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Nouvelles : Aurais-je pu être quelqu'un d'autre ?
Publié par arielleffe le 14-12-2013 15:35:04 ( 1017 lectures ) Articles du même auteur



Je me demande parfois quelle aurait pu être ma vie si j’avais été différente. Mes parents m’ont élevée du mieux qu’ils ont pu, mais ai-je tiré parti de tous mes atouts. Me suis-je assez battue contre l’adversité ? Ais-je commis des erreurs ?
Sans aucun doute. Je ne suis pas célèbre, je ne suis pas brillante, toujours un peu malade, mes deux conjoints m’ont quittée, mes enfants sont-ils assez épanouis, mes parents ont-ils été satisfaits de leur fille ?
Aurais-je pu être quelqu’un d’autre ? Quelqu’un de mieux ?
Et si j’étais née ailleurs, dans un autre pays, sur un autre continent, qu’est-ce qui ce serait passé ?
Devant une telle question, la première réaction pourrait être, et si j’étais née dans un pays très pauvre, à l’autre bout du monde, que ce serait-il passé ?
Je serais née dans une famille pauvre, puisque mes parents ne faisaient pas partie d’une classe sociale élevée. Etant une fille, j’aurais démarré très mal mon existence. Souvent les filles sont considérées comme des êtres subalternes. Je ne serais peut-être pas allée à l’école, mon intelligence ne se serait peut-être pas développée aussi bien. Je serais peut-être morte d’une maladie infantile. Qui peut savoir ? Certaines personnes exceptionnelles sortent du lot et réussissent malgré l’adversité. Comment savoir si mon esprit aurait été assez combatif ? On m’aurait peut-être mariée à 12 ans avec un vieil homme qui m’aurait soustraite au monde. Je n’ai pas fait d’éclat en France, avec moins de moyens je me serais sûrement confondue dans le décor.

Quelle personne célèbre aurais-je aimé être ? Il n’y a que des noms d’homme qui me viennent à l’esprit : Hitchcock, Victor Hugo, George Braque ou Rimbaud. Aurais-je pu être un homme ? La réponse est évidemment non. Le chromosome X de ma mère est venu s’accoler au chromosome Y donné par mon père. Je suis donc une fille, qui a toujours été fière de sa féminité. Je me suis par contre rendu très vite compte qu’on espérait que je deviendrais infirmière et pas médecin, secrétaire et pas directrice ou PDG. Mes parents voulaient que je fasse des études, mais je surprenais parfois des conversations qui faisaient froid dans le dos :
« La fille de Bernadette ne fait rien à l’école ? Ce n’est pas grave, elle se mariera et elle aura des enfants. Ce serait plus embêtant si elle était un garçon. »
Ma mère ne travaillait plus, elle avait arrêté à ma naissance.
« Je voulais m’occuper de vous (ma sœur était née trois ans plus tard), ton père était marin, il n’était jamais là. Je ne me voyais pas vous confier à quelqu’un. Et puis quand il aurait été en congé, il aurait été tout seul ! Ce n’était pas possible. »
Pourtant elle avait toujours regretté son travail de serveuse. Elle rencontrait du monde, elle s’amusait, elle adorait le contact avec les gens. Elle était très appréciée dans son métier.
Il y a plus d’hommes célèbres que de femmes célèbres. Je me disais que je ferais des études et que j’irais le plus loin possible.
J’ai réussi mon Brevet sans le passer, et je suis arrivée en seconde. J’ai vite vu que mes parents n’arrivaient plus à suivre. Au collège c’était déjà difficile, ils n’y étaient jamais allés, mais le lycée étaient pour eux un autre monde.
« Tu vas au grand lycée l’année prochaine. »
Mon niveau en math n’était pas terrible. Quand je ne comprenais pas quelque chose, personne à la maison ne pouvait m’expliquer. A l’école primaire j’avais commencé à décrocher, ma vue était basse et ma mère ne voulait pas imaginer que j’aie besoin de lunettes. De toute façon ça coutait trop cher. Ma sœur avait besoin d’un appareil dentaire, elle n’en a jamais eu pour la même raison.
En Français on peut se débrouiller si on ne voit pas au tableau, je lisais beaucoup, mais si on ne distingue pas un « –« d’un « + «, on a des problèmes. J’ai donc fait un Bac littéraire. Les débouchés après un Bac philo-lettres-langues sont limités, j’ai fait des études d’anglais tout en travaillant comme surveillante. Le fait que j’aie un emploi rassurait mes parents, je gagnais ma vie.
« Tu ne vas pas faire des études jusqu’à 30 ans ? »
Question rituelle. Une de mes cousines faisait aussi des études à l’université, je lui ressemblais beaucoup et personne dans la famille ne savait où ça allait la mener. Je suivais sa trace.
Je suis allée un an en Irlande, j’ai réussi ma Maîtrise avec mention. Il fallait poursuivre à Paris, je n’avais pas assez d’argent, et j’étais épuisée par mes journées à rallonge. J’ai trouvé un travail de professeure d’anglais.
Quelle aurait été ma vie, si j’avais porté des lunettes plus tôt ? Si mes parents avaient eu plus d’argent, s’ils avaient fait des études ? J’aurais peut-être été moins motivée, et je n’aurais rien réussi. Je me serais mariée avec un homme qui aurait eu une bonne situation. J’aurais peut-être été heureuse, je me serais probablement ennuyée. Il serait peut-être parti en me laissant sans ressources.
J’ai mal au dos depuis l’âge de 12 ans. Ça me handicape dans la vie quotidienne, et ça a horripilé mes deux conjoints qui sont restés persuadés que j’exagérais mes douleurs.
Je m’étais inscrite pour faire de l’athlétisme. J’étais très grande, très mince, avec une très bonne détente, j’ai fait du saut en hauteur. Nous avons appris le Fosbury flop, je me présentais dos à la barre, et je m’enroulais naturellement, mon centre de gravité passait sous l’obstacle, j’étais une des meilleures du collège. Maintenant rien que de voir des jeunes filles utiliser cette technique à la télévision, les douleurs me reviennent immédiatement. Après un après-midi d’entraînement, mon dos était en feu. Je m’allongeais sur le canapé, incapable de faire quoi que ce soit. Il fallait une ou deux heures pour que ça passe, mais souvent il fallait attendre le lendemain.
A 17 ans j’ai commencé la gymnastique corrective, je souffrais d’une scoliose, due à une jambe plus courte que l’autre. A 36 ans, un radiologue m’a dit que j’avais la colonne d’une vieille femme obèse. Toutes mes vertèbres étaient abimées. J’avais toujours fait du sport, porté une talonnette, suivi tous les conseils, pourtant il a fallu m’opérer d’une hernie discale, et j’ai toujours mal. Aurait-il pu en être autrement ? Sans le Fosbury Flop, mes douleurs lombaires auraient été moins importantes, mais ma jambe gauche n’aurait pas grandi plus. Le sport a peut-être limité les dégâts.
Quand à 49 ans j’ai fait un AVC, le sport m’a sans doute sauvé la vie. Je menais une vie saine, avec une bonne alimentation. Une pilule contraceptive de troisième génération a fait monter anormalement le taux des triglycérides dans mon sang, un caillot s’est formé dans mon cerveau et a bloqué la circulation sanguine.
Depuis, je suis plus fatiguée, je fais des mini crises d’épilepsie, mais avec un traitement adapté, je vis tout à fait normalement.
Aurait-il pu en être autrement ? Oui, si je n’avais pas pris la pilule. Mais aucun autre contraceptif n’était possible. J’aurais peut-être eu une famille nombreuse, et ma santé en aurait sûrement pâti.
Mes conjoints m’ont reproché de trop m’occuper de mes enfants, et d’avoir une santé fragile. Ces deux hommes n’ont pas été des pères très attentifs. Ils ont toujours fait passer leur bien-être avant celui de leurs enfants. J’ai toujours pensé que le fait d’avoir des enfants représentait un engagement, et que l’on devait faire le maximum pour les élever du mieux possible. Les aider et les soutenir quand on le pouvait. Les conseiller et leur donner de bonnes bases pour affronter la vie. J’ai vécu avec des hommes qui pensaient que seule l’expérience pouvait forger le caractère d’un enfant. C’est sans doute vrai, mais pourquoi laisser ses enfants se débattre dans des difficultés si on peut faire autrement ? La vie dresse tellement d’obstacles devant nous, il vaut peut-être mieux les aider à s’armer pour les vaincre plutôt que les inquiéter inutilement.
Mes problèmes de santé ne sont pas si graves. Mon éducation chrétienne m’a appris qu’un couple devait se soutenir et s’épauler dans l’adversité. J’ai appliqué ce précepte quand les hommes de ma vie ont eu des soucis. Ils ne m’ont pas rendu la pareille. Si je n’avais eu aucun problème seraient-ils restés ? Probablement non. Cette éventualité est impossible de toute façon. Je n’aurais donc pas pu être une meilleure compagne.
Les enfants font toujours beaucoup de reproches à leur mère :
« Tu es trop ceci, pas assez cela. »
Une mère parfaite serait une mère très belle, toujours élégante, qui fait très bien la cuisine, une mère qui aide pour les devoirs, qui offre des cadeaux, qui est toujours disponible et gaie.
« Hum, est-ce possible ? »
J’ai essayé de tendre vers cette perfection, j’avoue que j’en suis loin. Quand on a travaillé toute la journée, qu’on a fait les courses et le ménage, on n’est pas très belle, ni très élégante. On n’est pas très patiente non plus, ni forcément gaie et disponible.
J’ai fait ce que j’ai pu, en gardant de la place pour ma vie de femme, ma vie sociale et amoureuse. Mes copines avaient souvent des mères intrusives, abusives qui jalousaient leurs filles, je ne voulais pas être comme elles. Cultiver mes passions, avoir des amies me semblait faire partie de l’éducation de mes enfants.
Aurais-je pu être une meilleure fille ? Mes parents ont toujours été satisfaits de moi, ils me le disaient :
« Tu ne nous causes aucun souci, tu as bien réussi, tu es belle, tu es grande. »
Quel passeport pour la vie ! Je me sentais forte ! Aimée ! Respectée !
Il paraît difficile d’être quelqu’un d’autre. Nous sommes le résultat d’une hérédité, d’une culture, et d’une éducation. Si on change un élément de notre vie, est-ce qu’elle change en mieux ? Rien n’est moins sûr.
Etre quelqu’un d’autre, ce serait forcément être quelqu’un de mieux. Est-ce que ça aurait été possible, je n’en suis pas persuadée. Ma vie n’est pas finie, je peux encore m’améliorer, être quelqu’un d’autre ? Non, être moi-même c’est déjà bien.
FB arielleffe

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Auteur Commentaire en débat
couscous
Posté le: 14-12-2013 15:48  Mis à jour: 14-12-2013 15:48
Modérateur
Inscrit le: 21-03-2013
De: Belgique
Contributions: 3218
 Re: Aurais-je pu être quelqu'un d'autre ?
Belle réflexion et prise de recul sur les événements de la vie.

On est ce que l'on construit.

Merci pour le partage
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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