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Nouvelles confirmées : Léo " Sans contrepartie"
Publié par malhaire le 26-05-2015 23:25:07 ( 770 lectures ) Articles du même auteur



"Avec Sophie, non sans mal, nous avions fini par trouver un petit logement en région parisienne à Chevreuse, une charmante petite ville située dans le département des Yvelines. C’était en février.
Cinquante mètres carrés pour deux, ou même quatre. Croquette et Orchis avaient aussi emménagé avec nous. Le logement nous semblait petit, mais deux grandes fenêtres de toits qui laissaient généreusement entrer la lumière lui conféraient un charme singulier. J’aimais la vue. Au-dessus de la ville. Souvent, je regardais les toitures blanchies par le givre alors que les tuiles paraissaient se resserrer encore pour se protéger de l’hiver.
J’étais heureux. Je crois que j’avais la vie dont je rêvais.
Ma chienne, elle, malgré d’innombrables promenades ne supportait pas la sienne dans ce petit espace, sous les combles. Elle souffrait continuellement de maux de ventre. Il n’était pas rare qu’au cœur de la nuit je me relève pour l’emmener courir sur les hauteurs jusqu’au château fort de la Madeleine. Après, souvent ses maux s’estompaient.
Sans doute la forêt domaniale de Lyons lui manquait-elle un peu ?
Sophie avait eu quelques entretiens d’embauche dans l’espoir peut-être d’obtenir un travail dans la région, mais le secteur de la petite enfance semblait complètement bouché. Je suppose qu’au fond d’elle, elle était soulagée. Je crois que Sophie espérait déjà notre retour en Normandie et que ma lubie me passerait, comme elle était apparue.
En attendant, presque chaque jour, elle faisait la route jusqu’à Lyons-la-Forêt.

Mes premières semaines de travail à l’institut de rééducation furent assez difficiles.
Assez rapidement, j’avais fait le tour de ce que pouvait être les troubles du comportement des gamins dont m’avait parlés ma chef de service.
Ce qui m’était apparu abstrait au départ, s’était brutalement révélé à moi comme des réactions observables ou même une réalité tangible.
Les sentiments ou les affects de ces gamins n’étaient pas endigués. Tout n’était que pulsions et rien ne semblait pouvoir contenir leurs envies, leurs colères, leurs peurs ou leurs angoisses. Les carreaux des fenêtres éclataient parfois.
La violence était gratuite et l’agressivité omniprésente. Les sentiments de jubilation et de désarroi paraissaient se confondre sans que l’on puisse parvenir à les démêler.
Certains vivaient leur manque de confiance en eux de manière si abrupte qu’ils pouvaient totalement s’isoler ou donner le sentiment de se retirer du monde. Il m’arrivait de ressentir moi-même ce sentiment.
D’autres, comme gouvernés par une forme d’omnipotence, pouvaient tout à coup provoquer et défier tout ce qui pouvait représenter pour eux une posture autoritaire lorsque des contraintes de socialisation venaient tout à coup effleurer leur propre insuffisance ou la moindre faiblesse.
Je restais souvent totalement sidéré.
Alors que quelquefois, il m’arrivait de penser que j’étais enfin parvenu à établir une relation bienveillante ou structurante, certains gamins ne pouvaient s’empêcher de mettre tout en place pour l’anéantir. Comme incapable d’accepter de l’aide ou un appui pour se construire, certains finissaient par fuir ou tout détruire.
Que pouvais-je y comprendre ?
Bientôt, en touchant du bout des doigts leurs fragilités, les portes des chambres de l’internat se refermaient brutalement. Comme pour se défendre ou paradoxalement, venir me chercher, ils me tenaient à distance, bien incapables alors de saisir la moindre chance qui aurait pu permettre l’élaboration d’une relation authentique. Il m’apparaissait si compliqué d’être à la fois présent et sécurisant sans pour autant être intrusif.
Mais comment ces mômes s’y étaient-ils pris pour en arriver là ?
Je le découvris peu à peu.
Très souvent leurs maux naissaient de carences affectives ou éducatives. J’avais supposé aussi quelques cas de maltraitance, des traumatismes profonds ou même des milieux sociaux difficiles, ou quelques désagrégations de cellules familiales.
Je n’avais aucune formation et le plus souvent, j’étais en roue libre, débordant de bons sentiments. Au-delà des troubles consentis, de temps à autres, je touchais chez ces jeunes une candeur des plus pures et souvent une sincérité des plus massives.
Je comprenais que ces gamins tentaient d’échapper à leur propre histoire ou à leur quotidien.
J’étais saisi lorsque je les voyais réclamer aux adultes un peu de féérie, tantôt du merveilleux ou encore de la magie. Je n’avais pas imaginé qu’il était possible de s’attacher autant à eux. J’étais comme parti en guerre et j’en revenais désarmé et attendri.
Aussi, j’assimilais qu’au démarrage le métier d’éducateur était peut-être l’un des plus complexes qui soit. Je me souviens même qu’au début, tout semblait s’amalgamer en moi au point de ne plus savoir si la douleur que je ressentais était la mienne ou la leur. Aussi, si cette douleur était bien la leur, je m’interrogeais et tentais de déterminer si mon rôle était de la prendre et de la faire un peu mienne.
Je me rappelle certaines nuits où je m’étais réveillé plusieurs fois en ressassant leurs histoires personnelles trop souvent insoutenables.
Subséquemment, la mienne au fond de moi résonnait plus fort encore. Tout me faisait violemment écho au point de douter terriblement de ma place auprès d’eux. N’étais-je pas trop manquant, fragile ou entamé ? Etait-il mieux d’avoir aussi quelque peu souffert ou d’être un brin incomplet pour exercer ce métier si délicat ?
A quoi pourraient bien me servir mes propres inaptitudes, mes différences ou mes blessures intimes ? Faisais-je fausse route en imaginant que devenir éducateur pouvait être la résultante d’un long chemin de vie, qui au fond, n’appartenait qu’à celui qui l’avait emprunté ?
Je tentais de faire la liste de mes qualités qui sans doute me seraient utiles si je décidais de persister. Alors, je m’accordais un peu de bons sens, des valeurs altruistes, un soupçon de bonne intelligence, un peu de retenue et de patience, et enfin, quelques capacités d’écoute et de discernement.
Etais-je pour autant un philanthrope ? J’en doutais très souvent.
Pourquoi voulais-je à ce point être utile aux autres ? Quelqu’un finirait bien par trouver ça suspect. Je cherchais à comprendre ce que pouvait bien chercher à réparer un éducateur. Finalement, n’était-il pas toujours question de soi ?
Tans pis, je me disais qu’il était possible de mettre cette question de côté.
Si les éducateurs n’étaient pas des héros, cela n’avait pas vraiment d’importance. Peut-être n’étaient-ils là que pour être ce que chacun devrait pourvoir incarner gracieusement, naturellement, dans un monde où tout tournerait rond.
Mais voilà, le monde n’était pas celui que j’attendais.
Ma prétendue philanthropie me rapportait de l’argent.
Je le déplorais.
Depuis toujours je rêvais d’un monde où la seule quintessence de notre existence pourrait nous suffire pour prendre soin de l’autre, grassement et sans contrepartie..."

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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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