Mon cœur de pyrex
La ville sentait le feu, la poudre, comme si l’atmosphère se consumait dans un dernier incendie. L’été espagnol portait déjà fièrement ses couleurs orangées, dans une Andalousie matinale.
Je marchais sans but, juste pour mettre un pied devant l’autre, oublier Maria et cette liaison sans avenir. La véritable passion, l’ingrédient mal partagé entre la beauté Andalouse et son amant parisien, manquait dorénavant à ce tableau surréaliste où je m’affichais dans le rôle du méchant, avec une Maria éplorée, victime d’une rupture trop injuste.
— Je veux comprendre pourquoi, m’avait lancé Maria, en plein milieu de mon argumentaire mal ficelé.
— Pourquoi les oiseaux chantent et le ciel est bleu, avais-je répondu fort maladroitement, avant de recevoir une gifle mémorable.
En réalité, je ne savais pas moi-même. Quitter Maria n’était pas devenu soudainement une évidence biblique, une révélation du Tout Puissant. Nous n’avions pas passé le cap des deux années, quand les amours volcaniques se transformaient en caldeiras, selon les experts avisés en relations amoureuses. Aucun des deux n’avait trahi l’autre. Je ne vivais pas avec Maria, partageant mon temps entre l’Espagne et la France, jonglant avec ma vie professionnelle et ma belle de Cadix. Maria voyageait nettement moins, coincée par son métier d’enseignante. Que ce soit à pied, à cheval ou en avion à hélices, j’étais toujours content de retrouver le sourire de Maria, ses longs cheveux noirs et la chaleur de ses bras. Le reste, le quotidien, la misère des bipèdes, passait au second plan dès que je voyais Maria.
Quand ma réalité me montait au nez, celle du lundi au vendredi, je pensais au samedi, à ses ballades dans Cadix, aux beaux yeux de Maria, au ciel andalou, à des millions de choses déclinées sur deux jours dans un feu d’artifice appelé la passion. Alors, malgré la mesquinerie de mes contemporains ou l’horreur des actualités, je voyais une planète Terre encore bleue, peuplée d’êtres extraordinaires et capables de vivre en harmonie, loin des guerres ou des querelles politiques.
— Tu es mon mirage, avais-je coutume de répéter à Maria, quand ses étreintes enflammées me remplissaient d’optimisme, coloraient mes pupilles assombries.
— Je suis réelle, pourtant, me répondait Maria, l’humilité incarnée.
— Je le sais, là , maintenant, parce que tu es dans mes bras. Dès que je m’éloigne de toi, que je passe au lundi et ses milliers de kilomètres entre nous, je n’en suis plus aussi sûr. Le gris reprend ses droits sur le rouge, le bitume envahit le feu.
— Installe-toi avec moi à Cadix et tu ne connaitras plus ces lundis.
Maria ne s’en doutait pas à ce moment-là , mais elle m’enfonçait le poignard qui allait délivrer mon cœur de pyrex. Je ne pouvais pas m’enflammer au-delà de mon enveloppe superficielle, de mon envie de rêver, de m’inventer un monde merveilleux où tous s’embrassaient à longueur de journée sans essayer par derrière de se voler une pomme. S’installer avec elle dans sa maison de Cadix était voué à l’échec. Je brûlerais rapidement mes couches de bons sentiments, comme une étoile en fin de vie, puis me refroidirais au contact des éléments extérieurs appelés la simple réalité, avant de m’effondrer pour toujours. Pour cette raison, une forme subtile de lâcheté, je devais dire adieu à la passion de Maria, à son Paradis andalou où je n’avais pas ma place malgré tous ses efforts.
Le soleil se levait sur Cadix, plein et orange, chaud et rassurant. Je laissais Maria au passé, une époque à ne jamais oublier parce que j’avais gouté au feu, ressenti les flammes d’un amour passionné, vécu dans un endroit plein de couleurs et de parfums, loin de mon univers trop gris et tapissé de cendres. Tel était le prix à payer pour les hommes au cœur de pyrex.