Bacchus : C'est vrai que c'est étonnant de constater que les souvenirs peuvent commencer très tôt. Je suis presque sûre d'avoir manquer d'étouffer dans mon landau que ma mère et ma grand-mère avaient mis trop près de la fenêtre. J'ai encore cette sensation de trop grande chaleur sur mes jambes et sous la capote de la poussette rabattue pour me "protéger" du soleil. Je pleurais et les deux femmes me disputaient.

Ton histoire est très jolie et très émouvante. J'ai beaucoup tardé à répondre à ton défi parce que j'étais un peu débordée, je suis désolée.

3ème enfant d’une fratrie de 8 frères et sœurs, j’ai pour souvenir marquant, les dimanches ou mon père vêtu de ses plus beaux habits et , alors qu’il ne fumait pas , un cigare au lèvres, en partance en compagnie de mon oncle et de votre serviteur ,pour le match de rugby à l’US Tours ,dans le stade qui se situé à moins de 400m de la maison .Ses plus beaux habits étaient en l’occurrence un pardessus bleu marine avec une ceinture qu’il laissait pendre, et qu’il( il me l’a confié bien plus tard) avait acheté au sortir de la guerre avec sa prime de démobilisation. J’ai compris lors de cette révélation, les raisons pour laquelle il tenait plus que tout à ce pardessus qu’il a porté pendant très très longtemps.
J’étais alors âgé de 6 ou 7 ans et, compte tenu de ma taille, je me souviens que je mordais dans la main courante en ciment du stade qui m’arrivait à hauteur de la bouche ; curieux souvenir !!!!
Les plus grands joueurs de l’époque, dont les frères Prat Jean et Maurice, Robert Soro, Eugène Buzy, Roger Martine, Antoine Labazuy, tous internationaux ( et dont le nom ne parle plus qu’ a un tout petit nombre !!!) qui venaient jouer à Tours , cela suscité un engouement incroyable dans le landernau Tourangeau, au point que le stade Tonnelle paraissait bien petit pour accueillir tous ces fans de rugby.
Mon père qui tenait boutique rue Colbert y compris le dimanche, fermait son étal de boucherie vers 13h 15, et avait juste le temps de rentrer à la maison, faire sa toilette dans la cuisine à l’aide d’une bassine, (à l’époque pas de salle de bain, de baignoire ou de douche), puis d’enfiler son fameux pardessus bleu marine, porter un cigare à ses lèvres, qu’il n’allumait d’ailleurs pas !!!! , et en compagnie de mon Oncle boulanger (surnommé : Dédé la Boulange), moi courant derrière, direction le stade pour le match de 15 heures. J’ai toujours en tête la classe que dégageait à mes yeux mon Père et mon Oncle, et je pense que ce regard d’enfant que je portais sur eux n’était en rien surfait : ils étaient véritablement, magnifiques et superbes. Merveilleux souvenir d’une enfance heureuse passée hélas bien trop vite.
Aujourd’hui, lorsque j’évoque cette période avec mon père âgé de 93 ans, et qu’il me cite les noms de tous les joueurs adverses et Tourangeaux de l’époque, je redeviens l’espace d’un instant l’enfant de 5 ans que j’étais, et je passe ma langue sur mes dents de devant pour vérifier qu’elles ne portent pas les stigmates de la main courante en ciment, que j’ai encore mordu, le temps du récit de mon père….. !!!!

Cher Kjtiti, ton texte m'a beaucoup plu.Beaucoup.
Quand un adulte a la faculté de pouvoir faire une introspection dans ses souvenirs et de faire resurgir des images, des goûts, des odeurs et des sensations de sa toute première enfance, je considère que cet adulte est un privilégié.
Il y a , dans la narration de ces souvenirs, un souffle particulier que nous ne saurions apporter à une histoire construite. Qui pourrait songer à la sensation du béton sur le palais d'un enfant ?
Il faut avoir vécu ces moments uniques pour savoir le prix symbolique d'un pardessus, pour son papa.
Moi aussi, j'avais un père qui avait une passion bizarre pour un lourd manteau kaki qui traversait ses hivers, pour le pénible et long trajet de son travail, et qu'il venait jeter le soir sur mon lit lorsque le froid rendait les draps humides: J'ai retrouvé des photos datant de sa période de maquisard, lorsqu'il s'était retrouvé en Forêt Noire, à la suite des troupes américaines. Il portait, dans la neige, ce sacré manteau kaki qu'il a du traîner encore pendant vingt ans, une fois la guerre finie.
Les souvenirs, Kjtiti.....Notre héritage, notre richesse, la raison de ce que nous sommes devenu.
Merci d'avoir, le mot est vraiment celui qui convient, partagé.
Amicales pensées de Bacchus

Chère Arielle,

Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'être sous hypnose, comme certain le font, pour pouvoir remonter dans le cours de nos souvenirs.
Ces souvenirs de landau, très certainement authentiques, peuvent permettre de remonter le fil du temps, ou l'époque même de ces souvenirs.
Pour ma part, j'ai pu stocker une impressionnante quantité d'images que je ne suis pas censé avoir.
Ma mère, incrédule, haussait les épaules quand je lui en parlais. Elle préférait penser que je les tenais de quelqu'un qui m'en avait parlé. Et pourtant, à part elle, qui aurait pu me dire comment elle me faisait manger ma bouillie, enlever ( pardon...) mon ver solitaire autour d'un bâton, fait faire la sieste en me disant " allez, dodo " pendant que les grenouilles coassaient dans la mare, prés de la maison...et mille petits souvenirs d'avant mes trois ans?
L'apprentissage des couleurs... Le rouge était la couleur de la lampe de poche qu'on accrochait le soir au pied de mon lit, pour que je m'endorme pendant que la famille était dans la cuisine.L'orange était la couleur d'une affiche publicitaire , sur notre boulevard.
Le bleu marine...ah, ce bleu marine ! C'était la couleur du petit flacon de parfum de maman, un parfum dont on parlait à la tsf .." Soir de Paris...Parfum de Paris...".
Le blanc, la couleur de la belle casquette que j'avais perdu. Le noir, la couleur des perles des couronnes abandonnées au cimetière et avec lesquelles je jouais quand ma famille pleurait sur la tombe de mon frère. Le gris, un gris sale et triste, la couleur de la Manche un jour de tempête, la première fois où j'ai vu la mer.
Bon...Je ne vais pas vous passer toute la palette en revue. Mais je pourrais !

J'adore voir le monde à travers les yeux de cette petite fille. Il ya des obsédés de tous âges !

Merci pour ce voyage dans le temps et ton monde Arielle

Couscous

Texte touchant d'un petit qui admire les grands. On redevient en effet un enfant lorsqu'on évoque ce genre de souvenirs.

Merci pour le partage Kjtiti

Couscous

kjtiti : Mordre dans du ciment, mon fils aurait pu faire la même chose, ah ces gosses !! Ce qui est amusant, c'est que mes enfants commencent à me raconter leurs propres souvenirs, c'est émouvant, ils se rappellent tellement d'événements.

Bacchus : j'ai rencontré quelqu'un qui n'avait aucun souvenir avant ... 18 ans ! et il n'a pas 30 ans, c'est incroyable. Je pense que dans des cas comme celui-là l'hypnose peut être efficace. Nous ne sommes pas si nombreux à avoir des souvenirs si anciens, je pense que c'est une grande richesse.