Monsieur Chapeau

Date 21-11-2015 10:37:10 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Monsieur Chapeau


Monsieur Chapeau ouvrit de grands yeux pleins de stupeur : Mademoiselle Chaussette était non seulement venue seule, sans sa sœur jumelle, mais en plus elle affichait des couleurs inédites, loin du noir et du blanc habituels. Du rouge, du bleu, du jaune et du vert.

L’air sentait le parfum, celui des fleurs et du printemps. Monsieur Chapeau se surprit à penser différemment, à voir le monde sous un arc-en-ciel et non en formes géométriques. Il tenta de chasser ces songes, de revenir dans son univers euclidien, de rendre ses visions rationnelles. Sa logique chercha des explications, très loin dans la physique et les probabilités.

Le ciel se chargea de signes mathématiques, de plus et de moins, d’égalité et de comparaison. D’abord noirs sur fond blanc, tracés de manière impeccable par une calligraphie parfaite, les symboles s’illuminèrent des couleurs de Mademoiselle Chaussette, se mélangèrent au détriment des principes arithmétiques, clignotèrent en un concert visuel. Monsieur Chapeau voulut réconcilier ces manifestations multicolores avec une théorie scientifique. En vain.

« Matthieu, sort de ce placard ! »

Monsieur Chapeau reconnut la voix de la Grande Ordonnatrice, la maîtresse du Haut et du Bas, de la Droite et de la Gauche. Ces quelques mots le rassurèrent. Il essaya de revenir aux fondamentaux de son éducation où régnaient l’Ordre et la Rigueur, où tout allait par deux, entre tout et rien, qualité et défaut, bon et mauvais, noir et blanc. Les postulats luttèrent avec l’imaginaire, les théorèmes combattirent les sensations, Euclide courut après Alice.

Le vert envahit l’espace, bientôt suivi par le jaune et le bleu. Mademoiselle Chaussette dansa autour des signes mathématiques, en transforma certains en lettres de l’alphabet, d’autres en symboles musicaux. Monsieur Chapeau résista de son mieux, à coups d’équations et de paradoxes. Les couleurs continuèrent à dominer le ballet, à fondre la symbolique dans le rêve. Le mouvement s’accéléra en farandole, les astérisques devinrent hirondelles, les phrases se muèrent en mélodies atonales. Monsieur Chapeau perdit définitivement le contrôle.

« Matthieu, réveille-toi ! »

Monsieur Chapeau détesta le ton de la Grande Ordonnatrice. Autrefois, elle le berçait de certitudes, lui montrait le droit chemin vers les cubes et les cerceaux. Cette fois-ci, une première dans son existence, elle résonnait trop fort, telle une agression étrangère dans un nouveau monde naissant. Monsieur Chapeau décida de l’ignorer, d’éluder le Haut et le Bas, la Droite et la Gauche, les conventions et les postulats. Il suivit Mademoiselle Chaussette.

La voix se fit plus autoritaire. Le tonnerre commença à gronder, couvrit la musique et déchira le ciel multicolore. L’espace se para de noir et de blanc, carré par carré. Mademoiselle Chaussette clignota au rythme des hirondelles et de la mélodie multicolore. Les couleurs s’estompèrent, d’abord le jaune puis le bleu. Le vert résista de son mieux puis disparut à son tour dans un fondu délavé. Monsieur Chapeau pleura.

Le ciel devint un carrelage uniforme. La pluie remplaça le tonnerre. Mademoiselle Chaussette s’illumina une dernière fois puis se fondit dans les flots. La voix retentit de nouveau, avec toujours le même commandement. Monsieur Chapeau refusa d’ouvrir les yeux, d’abandonner l’existence colorée de Mademoiselle Chaussette. Il dansa à son tour, en dépit du Haut et du Bas, de la Droite et de la Gauche, contre les carreaux et la pluie. Le rouge entra dans la danse. Il chassa de ses larmes la Grande Ordonnatrice. Monsieur Chapeau hoqueta une dernière fois.




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