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Nouvelles : Bunny
Publié par alexis17 le 11-07-2014 00:23:38 ( 951 lectures ) Articles du même auteur



Merci de me lire et de me commenter. Bonne journée à vous et, j'espère, bonne lecture !

La cigarette pendait entre ses lèvres et, malgré la cendre tombée sur son buste las, Bunny, inerte, continuait de fixer le flot frénétique de lumière. Son iris était figé sur le poste de télévision, images psychédéliques et abrutissantes du câble nocturne, ballet de couleurs difformes et de ternes figures. Entre deux programmes, une vague de publicité déferla sur les ondes dans un fracas d’aberrances sonores et visuelles : « Climatisation offerte sur tous nos modèles, beuglait un cinquantenaire moumoute dévissée et costard bon marché. ». Bunny épousseta la cendre de son débardeur et jeta son mégot dans le fond de son whisky. Elle se saisit d’un glaçon et le fit fondre dans le creux de sa nuque. « Quelle putain de chaleur… ».

Elle éteignit le poste et trimballa sa carcasse éreintée jusqu’au balcon. Un loup traversa le parking à moitié vide et Bunny le suivit du regard avant qu’il ne disparaisse entre les buissons. Au milieu des ténèbres, l’enseigne blafarde du Joe’s Chicken scintillait de ses néons rougeoyants et un gigantesque poulet lumineux semblait toiser les passants de son œil étincelant. Bunny regarda une dernière fois le téléphone, silencieux depuis presque trois jours, et se décida à sortir.



Un filet de sueur glissa entre ses omoplates ; un frisson parcourut son dos tandis qu’elle pénétrait dans l’antre du poulet, alléchée par l’odeur de graisse et friture. « Vous avez choisi ? ». Bunny regardait chacune des images mais il n’y avait absolument rien qui différenciait les blancs des cuisses et la sauce barbecue de la mayonnaise. « Je vais prendre des ailerons à la mexicaine, dit-elle sans réelle conviction. Avec des potatoes et un Coca. Et où sont vos chiottes ? ».

Bunny traversa le fast-food et s’aventura dans les méandres des toilettes pour femmes où une rivière croupie avait fait son lit, baignant dans un flot nauséabond le carrelage beige, hideux. Elle baissa la cuvette et, une fois assise, découvrit un étrange message sur la porte : « Qu’est-ce que tu fais ? » taggué au feutre noir. Bunny pouffa, comme pour évacuer la pression devant cette vulgaire blague, et sortit de sa ceinture le calibre quarante-quatre. « Je le braque et je m’enfuis loin de ce motel et de ce téléphone… ». Sa respiration était lourde et saccadée, sauvage et indocile ; elle suffoquait presque, compressée par ses angoisses et ses peurs, par sa fureur et sa rage qui la rongeaient de l’intérieur.

« Sniff », une adolescente s’était agenouillée dans le ruisseau brunâtre pour sniffer sa dose de coke sur la cuvette ; le mélange coca et mort aux rats purgeait ses narines dont le pénible souffle traduisait une léthargie hallucinogène. Son corps glissa sur le sol et sa joue s’écrasa par terre dans un gémissement, un sourire. Bunny plongea dans son regard vitreux et essaya d’y percevoir ses chimères, en vain ; elle n’entrevoyait que le reflet des moutons poussiéreux au plafond, pendants et tournoyants au gré de la climatisation. « Ces moutons-là ne sautent pas par-dessus des barrières, pensa Bunny ».

Elle rangea soigneusement le flingue dans sa ceinture, mit son haut par-dessus et, après un bref jet d’eau sur le visage, ressortit chercher sa commande. Le poulet était sec et pas assez épicé mais le goût importait bien peu ce soir-là ; ses esprits divaguaient loin de ce restoroute pourri et de cette nourriture grasse et sans saveur. Bunny courre dans une plaine infinie ; elle trébuche et s’allonge dans la boue ambrée ; ses mains étalent par poignées la terre humide sur son corps, retour ancestral aux origines du monde. « Ahhhh !!!! criait-elle, seule. ».


***



Bunny se réveilla en sursaut, recroquevillée sur les draps plissés, dégoulinante de sueur ; elle jeta un regard en direction du téléphone, muet. Elle essaya vainement de se souvenir de son rêve mais seul un fond noir, éclat de ses tristes cauchemars, envahit son esprit tourmenté. Elle attrapa sèchement la bouteille de whisky sur la table de chevet et essaya, verres après verres, de saouler ses mémoires dans l’ivresse écossaise.

« Et si j’étais en enfer ? Si l’enfer c’était ça, passer toute sa vie entre ce motel miteux et la baraque à poulet d’en face… ». Mais que serais le coup de fil si ce n’est un paradis inespéré, lui répondit une voix intérieure. Non, non, ici tu es dans le néant ; tu attends impatiemment cet appel qui te délivrera de cet endroit morne et sans vie ; mais combien de temps attendras-tu avant d’embarquer la caisse et les biftons du poulet à coups de revolver ? Bunny, ma pauvre Bunny, regarde-toi une bouteille pour oublier tes visions nocturnes et tuer tes démons. Mais je suis là, à jamais en toi. Allume la télé, fais ce que tu veux, je ne suis que le reflet d’une triste vérité, ma douce Bunny.

« Un billet de train acheté, c’est vingt-cinq pour cent de remise sur l’entrée… ». Bunny augmenta le son mais impossible d’étouffer cette voix au flot de paroles infinies. Ah ! Regarde-toi ! Tu t’affaisses sur toi-même, tu n’es plus qu’une ruine, qu’un corps étêté, à jamais vidé de son âme. Un rictus se creuse sur ton visage, un rire pour supporter tes douleurs passées. Tu serres ta nuque pour me faire suffoquer mais mes paroles sont intarissables, ancrées dans ta tempe, un canon fumant sur ton crâne. Pan ! Pan !

L’alcool se mit à fumer dans ses veines, lancé sur les rails de son cœur, direction le foie pour un feu d’artifice intestinal. Kaboum ! Les tripes sur la moquette ! Ta vue se floute mais je suis là ; tes jambes te lâchent mais je suis là. Dring ! Dring ! Il n’y a que moi qui sonne ! Cet appel, ce n’est qu’un prétexte pour ne pas vivre ta vie, tu as peur, tu vis dans ta peur mais je suis ta peur, je suis tes phobies et tes craintes, tes doutes et croyances, tes désirs et tes amours… Le téléphone sera muet aussi longtemps que tu le voudras, Bunny.


***


Une pluie torrentielle s’abattait depuis bientôt trois jours et Bunny, enfermée avec sa propre conscience, commençait à perdre la raison, regardant à longueur de journée ce paysage apocalyptique, ces éclairs lumineux pourvoyant l’horizon ténébreux. « Les trombes d’eau sont devenues mes barreaux, ma prison aquatique et bientôt mon tombeau. Le flingue posé sur la table pourra-il me libérer de cet enfer ? Plusieurs fois déjà je l’ai collé dans ma bouche mais je n’ai pas encore osé me finir. Le sang giclera sur le papier peint décrépi et ma tête trouée s’écrasera sur le lit défait. Quelle triste mort… Je m’éteindrais comme j’aurais vécu, dans la solitude éternelle, à attendre un appel qui jamais ne vient. J’attends que l’on appuie sur la détente et j’attendrais peut-être à jamais. Je patiente, je patiente, mais je ne fais que retarder, me dérègler et bientôt la machinerie infernale s’emballera dans un dernier accès de rage, une dernière danse avec le canon et mes yeux inertes. ».

La bouteille de whisky traversa le balcon et mille cristaux de verre s’étalèrent sur le macadam pluvieux, luisants sous le tonnerre étincelant et les néons du poulet. Le visage de Bunny n’était éclairé que par le terne poste enneigé et ses traits saillants n’étaient désormais que des arêtes déformées par la folie, des plis et des bosses défigurées, ruines de la beauté et de la délicatesse. Elle posa le revolver sur la table et le fit tourner : « Choisis. ».

Am, Stram, Gram, ta tête, le fast-food… Il faut te décider, Bunny. Je bourdonne, je bourdonne et il tourne, roulette russe dont tu ne seras que perdante. Sa sentence est déjà écrite, Bunny. Tu t’en remets au hasard, mais le hasard, ce n’est que toi qui le manipule. Tu as déjà décidé, Bunny : ce soir, douce Bunny, tu vas mourir.



« Je vous sers quoi ? ». Pan ! Son corps s’écrasa sur le carrelage laiteux. Inerte. Le gérant plongea sous le comptoir et sortit son fusil à la main. Bras tendus, mâchoire serrée. Il déglutit. « Alors, cowboy, tu décharges tes munitions sur ma sale gueule de pouffiasse ? ». Il déglutit.

Je bourdonne. Je plane sur ta tête, couperet tranchant, étincelant. Ce soir, Bunny, tu vas mourir. Regarde-le Bunny, cet homme si ordinaire va te tuer. Bunny, ce soir, tu vas mourir ! Bunny ! Crie maintenant ! Hurle ! Exulte ! Jouis avant qu’il ne soit trop tard ! Bunny !

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Auteur Commentaire en débat
EXEM
Posté le: 11-07-2014 03:24  Mis à jour: 11-07-2014 03:24
Plume d'Or
Inscrit le: 23-10-2013
De:
Contributions: 1480
 Re: Bunny
Alexis, j'ai beaucoup aimé cette nouvelle "noire". L'atmosphère, les personages, et la nuit sont par definition les composants du style "noir". Un style que j 'adore. L'histoire est simple mais elle n'est que la porte ouverte sur la psychologie de l'héroine. On vit avec elle et l'on étouffe avec elle : signe de la qualité de l'écriture. Je te l'ai déjà dit, tu y excelles. Bref. Encore un beau travail qui m'a procure un bon moment de lecture. Continue. Tu as du talent.
PS. J'ai aimé revoir ce poulet au neon ou ce neon de poulet que je connais bien.
Marco
Posté le: 11-07-2014 10:58  Mis à jour: 11-07-2014 10:58
Plume d'Or
Inscrit le: 17-05-2014
De: 24
Contributions: 725
 Re: Bunny
Alexis,

Voilà ce que moi je vais appeler un formidable huis clos entre Bunny et sa conscience,
Avec évidemment une atmosphère sordide dans les breaks qu'elle s'octroie.

Avec une douce et aigre lâcheté de ne pouvoir appuyer elle-même sur la gâchete.


Tu es magnifique dans l'idée et dans la réalisation.

Bravo alexis

Marco
Donaldo75
Posté le: 11-07-2014 19:22  Mis à jour: 11-07-2014 19:22
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Bunny
Bravo Alexis, l'ambiance est tellement bien travaillée qu'on sent la pisse dans les chiottes du fast-food.
J'ai également aimé le parallèle entre sa conscience et le coup de téléphone.
Tu excelles dans le registre noir.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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