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Accueil >> newbb >> Défi du 25 juillet [Les Forums - Défis et concours]

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Re: Défi du 25 juillet
Plume d'Or
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Bonsoir chères Loréennes et chers Loréens,


Moi qui aime les fables et les contes, je ne pouvais pas me défiler devant un tel défi.
J'ai abandonné momentanément la voie de la poésie pour me réfugier dans celle du conte.

J'ai arrangé à ma manière le conte de Grimm, les douze frères, et je l'ai fait devenir les douze soeurs. Les Dames du site apprécieront, je l'espère.
Toujours est-il, je me suis bien amusé.

Le voici, le voilà le conte d'Isté.

Il était ma fois dans une terre lointaine appelée Amazone, si lointaine et si belle que pas même votre imagination ne saurait en décrire la volupté, une reine, Antiopé, et son roi qui avaient douze filles : Clonia la guerrière, Polemusa la talentueuse, Devioné la subtile, Evandra la tacticienne, Antandra la roublarde, la divine Brémusa, Hippothoé la violente, Harmothoé aux yeux noirs, Alcibié la songeuse, Antibrooté la réfléchie, Derimachia la patiente et Termodossa, toutes très belles, à l’exception de la dernière, Termodossa, qui chagrinait ses parents royaux, en raison de la couleur de sa peau mais aussi de sa grande originalité. Elle était albinos; en plus de son physique surprenant, elle avait acquis une distraction qui devint légendaire.

Le Roi jaloux s’était étonné de la naissance d’une telle enfant mais, paradoxalement, en était réellement heureux, car cette belle jeune fille avait été dispensée des activités guerrières dévolues aux seules femmes, en raison de ce qui paraissait être une infirmité aux yeux de la reine et de ses sœurs, toutes engagées dans l’armée royale, avec le titre de princesses.
La distraite et joyeuse Termodossa s’adonnait, jours après jours, aux activités dévolues aux seuls hommes : organiser la maisonnée, s’occuper des enfants, filer la laine… Elle en était très heureuse car elle aimait vraiment la compagnie des hommes.

Cet été-là, comme chaque année, la reine qui se distinguait par sa force, sa puissance et sa bravoure, entraîna son armée dans une guerre contre des tribus voisines. Elle en revint victorieuse mais également enceinte d’un possible treizième enfant.

Au début de l’automne de cette année-là, le roi dit à la reine :

- J’aimerais que cet enfant soit un garçon et qu’il puisse ouvrir une nouvelle voie dans la relation des femmes et des hommes, plus juste et plus équilibrée.
- Mon ami, il n’en n’est nullement question. Si cet enfant est un garçon, il aura le destin de tous les hommes de notre royaume, celui d’être à notre service et d’assurer les tâches domestiques. Cela étant, pour t’agréer, je peux en faire un étalon! Mais si cet enfant est une fille, comme notre Termodossa, il faudra la tuer.

Bien qu’il fût convaincu que ce futur enfant n’était le sien, Le roi fit construire un cercueil qu’il fit remplir des pétales des plus glorieuses fleurs du royaume. Il le fit installer dans une pièce secrète du palais dont les murs étaient recouvertes de tapisseries aux fils et d’argent, qui racontaient la triste histoire d’être déchus parce qu’ils n’étaient pas ce que l’on attendait d’eux. Il confia la clé de cette pièce à la tendre Termodossa à laquelle il s’attachait de plus en plus, jours après jours, alors que le soleil brillait de mille feux dans leur relation tendre et filial.

Un soir d’hiver, le roi et Termodossa se retrouvèrent devant la cheminée du salon d’apparat du château.
Termodossa dit à son père :

- Père, pourquoi êtes-vous si triste ?
- Ma douce et tendre fille, je ne peux pas te le dire.

Mais l’enfant ne lui laissa aucun répit tant qu’il ne l’eût pas conduit dans la pièce secrète dont elle avait deviné l’existence dans son for intérieur.

- Ma tendre Termodossa, lui dit-il, ta mère a promis le bannissement si l’enfant à venir est un garçon et la mort si c’est une fille comme toi. Et je ne peux me résoudre à cela.
- Père, il nous faut trouver une solution pour éviter cela à notre futur parent.
- Mais que pouvons-nous faire devant la détermination de notre reine?
- Papa, papa… Veuillez me pardonnez, Père, j’ai une idée…
- Oh, oh, ma fille, je suis là… Tu rêves... Alors me livreras-tu ton idée ?
- Oui, mon papa chéri… Oui, Père ! Dès lors que l’enfant naîtra, tu m’en informeras par une missive que me transmettra ton officier d’ordonnance. Si c’est un garçon, nous le confierons à une famille qui aime à la fois les filles et les garçons et si c’est une albinos comme moi, je partirai avec elle dans la forêt et nous y vivrons ensemble.
- Dans les deux cas donc, tu proposes d’éloigner cet enfant de sa mère. En faisant cela, tu t’exposes toi-même à la mort.

Advint le jour de la naissance du treizième enfant. L’accouchement dura pendant vingt et une heures. L’enfant fut si blême que le roi crut qu’il était albinos et s’en inquiéta auprès de son officier d’ordonnance. Tout aussi inquiet que son royal monarque, cet officier prit sur lui d’envoyer une missive à Termodossa où il s’inquiétait auprès d’elle du risque que cet enfant puisse être une fille albinos.
Fidèle à sa distraction dont le caractère légendaire avait déjà commencé, Termodossa interpréta la missive, en imaginant que l’enfant était bien albinos. Elle entreprit donc d’enlever la petite fille et partit avec elle dans la forêt, comme il en avait été convenu.

Si elle était bien distraite, en revanche la donzelle avait préparé son plan. Elle avait prévu de se retrouver dans la forêt avec une troupe de rebelles, hommes et femmes, dirigés par un aventurier tout aussi distrait qu’elle, qui se faisait appelé Robin des quois. Et ma fois, je peux vous assurer, qu’ils ont formé un joli couple, tous les deux, pendant le temps où il a fallu éduquer la treizième fille qui, naturellement, autant vous l’avouer, n’était pas une albinos. Mais cela, vous l’aviez compris, à moins d’être distrait vous-même.

Folle de rage, la reine dépêcha dans tout son royaume des espions pour connaître le lieu de la retraite de sa fille Termodossa et de son treizième enfant dont elle savait bien qu’elle était une fille. Elle fit emprisonner le roi, comprenant qu’il avait participé à cet enlèvement. Par un triste sort, il fut enfermé dans le cabinet secret où avait été installé le cercueil.

Elle mena en vain quelques opérations guerrières contre les rebelles dans l’espoir de retrouver les deux jeunes femmes. Elle perdit beaucoup de ses amazones pendant les combats. En effet le destin des rebelles avait changé dès lors que les deux jeunes femmes étaient apparues dans leur horizon. En effet, l’enfant enlevé était devenu une grande et belle jeune femme à qui l’on enseigna les arts, les lettres, la musique et l’harmonie entre les femmes et les hommes. Sa beauté intellectuelle vibrait de concert avec sa beauté physique et fit qu’elle acquit un charisme auprès des femmes et des hommes de la forêt. A l’âge de 16 ans, elle prit tout naturellement la tête de la troupe des rebelles et prit le nom de Cassiopée.

Mais alors me direz-vous, que sont donc devenus Robin des quois et Termodossa ? Eh bien, pendant l’éducation de Cassiopée, l’un et l’autre se découvrirent et il en résulta un grand amour.
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Ami(e) lecteur, ne croyez pas vous en sortir à si bon compte. Non, non, le conte n’est pas fini. La fin, il faut que je vous la raconte. Je vous l’ai écrit, je crois, la distraction de Termodossa est devenue légendaire. Pour l’instant, elle n’est encore qu’éphémère. Et vous allez voir, les distractions conjuguées sont les plus extraordinaires.

Il advint un jour que l’officier d’ordonnance passa dans la forêt. Il apprit ainsi à Cassioppée, à Termodossa et à Robin l’emprisonnement du roi.

Termodossa s’adressa ainsi à l’officier :

- Où est donc emprisonné notre bon roi ?
- A l’endroit même où a été placé le cercueil du treizième enfant, Princesse.

Très émue, elle lui raconta tout ce qui s’était passé depuis qu’elle était partie dans la forêt avec celle qui était devenue Cassiopée.

Ils décidèrent tous alors de retourner au château pour délivrer le roi, dussent-ils le libérer en faisant le siège du château.
Lorsqu’ils arrivèrent au château, la reine était malade et les onze sœurs insuffisamment armées contre l’armée des rebelles demandèrent une trêve qui leur fut accordée.

Ce fut la sœur aînée Clonia, entourée de ses dix sœurs, qui les reçurent dans la salle du trône.

Ce fut Cassiopée, la première qui s’exprima :

- Je suis Cassiopée, la treizième fille d’Antiopé. Je suis aussi la chef des rebelles.
- Je suis Clonia, la première fille d’Antiopé, et donc ta sœur aînée.

Elles se mirent toutes à pleurer et s’embrassèrent avec une très grande tendresse.
Mais la reine au fond de son lit jurait encore après sa fille Termodossa et désirait toujours sa mort si sa fille ne lui était pas rendue.

Sa fille aînée Clonia se rend à son chevet et lui dit :

- Mère, me promets-tu que si tu retrouves ta fille cadette, tu n'intenteras pas à la vie de Termodossa.
- Pourquoi me dis-tu cela ?
- Me le promets-tu ?
- Je te le promets.
- Ta fille cadette, Cassiopée, est là.

Alors ils se réjouirent tous, et l'embrassèrent.

Ils vécurent toutes et tous au château. Pendant les mois qui suivirent, de nombreuses fêtes furent organisées pour honorer le retour de la fille cadette. Les tables resplendissaient de la présence de lièvres, de chevreuils, de pigeons et de légumes anciens. Ils étaient toutes et tous gourmets de plats fins et de tendresse partagée.

Dans l’euphorie des retrouvailles, la reine avait oublié le sortilège qu’elle avait jeté quelques jours après l’enlèvement de sa fille cadette – Après l’on s’étonnera que Termodossa fut distraite-. Le sortilège prévoyait que si l’on se réjouissait de la présence du treizième enfant en l’absence de la reine, au douzième banquet, toutes les princesses seraient transformées dans le dernier animal consommé.
Et ne voilà-t-il pas qu’au douzième banquet, toutes les princesses furent transformées en chevreuils, sauf Termodossa -Cela étant, d’après les témoins présents, les chevreuils consommés avaient été délicieux et bus avec un vin très tannique d’une région mystérieuse qui leur était inconnue ; qui se faisait appelée Bourgogne-. Eh oui, la reine en avait eu soupé de tous ces banquets et ne s’était pas présentée au douzième.

- Malheur à toi, lui dit une veille sorcière qui passait par là bien sûr – nous sommes dans un conte-. Tu aurais dû savoir dépasser tes indigestions et te présenter au douzième banquet.
- N’existe-t-il pas un moyen de les délivrer de ce sortilège ?
- Ta fille Termodossa et l’homme de sa vie devront se livrer à douze travaux de distraction. Il devra leur arriver les pires ennuis que puissent connaître des distraits et si, au douzième, je suis convaincue, alors leur forme originelle leur sera rendue. Mais tout cela devra se faire dans le silence absolu.

Ils étaient tant distraits l’un et l’autre qu’ils n’eurent aucune peine à passer les onze premiers travaux de distraction, comme par exemple se croiser et ne pas se reconnaître, ou oublier qu’il fallait une chaise pour s’asseoir mais aussi qu’il était impossible de traverser les glaces de la galerie des glaces du palais sans se faire du mal.
La douzième distraction s’imposa tout naturellement à eux. Par distraction, Termodossa et Robin des quois avaient omis d’officialiser leur mariage.
Furent donc célébrées les noces avec autant de pompe que de joie, quoique les mariés demeurassent dans le silence le plus absolu. Mais ils laissèrent échapper de grands sourires.
Mal leur en prit car le sortilège imposait également de ne pas sourire. Encore une distraction inacceptable me direz-vous de la part de la reine qui leur valut une condamnation à mort. N’étais-ce pas cher payer pour une distraction ?

La reine opta pour une mort devant un peloton d’exécution. Un peloton de onze cadets fut choisi pour assurer la sentence et abattre Termodossa et Robin.
Alors que le peloton allait exécuter la sentence, douze chevreuils entouraient les cadets. La reine n’avait pas souhaité assister à l'exécution et participait à un treizième banquet. Au moment du service des chevreuils sur les tables, les douze chevreuils redevinrent douze belles princesses. Et oui, la sorcière s’était trompée, par distraction sans doute. Ce n’était pas à l’issue de douze banquets mais de treize banquets que le sortilège devait se réaliser. Ce pays est vraiment un pays de distraits!

Termodossa et Robin purent à nouveau reparler, expliquèrent leur silence et racontèrent toute l’histoire.
Que faut-il retenir de cette fable? Sans doute qu’une distraction légendaire associée une philosophie de l’erreur peut être bénéfique aux progrès humains.
Veuillez me pardonner. Nous ne sommes pas dans une fable mais dans un conte.
Alors la reine comprit qu’il y avait mieux à gagner dans une harmonie entre les femmes et les hommes. Avec prudence, elle associa les hommes aux activités de gouvernement et aux activités militaires, tout en laissant aux femmes l’autorité suprême.
Et "ils vécurent désormais toutes et tous ensemble heureux et unis jusqu'à la mort."

Amitiés de Beaulieu où je me trouve actuellement.

Jacques

Posté le : 28/07/2015 22:20
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Re: Défi du 25 juillet
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Istenozot,

Ton conte est riche de beaucoup de références. Je ne connaissais pas les "12 frères" et Robin des quois m'a bien fait rire.

Merci pour ta participation active alors que tu es en vacances.

grosses bises

Couscous

Posté le : 29/07/2015 20:20
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Re: Défi du 25 juillet
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Emma, cette seconde version est encore plus déjantée, même si elle adopte la forme de l'article de presse. On sent que les vacances sont passées par là, vues les références aux régimes (sans gluten ou végétalien) et à la faim. Pauvre Jean-Loup, il n'avait pas de belle-mère en perspective et pourtant c'est la belle grand-mère qui l'a perdu. Comme quoi !

Posté le : 30/07/2015 10:49
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Re: Défi du 25 juillet
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Mamie-garou et le grand méchant loup


Red quitta le salon de coiffure vers cinq heures de l’après-midi. Comme tous les jours, elle avait supporté des mémères à bigoudis, des adolescents à longue mèche et des boutonneux à grosses lunettes, la population standard de Springfield. Son stage d’apprentie coiffeuse, préposée aux shampoings, aux cafés et aux discussions ineptes, se terminait dans deux mois. Après cette période, si elle ne retombait pas dans ses travers passés, Red serait enfin déclarée apte à vivre de nouveau en société, loin des institutions pénitentiaires.

Le bus était bondé, signe de l’effervescence de Springfield à la veille d’Halloween. Red posa ses fesses sur le seul siège disponible. A ses côtés se tenait un petit gros, du genre amateur de beignets et de sodas, occupé à jouer avec des bulles sur son téléphone portable. Red lui intima l’ordre de se pousser, en vain. Peu adepte de la diplomatie, la jeune femme joua des coudes pour gagner quelques centimètres, regrettant le bon vieux temps où elle distribuait les coups de pieds aux gras du bide de son collège. Son voisin la regarda d’un air bovin, saliva subitement à la vue de la grande et belle rousse toute vêtue de cuir, avant de se calmer, dans un réflexe pavlovien propre aux adolescents mal dégrossis. Red lui jeta un regard courroucé, juste pour accentuer le malaise ambiant.

Le voyage se déroula dans les normes de l’Amérique profonde protégée par le bienveillant Oncle Sam et son bouclier nucléaire. Aucun extra-terrestre ne vint perturber les conversations profondes des passagers. Nul commando bolchévique n’empêcha le chauffeur de freiner maladroitement pour marquer l’arrêt. Aucun barbu islamiste ne cria son lot d’injures à la face des représentants du monde libre et des valeurs chrétiennes.

Red s’assoupit un moment, le temps de repasser le film de sa dernière discussion avec son agent de probation, un pauvre homme fatigué répondant au doux prénom de Howard.
— Tu as bien compris la leçon cette fois ci, Red ?
— Oui, Howard. Je respecterai les Dix Commandements et la Constitution Américaine.
— Je ne t’en demande pas tant. Reste à l’écart des mauvaises fréquentations, travaille ton futur métier de coiffeuse et prie le Seigneur pour ton salut.
— Là où je crèche, je ne risque pas de rencontrer le grand méchant loup. Pour ce qui est des prières, j’ai ma dose quotidienne avec ma mémé, une bigote de première bourre. La coiffure me passionne à tel point que je me vois déjà monter mon salon à Raleigh ou, si j’ai de la chance, à Atlanta.
— C’est bien, Red. Tu as de l’ambition. C’est grâce à des jeunes gens comme toi que notre pays est devenu un modèle pour le reste du monde. Je sais que tu es intelligente. Jusque-là, tu avais mal utilisé tes capacités. Je suppose qu’une figure paternelle t’a manqué durant ton enfance.

Red se crispa à ce seul souvenir. Howard, malgré son discours maintes fois entendu et sa morale de supermarché, avait touché le point sensible. Red n’avait jamais accepté le départ de son père pour une partie de poker à Las Vegas. Sa mère l’avait bassinée avec ses formules sur étagères, du genre « Ah, les hommes, tous les mêmes ! » ou « Autant vivre entre filles que mal accompagnées », dans le but évident de masquer la cause essentielle de son célibat : son mari en avait eu marre de vivre au milieu des bouseux, avec une ancienne reine de beauté devenue pachyderme. Pour cette raison et des milliers d’autres, Red avait viré rebelle à l’âge de douze ans, passant des maisons de correction pour mineurs aux établissements pour délinquants juvéniles, sous des prétextes différents mais jamais innocents.

Red se réveilla à l’annonce de son arrêt. Elle se leva, ramassa son sac de cuir clouté puis se précipita en dehors du bus. Il lui restait encore une heure de marche, à travers les bois, avant de retrouver la maison familiale où sa grand-mère l’attendait certainement devant un bon feu. Red accéléra le pas, pressée de manger un repas préparé avec amour par une petite vieille qui ne l’avait jamais jugée. Sur la route, elle ne rencontra personne, pas même un bucheron ou un ramasseur de champignons. Red attribua ce fait à la proximité d’Halloween, aux dernières courses dans les magasins de Springfield, avant de célébrer la fête des morts avec les voisins. Elle sourit en pensant aux histoires de spectres, de loup-garou et de monstres sous le lit que lui racontait son père durant sa tendre enfance.

La maison s’afficha dans la pénombre, seulement éclairée par la pleine lune et la lumière du salon. Red ralentit la cadence, savoura l’odeur des pins et de la nature nocturne puis ouvrit la porte d’entrée.
— Mamie, c’est Red ! La porte n’était pas fermée. Tu devrais faire attention, cria la jeune femme.

Ses paroles résonnèrent dans la pièce centrale. Aucune réponse ne lui parvint cependant. Red pensa que sa grand-mère avait du s’assoupir dans sa chambre, certainement après une longue lecture des Saintes Ecritures ou de la dernière encyclique du pape François. Elle posa son sac sur la table de séjour, se dirigea vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Une bière fraiche l’attendait, sagement posée dans le compartiment à boissons. Red s’en saisit, la décapsula d’un geste souple puis la dégusta lentement.

Le plancher crissa. Red se retourna. En face d’elle se tenait sa grand-mère, du moins une version grisâtre, aux yeux exorbités et cernés, les cheveux en pétard et le dentier en berne.
— Enfin, Mamie, tu es là. Je te croyais endormie. Tu ne m’as pas entendue ?
— Red !
— Oui Mamie, c’est moi, ta petite fille.
— Red !

La vieille femme tendait les bras en direction de Red, telle une insomniaque à la recherche de son chemin dans l’obscurité. Red s’écarta, une sorte de réflexe conditionné acquis lors de ses nombreux séjours pénitentiaires. Quelque chose clochait dans l’attitude de sa grand-mère.
— Mamie, tu es sûre que tout va bien ?
— Red !
— Oui !
— Manger !
— C’est ça, on va dîner ensemble.
— Manger Red !

Le cerveau de Red tilta comme un vieux flipper. La jeune femme slaloma jusqu’à la porte de la cuisine, regarda la chose qui ressemblait curieusement à sa grand-mère puis décida de l’enfermer. La décision lui pesa au début mais, quand elle entendit les bruits sourds contre la porte, les hurlements et finalement le hululement de sa grand-mère, Red se sentit moins coupable. Elle s’assit dans le vieux fauteuil en osier pour faire le point sur la situation.
— Tu es un peu dans la merde, lança une voix rocailleuse.

Red leva les yeux. A l’autre bout de la pièce trônait une immense créature bipède, poilue et ornée d’une tête de loup.
— Qui es-tu ?
— Je suis le loup, pardi !
— Garde tes conneries pour Barbie et ses copines, veux-tu !
— Je suis sérieux.
— Tu es surtout en avance d’un jour. Halloween ne débute que demain. Va jouer ailleurs, là où les enfants gambadent et les bien-pensants décorent leurs fenêtres. Ici, on est dans les bois, au fin fond de nulle part, au royaume des champignons et des fougères.
— Je ne suis pas le bienvenu en ville.

Red regarda le nouveau venu. Il avait vraiment l’air effrayant, avec son corps puissant, ses grands yeux noirs et sa gueule pleine de dents. L’atmosphère ne sentait pas la sérénité, avec d’un côté sa grand-mère, ou plutôt son pendant zombie, hurlant à la mort, et de l’autre une espèce d’animal à deux pattes sorti tout droit d’un mauvais film d’horreur.
— Qu’est-ce que tu fous chez moi ?
— J’avais les crocs.
— Ce n’est pas un fast-food !
— Tu m’étonnes ! Au moins, chez McDonalds ils ne servent pas de la viande avariée.
— De quoi tu parles ?
— De ta mémé. Elle a largement dépassé la date de péremption. J’en ai encore un sale goût dans la bouche.

Red hallucina. Le loup avait essayé de manger sa grand-mère et en plus il s’en vantait. « Un comble ! » pensa-t-elle.
— Heureusement que tu n’as pas insisté.
— Pourquoi ?
— J’aurais été obligée de te débiter à la hache et d’enterrer ta carcasse au fond du jardin.
— J’ai peur, fillette. Tu m’as l’air d’une dure à cuire.
— Arrête ta frime, mon loulou. J’espère que tu n’as pas refilé la rage à ma mamie. Elle n’a pas l’air dans son assiette.
— C’est la pleine lune.
— Quel rapport avec la choucroute ?
— Tu ne lis pas les revues scientifiques ?
— Non, j’ai déjà assez de mal avec les magazines pour filles alors les trucs sur les quarks, la théorie des cordes et tout le tremblement me donne la migraine.
— C’est quoi ta came ?
— Ne change pas de sujet. Pourquoi ma grand-mère est elle dans cet état, à hurler à la mort en tapant contre la porte ?
— Je l’ai mordue. Comme c’est la pleine lune, elle est devenue une mamie-garou.
— C’est grave, docteur ?
— Un peu. Elle va changer de régime alimentaire, passer de la soupe aux choux à la chair humaine, de la camomille au sang frais.

Red soupira. Sa grand-mère était d’ordinaire difficile en matière d’alimentation, accumulant une allergie au gluten et un penchant affirmé pour le vin de messe. Les courses allaient devenir problématiques, surtout dans un pays où manger de la viande bovine saturée en graisses tenait lieu de religion. Elle se voyait mal demander au bougnat indien de lui servir des côtes d’enfant vietnamien ou de la cervelle de négrillon.
— Combien de temps ça va durer ?
— Je ne sais pas. Il faudrait l’emmener en cure de désintoxication chez Betty Ford.
— Tu crois que j’ai les moyens ? Je ne suis pas Liz Taylor ou Michael Jackson.
— C’est ton problème, ma poulette, pas le mien.
— Elle est bonne, celle-là ! Je ne l’ai pas mordue, moi.
— Ne me rappelle pas ce mauvais souvenir. J’ai encore envie de vomir.
— Quand tu auras fini de te plaindre, tu me feras signe. En attendant, nous sommes coincés ici, dans le salon, avec un zombie affamé entre notre faim et le frigo. Tu as des idées ?
— Quelques unes.
— Livre-moi le résultat de tes réflexions, en mode résumé et sans fioritures.

Red croisa les bras. Le loup ne lui paraissait pas un modèle d’intelligence supérieure, capable de transformer une situation compliquée en solution simple.
— Tu ne vas pas te fâcher ?
— J’en ai entendues des vertes et des pas mures dans ma chienne de vie. Crache ta pilule !
— Vu que je suis venu ici pour dévorer la première venue et que je suis tombé sur une vieille peau indigeste, je ne me vois pas repartir le ventre vide. Tu m’as l’air bien appétissante, en bonne santé et plutôt jeune.
— Tu me fais du gringue ou quoi ?
— Tu crois ? Je pensais être subtil sur ce coup.
— Raté !
— Bon, c’est quoi le plan B, alors ?
— Qui te dit que je n’aime pas le plan A. Si tu savais comme j’en ai marre des minets parfumés, des évaporés de salon, des bouseux priapiques et des cow-boys à deux balles. Ma journée a consisté à taper la causette à des mémères vaniteuses et des pépères endimanchés. Je mérite bien un peu d’exotisme. En plus, je ne me suis jamais tapée un balèze de ton genre.
— Tu es partante ?
— Ai-je l’air d’une première communiante ?

Red enleva son blouson de cuir, prodigua son meilleur sourire et papillonna des yeux. Le loup commença à trépigner, excité à la perspective de consommer la grande rousse.
— Sais tu que je te verrais bien chauffer la place, mon loulou ?
— Comment ?
— Va dans la chambre du haut, à droite, mets-toi à l’aise et attends moi !
— Que vas-tu faire en attendant ?
— Il reste des conserves dans la réserve. Je nous prépare une petite collation.
— Et ta grand-mère ? Elle bloque la cuisine.
— J’en fais mon affaire. Ne te bile pas pour si peu.

Red redoubla ses battements de cils. Ce simple mouvement enflamma le loup qui partit directement vers l’escalier. « Il est chaud comme la braise, cet abruti ! » pensa la jeune femme, assez fière de son effet sur l’animal.

La place était désormais libre. Red se dirigea vers le placard mural, l’ouvrit et en sortit l’accessoire traditionnel des habitants de Springfield, la capitale du fusil mitrailleur. Elle chargea l’arme de guerre avec des munitions de compétition, monta dans la chambre et toqua contre le chambranle de la porte.
— Mon chéri, j’ai une surprise pour toi !
— Attends, je ne suis pas encore prêt.
— Ce n’est pas grave, j’aime la viande hachée saisie sur le vif, dit-elle en pénétrant violemment dans la pièce.

La suite ressembla plus à une scène de guérilla urbaine qu’à un conte pour enfants. Red arrosa les quinze mètres carrés de balles chemisées, laissant peu d’espoir de survie à son prétendant. Une fois le carnage terminé, elle ramassa les morceaux de viande rouge, les déposa dans une grande bassine en fer et se dirigea vers la cuisine.
— Mamie, j’espère que tu aimes le tartare de loup, cria-t-elle en ouvrant la porte. Il est encore frais, avec son jus d’hémoglobine. Vue la taille de la bête, on en a pour toute la semaine.
— Manger loup avec Red !
— J’avais compris, mamie ! La prochaine fois, pense à remettre ton dentier, j’aurais pu me méprendre.

Posté le : 30/07/2015 21:21
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Re: Défi du 25 juillet
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donaldo!!!! Mais quelle mouche mutante t'a piquée ????????


Ha ha ha! Cette nouvelle est vraiment horrible! Digne des pires films de zomnie pour adolescents!

En tout cas, grâce à toi, les mémés traumatisées par les loups de tous les contes de fée ont désormais la parade : elles ne sont pas commestibles!

Le gluten... Décidément : le mal du siècle !

Tu es furieusement critique envers la culture américaine : à l'instar du grand loup n'aurais-tu pas un peu la dent dure???

En tout cas, je me suis bien marrée !

Posté le : 31/07/2015 14:38
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Re: Défi du 25 juillet
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Cher Donald,

Tu nous livres la version Halloween du conte, j'adore ! Même si ce n'est plus pour les enfants.

J'ai été très heureuse de retrouver ton personnage Red, elle a du caractère et sait se défendre la bougresse.

Merci mon canard à l'orange....

Couscous aux merguez de loup

Posté le : 01/08/2015 19:38
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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