il ne le sait pas. D’ailleurs, peu lui importe.

Un coup de vent chahute les pages du journal que tient son fils Tensing,
accroupi humblement prés de lui.
Pasang, l’illettré, écoute la bouche de Tensing , dire les mots d’un journal trouvé
dans un lodge de trek.
En écoutant Tensing, Pasang détourne son regard et feint de scruter la tête du Manaslu enturbannée par les prémices de la mousson.
En écoutant Tensing, Pasang ne sait pas que c’est très précisément
0,824 ml d’émotion fine qui viennent de passer par ses yeux.







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