Plume d'Or
Inscrit: 18/02/2015 13:39
De Dijon
Niveau : 39; EXP : 1 HP : 190 / 950 MP : 767 / 26934
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Cher Donald, Chères Loréennes et chers Loréens,
J'ai pris un peu plus mon temps cette fois-ci. Je vous propose ma modeste contribution au défi de notre ami. J'ai voulu un peu l'imiter dans un style qu'il maîtrise si bien.
J'appelle ce texte "la réunion macabre des anciens de mon école".
Je vous en souhaite bonne lecture.
- Jacques, tu n’oublies pas notre soirée de ce soir. - Comment cela notre soirée de ce soir ! - Eh bien oui, voyons. Tu ne te souviens pas. Nous sommes invités à la réunion des anciens de ton école, chez ton ami qui a un nom à tiroirs. Tu sais bien : Georges Alexandre Artus de la Farandole. - Il porte bien son nom celui-là . - Cesse de vouloir plaisanter. Tu te souviens ou tu ne souviens pas ? - Je préférerais ne pas vouloir m’en souvenir. - J’ai répondu favorablement pour nous deux, par simple curiosité de découvrir son château familial dont on parle tant. Il y aurait reçu tant de ses conquêtes, dit-on. N’est-ce pas toi qui m’a dit qu’on l’appelait le jardinier des grâces de ces dames. - Effectivement, c’est bien comme cela que nous l’appelions quand nous étions jeunes. C’était pour lui un art de vivre qu’il tenait de ses aïeux. - Alors, on y va ou on n’y va pas. - Allons-y. Allons nous préparer avant que je ne change d’avis.
Après nous être habillé comme il convient en pareille circonstance, ma femme avec une robe de cocktail et, pour ma part, avec un costume clair, mais sans cravate, nous prenons la route pour le château de la Farandole, situé à vingt kilomètres de Dijon.
Après vingt minutes de route, le château nous apparaît alors au milieu d’un jardin à la française. Sur sa gauche repose un parc aux nombreuses essences d’arbres, les unes communes, les autres rares. Il fait planer sur cette demeure un calme impavide. Sur sa droite, quelques dépendances visiblement aménagées prolongent la majesté du logis principal. Nous laissons notre voiture dans le parking prévu à cet effet, puis nous rejoignons l’escalier monumental, sis au centre de la façade du château, où nous attendent quelques anciens.
S’approche de moi un grand escogriffe, plus grand que moi encore, en qui je crois reconnaître mon vieux camarade Rémi, qui faisait partie de notre bande, à laquelle nous appartenions avec Georges Alexandre :
- Mon Dieu, Rémi, c’est toi. Comme tu n’as pas changé ! - Jacques, c’est bien toi. - Aux dernières nouvelles, oui… Je te présente ma femme, Josiane. - Bonjour. Alors vous êtes l’heureuse élue de notre cher Jacques. - Cher Jacques, cher Jacques. Dis voir Rémi, vous saviez bien profiter de moi quand il le fallait, Artus et toi, et vous saviez vous faire oublier quand on pouvait avoir besoin de vous. Mais où est donc Georges Alexandre ? - Jacques, dit Rémi d’une voix sépulcrale, je dois t’apprendre un grand malheur qui nous affecte toutes et tous. Notre ami Georges Alexandre n’est plus.
Un sourire contenu se lit sur mon visage. J’ai beaucoup de peine à ne pas éclater de rire.
- Comment cela, Georges Alexandre n’est plus. Il nous invite et il n’est plus. C’est tout lui ça. Il était sans être. Il voulait être sans devoir l’être. Et surtout avec les femmes ! - Je vois que tu as toujours de l’esprit, me dit Rémi. - Reconnaissons, l’un et l’autre, que cela n’était pas la qualité première d’Artus, dont l’intelligence était vagabonde du haut vers le bas de son corps, vive et versa et réciproquement. Dis-moi Rémi, qui nous a invités s’il n’est plus ? - C’est bien lui qui nous a invités dans son château mais c’est moi qui ai lancé les invitations. Et je n’ai pas voulu annuler notre réunion d’anciennes et d’anciens, en souvenir de lui. Je te propose que nous allions nous recueillir sur sa tombe. - Ah parce qu’il s’est fait enterré chez lui ; disais-je avec un rictus enjoué sur les lèvres ! - C’est une tradition familiale dans son clan ! - Finalement il a toujours eu de bons plans. Ne pas être là quand on avait besoin de lui. Avant d’y aller, on peut boire un coup, lui répondis-je !
Dans le salon d’apparat du château était dressée, sur toute la longueur de la pièce, une table monumentale qui devait faire vingt-cinq mètres de long. Trois trophées de chasse ornaient ce long buffet. Une forêt dense de deux centaines de coupes de champagne noblement remplies y reposait, parsemée, ici et là , d’une belle collection de grand cru de ce nectar champenois.
Plutôt satisfait d’avoir abandonné Rémi que j’avais toujours trouvé obséquieux, je me retrouve au buffet avec ma femme. Une femme s’approche de moi.
- Jacques, c’est bien toi, me dit cette femme que j’ai bien de la peine à reconnaître. - Eh bien oui, qui veux-tu que cela soit d’autre ? - Tu as gardé les mêmes traits qu’à l’époque de nos frasques, me dit-elle en posant délicatement sa main gauche dans le bas de mon dos.
Ma femme ne voit pas là de la délicatesse mais plutôt un début de sensualité. Et l’émission du mot frasque déclenche le feu de son tempérament méditerranéen :
- Puis-je savoir à qui ai-je l’honneur, lance-t-elle à la belle inconnue ? - Nous étions dans la même classe de la troisième à la terminale. Nous avons connus ensemble nos premiers émois amoureux, lui lance cette femme en qui je finis par reconnaître Eléonore. - Eléonore, qu’es-tu donc devenu depuis tout ce temps ?
En prenant ainsi la parole, j’espérais que ma femme ne s’emporte pas. Elle seule compte aujourd’hui. Et ce n’est pas cette coureuse de dots qui allait nuire à tant d’années d’épousailles heureuses.
- Aujourd’hui, je suis la femme de Georges Alexandre. - Tu étais la femme de Georges Alexandre, lui répondis-je du tac au tac… Tu n’as pas l’air d’en être très affectée. - C’était un coureur de jupons. Et puis nous étions très libres l’un et l’autre. - Je me souviens. Au lycée déjà , un grand nombre parmi nous avait goûté à tes indulgences sensuelles... Et elles pouvaient même être plénières, disais-je en souriant. - Oui, mais un seul n’y avait pas goûté. Toi !
Que n’avait-elle dit là ? C’était la phrase de trop ! Eléonore ne connaissait pas le tempérament de feu de ma femme. Dans les minutes qui suivent, j’eus une pensée émue pour elle. Tout en lui disant qu’elle pouvait rejoindre son époux là où il se trouve, ma femme lui met une claque sur le visage qui eut l’effet radical de la conduire au silence absolu. Et cette claque fit un bien fou à ma femme. Je lui donne raison. Sa jalousie maîtrisée m’émoustille. Finalement cette soirée allait devenir très prometteuse. Ma femme m’embrasse sur la bouche et m’invite à nous éloigner.
Un serveur nous propose deux coupes de champagne et quelques toasts délicieux. Nous nous éloignons du buffet de peur de voir revenir Rémi qui nous fait un signe de la main droite. Nous sommes pris l’un et l’autre par le désir de rejoindre un autre groupe d’anciens avec la volonté réelle de visiter le château. Nous sommes aussi curieux l’un et l’autre des belles choses. Alors que nous approchons du grand escalier classique qui monte au premier étage, nous sommes interpellés par mon vieux camarade Philippe, que rejoint Eléonore. Nous sommes convaincus que nous n’échapperons pas à l’hommage à rendre à l’obsédé sexuel de la bande.
- Bonjour Jacques, je suis heureux de te voir. Nous avions pris le pari que tu ne viendrais pas. - Et qu’avez-vous parié ? Encore de vous livrer à l’une de vos beuveries de carabins ? - Non, pas cette fois-ci. Juste le pari de se retrouver très vite une seconde fois ! - Deviendriez raisonnable, lançais-je à Philippe. - Tu n’as pas encore rendu hommage à notre ami Georges Alexandre ? - Si je comprends bien, tant que je ne l’aurai pas fait, vous allez me tanner jusqu’à je le fasse. Au fait, connais-tu ma femme ? Josiane, je te présente Philippe, mon voisin de bureau, dans l’école où nous étions… Bon allons rendre hommage à notre hôte !
Nous sortons du château et nous nous enfonçons pendant une minute dans le parc et au pied d’un chêne apparaît une tombe sur laquelle est inscrit l’épitaphe suivante :
Ci-git Georges Alexandre Artus de la Farandole. Il fit le bonheur de ses nombreuses maîtresses C’est qu’il les aima toutes, ces bougresses, Mais la mort eut raison de sa hardiesse.
- Le bon vieux Artus ! Mort ! Mais ce n’est pas possible ! Je n’arrive pas à m’y faire. - Tu te souviens bien de lui, me lance Philippe. - Bien sûr. Des bons et des mauvais souvenirs. Je me souviens de lui quand il en faisait voir de toutes les couleurs au Père Ripoche, dans la cour de notre école. - Aux couleurs de la mort. - Ce n’est pas drôle ! - Rappelles toi, il avait un humour pendable. Après avoir fait une plaisanterie, il disait toujours : c’est à mourir de rire. - Au moins, il aura fini par avoir satisfaction, lançai-je à Philippe, avec une pointe d’humour. - Ah, tu vois, tu en ris toi-même. - Comment est-il mort ? - Les uns disent qu’il serait mort dans les bras d’une femme, ce qui expliquerait son épitaphe. Les autres affirment qu’une femme a eu raison de lui, sans savoir de quelle raison il s’agit. - Tu es devenu bien mystérieux. Tu n étais pas ainsi autrefois. Nous connaissons la belle ? - Oui, je te le confirme. Nous la connaissons. C’est l’une de nos anciennes camarades. - Quelle est cette femme mystérieuse qui a eu raison de lui ? - Je peux juste te dire qu’elle a eut autant raison de lui que lui d’elle! A en faire des syncopes ! - S’il en eu une, elle lui aura été fatale, lui répondis-je ! - Tu le connaissais bien, vous étiez très proche. Tu pourrais aisément le deviner. - - Je t’arrête tout de suite. Nous n’étions pas si proches. C’était un bringueur de première. Il excellait dans ce domaine, à toujours vouloir honorer un défi de conquête. En revanche, quand il s’agissait de produire un travail en commun, alors là , il demandait le temps de la réflexion et de « l’intériorisation réflexive », aimait-il dire. - Mais au fond de toi-même, tu l’aimais bien pour cela. - Tu as raison. Malgré tous ses travers, je l’aimais bien. Je l’enviais même un peu. Tout lui était facile. Une conquête féminine ! Il était le travailleur des dernières minutes qui finissait toujours par réussir. Il n’était pas si mauvais le bougre. Il avait quelques talents comme celui de bien aimer faire des vers. Il disait qu’il aurait aimé en vivre. - Eh bien maintenant ils se nourrissent mutuellement. - Tu es méchant. - Alors tu l’aimais donc bien !
Philippe s’éloigne alors de moi et rejoint Eléonore sur le perron du château. De loin, je vois un homme sortir du château qui ressemble à s’y méprendre à Georges Alexandre. Je dis à ma femme :
- Mais c’est Georges Alexandre. Le voilà revenu de l’au-delà . Je vais finir par croire à la résurrection.
Georges Alexandre s’approche de moi et me dit :
- Salut, Jacques, je suis heureux que tu sois présent. Il était important pour moi que tu sois présent à cette fête. - Alors tu n’es pas mort. Laisse moi te toucher. - Non je ne suis pas mort. Ce serait un manque de savoir vivre. - Je vois que tu es toujours le même, lui disais-je ! - Je voulais voir qui étaient mes véritables amis avant ma véritable mort.
La fête dura jusque tard dans la nuit. Le repas fut pantagruélique et les vins coulèrent à flots. Cette fête fut l’une des plus belles à mes yeux.
Un mois après cette fête, je reçus une très gentille lettre d’Eléonore qui m’avouait son amour tendre pour Georges Alexandre et la fidélité qui avait été la leur entre deux depuis leur mariage, voilà bientôt douze ans. Elle m’annonçait également la mort de notre très sincère ami Georges Alexandre Artus de la Farandole…
Amitiés de Dijon.
Jacques
Posté le : 25/01/2016 21:26
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