Sur la murette du sage

Date 13-01-2016 19:20:00 | Catégorie : Poèmes


Sur la Murette du Sage

Derrière la montagne, le soleil se couchant
Aux creux des vallons colore le maquis.
D’un reflet rose,
Sur un ciel bleu, tout embaumé.

Les carabes cuivrés, les abeilles,
Les oiseaux et les papillons s’activent encore.

Là-haut sur la colline
Dans les frondaisons de la forêt,
L’air s’emplit de l’écho du chant sonore des sittèles.

L’agitation du monde me semble si lointaine.

La grande bâtisse un peu délabrée,
Toujours pleine de charme, me fait de l’œil.
Les huisseries écaillées, les gros linteaux de granit,
Les murs de pierres sèches
Les interstices remplis de fleurs, gorgées de soleil.

Et les tuiles rouges du toit presque plat
Sommeillent encore.

Près de la maison, les murettes,
Les grands romarins bien taillés, les escaliers fleuris,
M’accueillent comme Ulysse, après un long voyage.

Chaleur de la pierre, odeurs offertes.

Le bon chien vient vers moi, il me reconnaît.
Tommy, fidèle. Oui, je suis bien Ulysse.
Le Père Badi avait raison.
En contrebas, le gargouillis du lavoir.
Un garçonnet et une fillette,
Jean Jean et Fanfan, courent autour.
Et chassent des papillons blancs,
Mais ceux–ci sont bien trop agiles.

Je suis un peu fatigué.
La poussière du chemin sans doute.

Sur le rebord de la fontaine,
Deux autres gamins sont plus sages.
Ils lisent, rient.
Je sais que ce livre est leur roman. Comment ?
Grâce au Mur où je suis assis,
Sans doute.

La Murette du Sage.

Mais dites, comme c’est bon, là !
Je bois sa douce chaleur.
Par tous les pores de ma peau.
La vieille Mado m’offre un verre de vin
Du Clos Réginu. Elle a toujours vécu ici,
Ça je le sais aussi.

Elle sourit.

Se rides me parlent. L'occhju è rottu !
Oui, ça je le savais aussi.

Son homme près d’elle est si prévenant.
Escogriffe, de velours, Nydåm le Grand,
Sampiero Corso, les oreilles poilues,
Les mains larges comme des bachiles,
Comme de grandes batulles.
Il l’entoure de sa tendresse.
Sa signatora.

Entre les romarins, sous la tonnelle de vignes
une grande table de bois.
Du lait de brebis, du miel, et aussi du jambon,
Des saucissons, une grosse miche,
Une fiasque de vin, du fromage, des fraises.

Et cette odeur tenace, envoûtante –
Qui ouvre grand mon appétit.
Odeur qui remonte des lentisques, des bruyères,
Des genêts, des lauriers thym, des cytises, des tamaris,
Des prunelliers, des arbousiers.

Et ces deux-là, attablés, sont amants, je le sais.
Pierre et Hélène, ils mangent du raisin.

Les papillons blancs ont les ailes tagués
De souffrances, de regrets,
De cœurs qui saignent, de chagrins.
Ils volent et bruissent près de la grande maison.
Dans tout le jardin.

Leurs écrits sont presque effacés,
Déjà.

Antønje et Petru lisent toujours,
Au fur et à mesure que les mots
De leur roman s’écrivent,
Se gravent, sur les pages.
Ils rient aux larmes. Best Seller.
Et ne s’en alarment.

Maria Helena et U Saviu s’échangent encore des grains de raisin.
Tendrement, comme des colombes.
Les cheveux de cuivre de la belle illuminent le couchant.
Quelle douceur, quel silence.

Juste le son d’une Chjamà e rispondi, un peu plus loin,
Qui nous parvient.
J’y reconnais mes ténors.
Ce n’était pas dans l’Odyssée, mais que m’importe.
Si sbaglia u préte à l'altare…

Ulysse, ou Vévé, je suis entouré
De centaines de papillons blancs,
Graciles, aux ailes maintenant immaculées.

Le sentier, mon chemin, ma route de la Consolation,
A traversé le miroir sans tain, sans un seul bris de glace.

Cela ne me laisse pas froid, bien au contraire.

Ici, au Pays de l’Amour,
J’ai le cœur, chaud, tout gonflé.

Cavalier




Postscriptum

Autre titre par moi parfois donné Nantu à a Muraglietta di u Saviu : sur la Murette du Sage

L'occhju è rottu : le mauvais œil est brisé, conjuré...

Bachile, batulles : grands battoirs de bois

Signatora: femme capable d'exorciser le mauvais Å“il

Chjamà e rispondi : "En Corse où il ne reste qu’une dizaine de poètes chanteurs pratiquant ces joutes, les soirées chjama e rispondi connaissent un nouvel engouement. La dernière a eu lieu dans la plaine de Peri à l’occasion de la fête de la figue. Une autre se déroulera cet hiver dans la vallée de la Gravona.

Imaginez. Vous partez de l’écorce qui flotte sur le ruisseau et vous en arrivez au taux de participation de l’Etat dans le tour de table de la recapitalisation de la SNCM. L’un d’entre vous plaide pour 25 %, l’autre pour 50. Celui qui souhaite que l’Etat reste majoritaire raille le partisan de la privatisation en l’accusant de vouloir placer ses copains dans l’affaire. L’autre lui rétorque qu’en tant que défenseur d’une Corse autonome, voire indépendante, il est bien ridicule de faire appel à Paris. Et ainsi de suite. Le tout en chanson et en rimes. Un troisième débatteur, puis un quatrième, voire un cinquième, se mettent de la partie, défendant l’un ou l’autre ou encore soutenant un point de vue encore différent. Tout cela au coin d’un comptoir, d’une table de bar. Rythmé éventuellement par une consommation croissante de vin, de pastis, de charcuterie et de fromage.

C’est un peu ça, le chjama e rispondi (littéralement : appel et réponse). in http://www.camperemu.com/viewtopic.php?f=14&t=8186

Certains noms évoqués ici dans mon poème sont vikings, norvégiens, ancêtres présumés de chevaliers normands, eux même ancêtres présumés de siciliens, sardes et autres corses actuels...

Si sbaglia u préte à l'altare : le prêtre, lui, se trompe bien aussi à l'autel...


Bonne lecture



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