Dans le caniveau du monde

Date 23-06-2014 21:30:00 | Catégorie : Nouvelles


« Je crains qu’avoir une conscience exacerbée d’un certain désenchantement du monde se nomme la mélancolie.
Sans vouloir apposer de diagnostic, je me sais mélancolique depuis fort longtemps …
En effet, depuis l’enfance, je ne cesse d’opposer à l’ordre du monde (où je saisis si peu), une cruelle absurdité.
Cette mélancolie que je crois subir n’est sans doute pas celle que l’on réduit trop souvent de nos jours à un état dépressif ou à un sentiment d'incapacité qui comporterait peut-être des aspects psychotiques, ou même à une absence de goût de vivre, qui, un jour, pourrait me conduire au suicide…
Non, la mélancolie que je semble endurer ou peut-être cultiver me semble plus complexe.

Bien sûr, elle résulte certainement d’un manque profond, à l’origine probablement lointaine, que je ne peux, ou ne veux, identifier ou confier. Ma mélancolie se traduit plutôt comme une peine existentielle, immuable et moqueuse, qui, inexorablement, organise toutes les expressions de ma pensée, parfois de manière piètrement philosophique, péniblement intellectuelle, ou pour finir, médiocrement artistique …
Jouissifs ou douloureux, mes élans mélancoliques tantôt me précipitent dans le caniveau du monde, ou tantôt, m’abandonnent à son orée, poétique et singulière.
Le résultat me laisse dans la marge, à part et baroque, plongé dans les méandres d’une extrême solitude où se joue de moi une souffrance morale excessive, qui trop souvent me paraît insurmontable.

Que pourrai-je bien répondre à ceux qui trop avisés (mais rares) m’interrogent de cette manière ?
-« Toi, tu sembles ne pas aller bien en ce moment. Quelque chose ne va pas ?! »

Pourquoi un jour ne pas tenter cette réponse ?

-« Et bien, puisque tu le demandes je vais t’en parler ;
Voilà, j’ai un problème avec une sorte « d’être-là existentiel », mais au fond je ne peux pas vraiment t’en parler, parce qu’il ne m’est rien arrivé d’exceptionnellement grave ou attristant ces derniers temps puisque c’est mon quotidien depuis toujours.
Disons plutôt pour résumer que ma conscience me rappelle sans cesse avec gravité ma condition de mortel, et l’impermanence insupportable et obnubilante des êtres et des choses qui enserre mon esprit.
Mais attends, ce n’est pas tout ; sais-tu aussi que tout ce qui semble gouverner ce monde me semble futile et dérisoire et que je ne comprends strictement rien à ce qui anime ou ravit mes congénères ?
Sais-tu aussi que pour moi la vie ne sert à rien puisqu’au final, « Tout se perd, me défait et nous consomme » ?!
Ne vois-tu pas que j’attends de ce monde qu’il m’aime éperdument d’un amour inconditionnel et exclusif qui n’existe pas ?!
Ne comprends-tu pas que j’ai peur de perdre la vie, de perdre l’amour, que mes amis m’abandonnent, que la solitude me dévore, que j’ai peur de vieillir… que j’ai si peur de vivre ?! »
Peux-tu saisir de moi que je ne me supporte pas, que je ne comprends pas l’intérêt que tu me portes, et qu’au fond, je voudrais être toi ?! »

Non, je crains qu'il ne me faille jamais tenter cette réponse.
Je préfère un sourire car la mélancolie ne se dit pas.




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