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Nouvelles : Ma France à moi – Partie 5 – Versailles
Publié par christianr le 16-03-2016 20:40:00 ( 1337 lectures ) Articles du même auteur



Ma France à moi – Partie 5 – Versailles

J’ai probablement rêvé de pluie toute la nuit. La soirée d’avant m’avait créé un choc post-traumatique, car la première chose que j’ai faite après m’être levé a été d’acheter une carte prépayée pour les cabines téléphoniques. Plus jamais ! Ironiquement, il ne pleuvrait pratiquement plus pour le reste de nos vacances. La loi de Murphy me suivait partout, même à travers les océans ! Il était tard. Après tout, la veille, enfin je devrais dire ce matin-ci, on s’était couché à 5 h - 6 h environ. Le jour était donc beaucoup avancé.

Vu la limite de temps, on n’avait pas fait grand-chose du reste de la journée. Je me rappelle qu’on avait pris un bateau pour faire le tour de la Seine. J’avais craint un certain mal de mer (j’avais tendance à en faire de nature), d’autant plus que j’avais pas mal bu la veille. La Seine n’était pas un plan d’eau qui tanguait beaucoup, il sembla que j’avais été épargné. Ce qui était merveilleux avec cette navette, c’est qu’on voyait le meilleur de Paris sans se fatiguer à marcher. Ça tombait bien, j’étais crevé et de plus j’avais un côté paresseux assez présent. Entre deux efforts, vaut mieux choisir le moindre. Une loi que j’affectionnais beaucoup. J’appréciais d’ailleurs beaucoup la technologie à cause de cela. J’avais même élu ce métier pour cette raison. Malgré ce que je m’imaginais dans mon ego de rebelle, j’aimais la facilité. C’est si… facile justement.

Rendus au soir, nous avions décidé de rester tranquilles. Car le lendemain serait entièrement prévu à une visite que j’attendais de faire avec impatience, soit celle de Versailles. Quand je pensais à Versailles, des images évidentes de noblesse me venaient à l’esprit, mais surtout celles de la Révolution française qui marquait la fin de la monarchie à travers l’Europe. Dans ma tête, cet endroit était une apothéose au niveau historique, vu les changements politiques d’importance dont ils sont les précurseurs. J’espérerais et j’espère toujours voir un évènement similaire se répéter aujourd’hui avec nos monarques modernes.

Si l’on était calme cette soirée-là, cela ne signifiait pas dire qu’on n’allait pas fêter un peu. On entendit dire que cela festoyait assez bien au bar de l’auberge. Nous voulions le constater par nous-mêmes. Ce fut mes premières expériences avec le vin rouge.
Il faut expliquer qu’avant de venir en France, j’étais frileux avec le vin rouge. Je ne consommais que du blanc et encore, c’était quand je ne pouvais boire autre chose. C’était probablement relié à ma jeunesse. Je me souviens que tous petits, mon frère et moi, on voyait nos parents déguster du vin rouge. On les achalait*1 sans cesse pour y goûter. Tout comme n’importe quels parents dignes de ce nom, ils ont fini par céder. Nos pupilles gustatives juvéniles n’étaient pas prêtes à ce choc. C’était une horreur. On se demandait comment les adultes pouvaient boire et aimer ce jus au goût chimique. C’était depuis ce temps-là que j’ai gardé un jugement sur le vin rouge. Je suis persuadé que si mes parents m’avaient fait essayer la bière à ce moment-là, le même verdict serait tombé.
J’étais en France, c’était le temps des expériences. Mes amis voulaient commencer la soirée avec du vin rouge, c’était ma chance. On me servait le liquide tant appréhendé dans le verre. Je le regardais comme si l’on venait de me donner de l’eau de vaisselle. Je comptai jusqu’à trois et je plongeai. Je n’en revenais pas ! Comment avais-je pu être si ignorant jusque-là ? J’avais l’impression d’avoir gaspillé des années de saveurs et de bonheur. Je savourais la France à grande gorgée. À partir de ce moment, j’avais compris que je ne devais plus me fier à mes préjugés qui naissaient de mon enfance. Je serais l’aventurier de la gastronomie. C’était d’ailleurs après cela que j’allais essayer les différentes cuisines de toutes les cultures. Je ne voulais plus rien manquer.

Cette soirée allait devenir notre rituel. Un repas avec du rouge et ensuite, on se continue avec de la bière. L’auberge de jeunesse était plutôt mal dépourvue question bière. Il n’y avait qu’une distributrice de Kronenbourg 1664 en canette. Pour mon palais, ça goûtait la binette, mais pour se saouler c’était parfait. C’était surtout que pour moi, même au Québec, je considérais que la canette comme réceptacle ne rendait pas justice à la bière. Je trouvais que justement le goût métallique prenait trop le dessus sur tout le reste. La bouteille verte ou brune était beaucoup plus digne et enfermait beaucoup mieux l’arôme de la céréale. Mais bon, un vrai Québécois ne refuse jamais une broue même servie dans un crâne humain. La bière était, surtout depuis la chute de l’empire catholique, devenue plus importante que l’eau bénite. Tout comme les Fremens*2 avec l’eau, on ne la gaspille pas.
On socialisait tant bien que mal avec les différents habitants de l’auberge. Je dis « tant bien que mal », car étant tous étrangers, la plupart ne parlaient pas français et à peine l’anglais. L’écart de communication mêlé avec l’état d’ivresse avancé demandait beaucoup de concentration à tous. J’avais l’impression d’être Jacques Cartier qui tentait de communiquer avec les premières nations*3. Toi venir d’où ? Moi venir Québec.

Enfin, il fallut se résigner à aller se coucher. On ne pouvait se permettre de se réveiller tardivement cette fois. Malheureusement, le sommeil tardait à venir. Je n’étais pas assez saoul pour ne plus entendre les bruits environnants, qui étaient, disons-le, envahissants. De plus, comme je m’étais levé très tard cette journée-là, mon horloge biologique était très déréglée. Je regrettais de ne pas avoir fait l’effort d’aller acheter des bouchons pour oreille. Mes amis, eux, ne semblaient pas avoir ce problème. Ils coassaient comme des ouaouarons*4 en pleine période de rut. J’avais aussi de fâcheuses tendances à l’insomnie. Un autre avantage de l’anxiété chronique. À ce moment-là, je n’avais pas encore saisi le mécanisme que plus tu essaies de dormir, moins tu dors. Il m’a fallu une dépression nerveuse pour le comprendre. En fait ironiquement, cette même dépression nerveuse arrivera à me faire débarrasser définitivement de ma timidité maladive ainsi que différentes peurs absurdes que j’avais avant cette époque. Comme s’il fallait absolument toucher le bas-fond pour se décider à régler tous nos problèmes. L’humain est ridicule comme cela.

Enfin, j’ai dû réussir à sommeiller un peu, puisque je me rappelais que j’étais quand même en forme en me levant. Après avoir mangé, on prit nos cliques et nos claques et on partit vers le métro. De là, on se rendit à une station pour les trains de banlieue, car Versailles était en dehors de Paris. Le trajet nous permit de voir le décor banlieusard de France, rempli de graffitis de toutes sortes. L’arrivée du wagon à la gare de Versailles signifiait la fin de la visite de ce musée des Beaux-arts en plein air.
Après être sortis du terminal, nous avions une petite marche à faire avant d’être au château. C’est à cet instant que j’annonçai à mes amis mon intention de m’arrêter à une pharmacie. Je voulais ardemment me procurer des bouchons pour oreille. On avait donc erré un certain moment pour trouver un endroit qui en vendrait. Un doute m’était venu à l’esprit. Dit-on vraiment « bouchons pour oreille » en France ? Je me rappelais qu’on disait plutôt « Boules quiès ». Étant donné que d’avoir l’air ridicule était pour moi une des pires choses qui pouvaient m’arriver, je ne préférais pas prendre le risque. J’ignore toujours aujourd’hui si les Français appellent ça aussi « bouchons ». D’une façon ou d’une autre, j’étais grotesque.

Après m’avoir acheté de la paix nocturne, on continua notre chemin. On sut qu’on s’approchait dès qu’on aperçut un amalgame de touristes apparaître dans la rue. L’endroit était grandiose. Par sa splendeur et son immensité. Il était dur de croire que cet endroit servait de maison à deux personnes en particulier. On ne pouvait que se sentir petit. On se dirigea vers l’arrière et on put y voir le jardin. Nos yeux ont tous de suite décelé le labyrinthe. Comme des enfants, on s’y était précipité. On avait tous joué dans le passé à des jeux de rôle dont la plupart se passaient dans la période médiévale. À ce moment précis, on s’était pris littéralement pour des chevaliers en quête d’aventure. Les sculptures que l’on rencontrait devenaient soit nos ennemis, soit des alliés que l’on devait défendre. On se courrait l’un après l’autre comme si le château de Versailles était notre terrain de jeu, juste pour nous.
Et puis, nos péripéties nous firent découvrir un trésor. Une arène cachée dans le labyrinthe avec des objets en or et de grandes estrades. On supposa que c’était là que le roi et ses courtisans regardaient des spectacles extérieurs. On était ébloui. Notre imagination partait en vrille. Éric voyait des gladiateurs qui se combattaient. Martin, la même chose aussi pour des raisons différentes. Moi je me figurais plutôt des théâtres, des comédies, des opéras s’y jouer. Je m’imaginais presque parler à Molière, je lui aurais demandé un autographe. L’endroit était fermé, c’était dommage, on aurait pu y chanter « Bobépine »*5 a cappella.

Enfin, on quitta nos fantasmes pour aller réserver une visite du palais. Notre guide était une femme française d’âge mûr. Elle devait être assez quelconque, car j’ai à peu près oublié à quoi elle ressemblait. Elle nous fit le tour des diverses pièces, toutes luxueuses et très grandes, montrant tout l’abus des monarques de l’époque. La galerie des Glaces était certes la plus éloquente de ce côté. Je m’étais imaginé le nombre de pains qu’aurait pu acheter une seule de ces œuvres en verre. Je crois que la France aurait pu être nourrie pour longtemps. Les révolutionnaires avaient raison.
Ensuite, l’accompagnatrice nous amena dans la chambre du roi. J’ai vu le lit et je n’ai pu m’empêcher de demander : « C’était son lit quand il était enfant ? » Elle me répondit : « Oh non ! C’est son lit d’adulte, les gens étaient petits à l’époque. » J’avais les yeux gros comme des vingt-cinq cennes. Avoir vécu à cette époque, j’aurais été un géant ! Moi qui avais toujours été petit, j’en salivais. La France m’aurait vénéré comme le géant Ferré. Puis je me suis mis à regarder Éric, et j’ai descendu de mon nuage. Elle nous fit visiter ensuite la chambre de la reine. C’est là que j’ai posé une autre question : « Le roi et la reine ne couchaient pas ensemble ? » « Non, c’était les classes inférieures qui le faisaient. » Eh ben, pour une fois je ne les enviais pas d’être riches. Puis, je me rappelais que les monarques ne choisissaient jamais leurs épouses. Je m’étais dit que c’était mieux qu’ils ne dormissent pas l’un avec l’autre après tout. En finale, elle nous amena dans la salle du trône. J’étais un peu désappointé. Je m’attendais à un gros fauteuil fait en or. Mais je n’apercevais qu’une chaise avec des boiseries dorées et du tissu rouge. La guide nous invita à nous y asseoir à tour de rôle. Pendant un instant, je sentais que c’était moi qui avais les rênes de la France. Je ne trouvais pas cela très confortable, autant le siège que la position elle-même. Je n’étais pas fait pour le pouvoir. J’en avais déjà assez de m’occuper de moi-même.

Après la visite, il fallait bien souper. On vit un restaurant dans les jardins de Versailles. C’était cher, mais on s’était dit qu’on avait bien le droit de se gâter par moment. C’était un restau français. Un vrai. Le premier de tout le voyage. Sans vouloir faire mon téteux*6, les Français méritent leur réputation. La poutine sembla être de la bouillie pour les chats après avoir mangé leur cuisine. On se délectait autant du repas que du décor. C’était parfait.

On quitta Versailles au soir. À l’auberge, il n’était pas question de veiller. Car le lendemain était le départ vers une nouvelle destination : Strasbourg. Nous voyagerions enfin plus profondément dans la France.

*1 Du verbe achaler : synonyme importuner
*2 Fremens : référence aux indigènes de Dune de Frank Herbert.
*3 Premières nations : terme pour désigner le peuple Amérindien au Canada.
*4 Ouaouaron : Grenouille.
*5 Bobépine : Chanson québécoise célèbre de Plume Latraverse contant la vie d'une prostituée de Montréal.
*6 téteu : flagorneur

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Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 03-08-2012 17:14  Mis à jour: 03-08-2012 17:14
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9499
 Re: Ma France à moi – Partie 5 – Versailles
Et toujours ton humour et tes expressions délicieuses et si curieuses pour nous.
Parfois je ressens nos cultures respectives comme un enfermement qui nous privent de la vue, et de toutes perceptions.
En fait je veux dire que je voudrais bien "découvrir" Versailles, je connais plutôt bien ce château pour l'avoir visité plus d'un soixantaine de fois dans ma vie et je ne sais pas le "découvrir".
Je ne sais pas le voir avec un regard neuf.
Tout comme je ne sais pas ce que vaut la cuisine Française, je ne me souviens pas de ma découverte du vin...
Merci de nous faire partager ta vision et tes sensations.
C'est une belle lecture.
christianr
Posté le: 03-08-2012 22:38  Mis à jour: 11-03-2016 05:57
Plume d'Or
Inscrit le: 17-03-2012
De: Boisbriand, Québec
Contributions: 125
 Re: Ma France à moi – Partie 5 – Versailles
Citation :
Parfois je ressens nos cultures respectives comme un enfermement qui nous privent de la vue, et de toutes perceptions.


Pas faux ce que tu dis, j'ai la même observation de mon coté pour le Québec. Beaucoup de Français parlent de nos grands espaces, de notre nature. Or, moi je regarde ça et j'en baille presque. On prend trop ce que l'on a autour de nous pour acquis. Comme tu dis, on devrait oublier tout et redécouvrir ce qu'il y a autour de nous.

Cela me fait penser à une expérience. Il y avait une rue que je passais toujours en auto, et je ne la remarquais pas plus qu'il faut sinon que ce n'était qu'une rue comme les autres. Un jour, mon auto tombe en panne, m'obligeant à passer dans cette rue à pied. J'ai pu découvrir pleins de secrets et de beauté que je n'avais jamais vu. On ne prend plus le temps de découvrir nos environs.

Citation :
Merci de nous faire partager ta vision et tes sensations.


Et merci de tes mots toujours encourageant. J'aime bien évidemment la critique constructive, mais c'est toujours plaisant de voir qu'on apprécie ce que l'on fait.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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